LFI donne des bâtons pour se faire battre électoralement

LFI donne des bâtons pour se faire battre électoralement sur la liberté d’exercice des journalistes comme sur un pro-poutinisme de plus en plus marqué.
Mediapart présent aux Amfis – l’université d’été de La France insoumise (LFI) – a pris des risques en publiant cet article : le refus d’accréditer un journaliste du Monde à ces Amfis, ne pourrait-il pas ouvrir un cycle antijournalistes du meilleur effet pour lancer la campagne des présidentielles ?
Ajoutez à cela comment, par Mélenchon, LFI s’enfonce dans un campisme proPoutine avec lequel elle avait jusqu’ici cherché à jouer à cache-cache et qui, inévitablement, fait l’impasse sur le peuple ukrainien, jamais nommé ni reconnu dans sa légitimité à résister à l’envahisseur russe. Tout se tient la poutinerie contre le journaliste du Monde et l’indigne repise des narratifs poutiniens sur la guerre en Ukraine. Malaise chez certain.e.s insoumis.e.s.
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Gauche(s) Reportage
Ukraine : aux Amfis, La France insoumise rattrapée par son campisme
De nouveau, Jean-Luc Mélenchon a estimé que le départ de Volodymyr Zelensky était la condition d’un accord de paix avec la Russie et a raillé la « fable » sur les intentions belliqueuses de Vladimir Poutine en Europe. Sa négligence vis-à-vis de l’impérialisme russe n’est pas sans poser des questions à certains militants insoumis.
Mathieu Dejean
Mediapart 23 août 2025 à 19h35
Châteauneuf-sur-Isère (Drôme).– Vendredi soir, lors d’un discours fleuve de deux heures qu’il a tenu devant quelque 3 000 personnes réunies aux Amfis – l’université d’été de La France insoumise (LFI) –, Jean-Luc Mélenchon a, de nouveau, rabroué le président ukrainien Volodymyr Zelensky. « Qui va signer l’accord de paix ? M. Zelensky, dites-vous ? Vous plaisantez ? Il n’est président de rien. Depuis le mois de mai dernier, son mandat est arrivé à terme », a-t-il affirmé. Dès fin 2023, la tenue de l’élection présidentielle faisait l’unanimité contre elle en Ukraine, alors que beaucoup de personnes ne pouvaient pas voter en raison de la guerre.
Et Jean-Luc Mélenchon d’embrayer sur le « besoin d’un président légitime » pour qu’une fois la paix retrouvée, l’Europe réclame du gouvernement ukrainien les « valeurs éternelles » qu’elle défend : la « liberté démocratique », autrement dit le rétablissement des droits des syndicats et de l’opposition. Quant aux garanties de sécurité contre une nouvelle agression russe – qui sont au cœur des négociations depuis le 18 août –, il a insisté sur leur caractère « mutuel », autrement dit pour qu’elles soient données « à l’Ukraine bien sûr, mais à la Russie aussi ».
Tout en rappelant que LFI a accueilli des opposants russes à Poutine, il a redit qu’à ses yeux, une déclaration de guerre avait été « faite à la Russie » quand les pays de l’Union européenne et Donald Trump ont déclaré qu’ils accepteraient l’intégration de l’Ukraine et de la Géorgie à l’Otan. Enfin, il a raillé la « fable » sur les intentions belliqueuses de la Russie en Europe, renvoyant ces inquiétudes à une propagande de guerre cachant que « 80 % des dépenses d’armement dans le monde sont faites par l’Otan [ce chiffre serait plutôt de 55 % en 2024, selon le Stockholm International Peace Research Institute – ndlr] ».
Deux poids, deux mesures
À celles et ceux qui s’étonneraient du paradoxe consistant à voir le gouvernement ukrainien pilonné par le dirigeant de LFI au sujet des libertés démocratiques, et le chef de l’État russe Vladimir Poutine remarquablement épargné, Jean-Luc Mélenchon a répondu d’une parade sommaire : « On dirait la même chose à M. Poutine, mais nous avons moins de moyens de pression sur lui que nous n’en avons sur le gouvernement de l’Ukraine. » Fermez le ban.
Le triple candidat à la présidentielle réplique ainsi aux critiques qu’il a reçues après son billet de blog du 14 août, à la veille du sommet Trump/Poutine en Alaska, dans lequel il estimait déjà que l’Ukraine ne « peut plus gagner » la guerre et que « le départ de Zelenski [sic] est la condition de l’accord ».
Ces déclarations, passées relativement inaperçues au milieu de l’été, avaient suscité quelques réactions, dont celle du syndicaliste Vincent Présumey, ancien militant, comme Jean-Luc Mélenchon, de l’Organisation communiste internationaliste (OCI). Celui-ci avait dénoncé son campisme dans un billet de blog cinglant, jugeant que son discours relevait de la méthode Coué.
Les cadres de LFI interrogés à ce sujet ont d’ailleurs éprouvé quelques difficultés à faire son exégèse. « Malheureusement, l’Ukraine va se retrouver dans une situation où elle va devoir accepter des conditions de paix défavorables », déclarait Manuel Bompard sur France Info, disant « craindre » que le départ de Zelensky se produise.
Interrogée à ce sujet samedi aux Amfis, Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, développait : « Si l’accord de paix est conclu avec Zelensky et qu’il y a une présidentielle en Ukraine ensuite, que faites-vous si la personne qui est élue conteste l’accord de paix ? Comment le rend-on durable ? » Assumant les déclarations de Jean-Luc Mélenchon sur les risques que fait courir un élargissement de l’Otan aux frontières de la Russie, elle se défend pour autant de toute complaisance envers le régime de Poutine.
Les mentions du peuple ukrainien sont cependant rares aux Amfis.
Pourtant, les relations internationales sont bien représentées dans le programme très riche de ces universités d’été : plusieurs débats ont été consacrés à la paix au XXIe siècle, à l’économie de guerre, à la guerre commerciale de Trump ou encore au génocide à Gaza. Mais les mots « anti-impérialisme », « internationalisme », « Ukraine » ou « Poutine » sont absents. Comme si l’engagement pour la paix et pour le droit international de LFI, très vivace pour la Palestine, n’avait pas la même vigueur pour l’Ukraine.
Des militants pas tous alignés
Cette aporie n’a pas échappé à certain·es militant·es insoumis·es. Samedi matin, à la fin d’une table ronde intitulée « Économie de guerre ou économie de paix ? », un militant insoumis grenoblois, François* (prénom modifié à sa demande), a fait part de sa surprise : « Ce qui me fait tiquer dans les propos de Jean-Luc Mélenchon, c’est qu’on a l’air de sous-estimer le danger spécifique de la Russie de Poutine. Je comprends que les Ukrainiens se battent : ils ne veulent pas de son projet de société. Les médias français diabolisent-ils, de votre point de vue, le pouvoir de Poutine pour justifier tout le reste ? », a-t-il demandé.
Le temps d’échange n’aura pas permis au député LFI Aurélien Saintoul de répondre précisément à cette question. « Ça aurait mérité une séance de une heure heures trente », regrettait une militante, qui échangeait avec son camarade après la fin du débat.
« J’aurais aimé que Jean-Luc Mélenchon ait le sens de l’équilibre. Il demande plein de choses au pays agressé et reprend la thèse des Russes selon laquelle Zelensky n’est plus légitime, mais c’est une situation extraordinaire que vit l’Ukraine !, alerte François. Qu’il y ait besoin d’une démocratie plus grande en Ukraine est sans doute vrai, mais est-ce que c’est ce qu’il fallait dire aujourd’hui sur ce sujet-là ? Je ne dois pas être le seul à penser ça. Les camarades sont gênés. »
Le militant, septuagénaire et ancien maoïste, attribue la focalisation de Jean-Luc Mélenchon sur l’impérialisme états-unien à un effet de génération : « On a été biberonnés à l’anti-impérialisme américain. Mais il faut tenir les deux bouts aujourd’hui encore, comme à l’époque vis-à-vis de l’Union soviétique », déclare-t-il.
Si LFI se targue d’avoir anticipé que la guerre en Ukraine ne s’achèverait pas militairement mais par la voie diplomatique, ses commentaires sur les moyens de parvenir à l’accord de paix laissent donc certain·es militant·es sceptiques. Et les autres partis de gauche ne sont pas en reste. Le 21 août, la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, déclarait ainsi aux journées d’été de son parti : « La paix ne sera pas le fruit d’une déstabilisation du pouvoir ukrainien, comme semblent le penser certains irresponsables politiques français. »
Interrogé par Mediapart aux universités d’été du Parti communiste français (PCF) à Montpellier (Hérault), Vincent Boulet, responsable du secteur international, se distinguait aussi à propos d’un éventuel départ de Zelensky : « C’est le peuple ukrainien qui doit décider de cela », tout en partageant avec LFI l’idée d’un « conflit à plusieurs étages ». « L’extension de l’Otan vers l’est va à l’encontre de la sécurité collective », commentait-il.
Ces hésitations coïncident avec les recompositions en cours de la gauche antimilitariste. Fin février, le clash entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky avait amené les responsables de gauche à réviser parfois leurs positions. « On avait, historiquement, un désaccord sur l’Otan, mais depuis la semaine dernière, le campisme comme l’atlantisme sont morts », jugeait alors la députée Clémentine Autain, ex-Insoumise et cofondatrice de L’Après.
Malgré tout, alors que des militant·es antifascistes ukrainien·nes tombent au front, le campisme n’a pas dit son dernier mot.
Mathieu Dejean
Boîte noire
L’auteur de cet article est membre du SNJ-CGT. Il a cosigné, avec ses collègues présent·es aux Amfis, une lettre à Manuel Bompard pour protester contre l’éviction d’Olivier Pérou (voir notre article).
Suite à la décision de LFI ne pas accréditer le journaliste du Monde Olivier Pérou à ses Amfis, Mediapart a réagi par la voix de sa présidente qui a rappelé qu’un parti ne choisit pas ses journalistes, et de sa SDJ. Les journalistes présents à cette université d’été, dont celui de Mediapart, ont également signifié leur protestation à la direction de LFI.
S’est posée à nous la question de savoir s’il fallait rester ou quitter l’événement (Libération a opté pour ce second choix). Comment marquer notre solidarité envers un confrère et assurer tout à la fois notre mission d’informer ?
Décision a été prise de rester pour poursuivre notre travail, tout en rappelant dans chacun des articles consacrés aux universités d’été de LFI notre indignation face à une atteinte manifeste à la liberté de la presse, condition sine qua non au droit fondamental à l’information de tous et toutes.
Ce champ est nécessaire.

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