Mobilisation du 10 septembre : le mouvement qui veut bloquer le pays s’organise aussi à Strasbourg

L’appel lancé en ligne à « bloquer la France le 10 septembre » commence à prendre forme dans la capitale alsacienne. Entre anciens « gilets jaunes » et militants de gauche, la mobilisation s’organise.

Camille Curnier (Rue89 Strasbourg)

Strasbourg (Bas-Rhin).– « On se fait marcher dessus par le gouvernement, il faut se rassembler en masse. » Manon* ne cache pas sa colère. Comme elle, une quarantaine de personnes se sont retrouvées mercredi 30 juillet au parc du Heyritz à Strasbourg, après un appel lancé sur les réseaux sociaux. Tous et toutes ont en commun une même envie de faire front, avec une idée simple lancée comme un mot d’ordre : bloquer la France mercredi 10 septembre.

Ce jour-là, ils espèrent que le pays s’arrêtera. Plus de travail, plus d’école, plus de consommation. « On bloque tout. On se fait entendre autrement. Il nous reste plus d’un mois, il y a plein d’idées, on peut avoir de l’espoir dans ce mouvement », argue Manon, qui milite par ailleurs au sein du mouvement Extinction Rebellion. Elle a vu l’appel circuler sur plusieurs canaux militants : « Je voulais voir quelles prises de position allaient émerger. Je ne veux pas que cela fasse comme avec les “gilets jaunes”, où la gauche a eu peur de s’engager et a laissé la place à l’extrême droite. »

Autour du cercle de parole, le décor est familier. On reconnaît une bonne partie de la sphère militante de gauche strasbourgeoise. Les lycéens militants, des figures de la mouvance antifasciste locale, des membres des collectifs « Urgence Palestine » et « On crèvera pas au boulot »… Mais aussi des gilets jaunes de la première heure, ou des curieux venus « voir ce qu’il se passe ».

La parole circule selon des codes bien rodés. Chacun lève la main, affiche un numéro avec ses doigts pour marquer son tour. Pas besoin d’animateur, on veille collectivement au respect du temps et à l’expression de chacun, même si dans l’ensemble, les interventions restent essentiellement masculines.

Manifestation des « gilets jaunes » en 2019 et journée de mobilisation contre la réforme des retraites en 2023 à Strasbourg. © Photomontage Mediapart avec l’AFP

Le but, pour cette première réunion, est d’abord de poser les mots. Certains cherchent à rompre la solitude face aux annonces du gouvernement Bayrou, d’autres parlent de ras-le-bol, de besoin d’agir, d’espoir.

Le mouvement naissant ne se définit pas comme apolitique mais « apartisan », selon le vocabulaire utilisé par ses membres. Pas de leaders, pas d’organisation verticale, mais pas non plus de bannières syndicales ou d’orientation politique claire. Un flou qui suscite forcément des tensions en début de mouvement. Certains au sein du groupe estiment nécessaire de fixer des lignes rouges dès le départ.

« L’extrême droite n’a rien à faire avec nous, défend une personne présente. L’unité ne se fait pas avec n’importe qui, elle se fait avec celles et ceux qui vivent l’oppression. Le problème des gilets jaunes, c’est de ne pas avoir investi la lutte dès le début pour affirmer que le racisme n’y avait pas sa place. »

Peu importe qui a lancé la date, c’est ce qu’on en fait qui compte. Il y a une volonté de relancer quelque chose, au-delà des annonces du gouvernement.

Xavier, participant au rassemblement

Mais cette volonté d’assumer une orientation de gauche ne fait pas consensus. Certains préfèrent éviter les débats trop politiques, de peur de diviser ou d’exclure des profils plus éloignés du militantisme. Quitte à taire les « questions qui fâchent », pour élargir le mouvement.

« À un moment, il faut assumer une ligne claire et des idées politiques, sinon ça part dans tous les sens. S’ils ne sont pas contents, qu’ils partent », tranche un participant, visiblement agacé.

Reprendre le fil des luttes

« Les revendications vont être très larges, même si une frange de gauche est clairement assumée. On ne dit pas que le mouvement doit être de gauche, mais la plupart des luttes qu’on porte le sont, c’est un fait », défend Yannick. Membre de On crèvera pas au boulot, collectif formé en 2023 lors du mouvement contre la réforme des retraites, il fait partie de ceux qui ont relayé l’appel à se réunir ce mercredi à Strasbourg.

Dans le Bas-Rhin, le mouvement s’organise principalement sur une boucle Telegram locale d’une centaine de membres. Au niveau national, le collectif « Bloquons tout », né à la mi-juillet sur les réseaux sociaux, a dû se réinventer sous une nouvelle appellation, « Indignons-nous », après la fermeture de son site. Derrière le changement de nom, la continuité est revendiquée.

Engagé lors du mouvement contre la réforme des retraites, Xavier y a vu d’emblée une opportunité de se mobiliser : « Peu importe qui a lancé la date, c’est ce qu’on en fait qui compte. Il y a une volonté de relancer quelque chose, au-delà des annonces du gouvernement. Les problèmes restent. Il suffit d’un prétexte pour que ça reparte. Pour moi, c’est la suite des gilets jaunes, du mouvement des retraites, de toutes ces luttes qui renaissent. »

Pour l’heure, l’objectif est de rassembler plus largement les dizaines de personnes rameutées au parc du Heyritz. Les discussions portent alors sur le tractage, les collages, les moyens de faire connaître le mouvement et d’attirer de nouveaux venus pour les semaines à venir. « Ça a l’air d’être un des plus gros mouvements de ces dernières années qui se profile, quand même. Même si c’est encore un peu tôt pour se prononcer, ça part vite et fort », commente Xavier.

Les syndicats encore sur le pas de la porte

Contactés par Rue89 Strasbourg, la CGT, Solidaires et FO indiquent ne pas soutenir officiellement l’appel au blocage du 10 septembre, précisant attendre la fin de la période estivale pour réunir leurs instances locales et se prononcer.

« Si c’est une vraie démarche citoyenne, pas un fourre-tout politique, on pourrait discuter. S’il y a mobilisation, on veut qu’elle soit massive, et qu’elle repose sur des actions concrètes, pas juste une marche symbolique », indique Éric Boritz, secrétaire général de FO 67, joint par téléphone.

Du côté de la CFDT, la position est plus tranchée : « On ne veut pas s’en mêler. On ne sait même pas qui est derrière cet appel  », déclare Pascal Vaudin, secrétaire général de la CFDT 67, qui écarte toute participation.

Pour autant, les différents syndicats ne cachent pas leur opposition aux mesures annoncées par le gouvernement (suppression de postes dans la fonction publique, coupes budgétaires, gel des retraites…). Mardi 22 juillet, cinq organisations représentatives (CGT, CFDT, FO, CFE-CGC et CFTC), ainsi que l’Unsa, la FSU et Solidaires, soit l’intersyndicale au complet, ont lancé une pétition baptisée « Budget Bayrou, ça suffit ! », et ayant récolté déjà près de 300 000 signatures en un peu plus d’une semaine. Selon Pascal Vaudin, une première mobilisation nationale à l’initiative des syndicats pourrait avoir lieu « courant novembre ».

FO reste à ce jour la seule organisation à avoir déposé un préavis de grève national, couvrant la période du 1er au 30 septembre. Celui-ci s’inscrit dans une dynamique de rejet de l’austérité, sans lien direct avec l’appel citoyen au blocage.

Camille Curnier (Rue89 Strasbourg)

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