
En convoquant l’Assemblée pour lui poser la question de confiance le 8 septembre sur la question générale de la dette, le premier ministre tente d’éviter un débat sur la politique économique menée depuis 2017 et de réduire le mouvement social à une force de chaos. Mais son pari est très risqué.
François Bayrou tente le passage en force. À l’issue d’une conférence de presse où il a de nouveau martelé son récit de dramatisation de la situation financière de la France, le premier ministre a annoncé qu’il convoquerait le 8 septembre l’Assemblée en session extraordinaire et qu’il engagerait la responsabilité de son gouvernement autour d’une déclaration de politique générale portant sur la question de la dette publique (comme le permet l’article 49-1 de la Constitution).
Cette annonce ne s’est, en parallèle, accompagnée d’aucune autre. Pendant six semaines, François Bayrou a claironné à longueur d’entretien et de portrait que lui ne partirait pas en vacances. À l’écouter ce 25 août, on comprend ce qu’il a fait durant ces vacances studieuses : principalement regarder la télévision. Il a donc entamé sa prise de parole par une lente et pénible énumération des grands titres de ces deux derniers mois.
Puis il a repris le cours de son discours du 15 juillet. Tout était parfaitement à sa place. Encore une fois, il a fallu entendre que le « moment était décisif et important », que « le pays est en danger par le risque du surendettement ». Encore une fois, on a eu droit aux mêmes images : l’État serait devenu comme une famille surendettée, nos enfants seraient en péril, les Français seraient « tous » drogués à la dépense publique, notre destin serait celui de la Grèce des années 2010…
Seul changement notable : le rythme d’augmentation de la dette publique n’était plus de 5 000 euros par seconde comme en juillet, mais de 12 millions d’euros par heure… En revanche, les 104 milliards d’euros de charge de la dette ont bien, comme en juillet, été déclinés en « cent quatre fois mille millions d’euros ». Derrière ce pénible exercice de style où François Bayrou aimerait se draper dans la toge de Cassandre, il y a une réalité politique : sa « vérité », celle qu’il avait proclamée le 15 juillet, est la seule et elle doit entrer dans la tête des Français et dans le vote des parlementaires. D’où ce défi du 8 septembre.
L’austérité ou le chaos ?
Pour justifier sa démarche, François Bayrou a caricaturé la situation. D’un côté, il y aurait lui, qui seul contre tous défend la « vérité » de la situation française, et de l’autre, il y aurait les forces du chaos, réduites par le premier ministre à La France insoumise (LFI) et, plus particulièrement, à Jean-Luc Mélenchon. Ce récit est aussi simpliste que son discours sur la dette, mais il permet de réduire non seulement le mouvement du 10 septembre, mais aussi l’ensemble de l’opposition syndicale à son plan à une force de déstabilisation et de désordre. Des forces qu’à demi-mot il rejette dans une forme d’anti-France, lorsqu’il dit : « Ce n’est pas cela la France, abattre par le désordre. »
François Bayrou aime à se comparer à Pierre Mendès France, il l’a redit dans une réponse à une question des journalistes. La mise en scène de son potentiel sacrifice devant le Parlement cherche d’ailleurs à pousser cette comparaison. Mais la réalité est très différente. François Bayrou s’inscrit ici dans la lignée des politiques les plus conservateurs de l’histoire de notre pays : discréditer le mouvement social comme « chaos ». Ou la France accepte une politique conforme aux intérêts du capital, ou elle sombre dans le désordre. C’est revenir aux chantages de la droite de 1848 ou de 1871.
Au reste, derrière ses postures sacrificielles, François Bayrou maintient son cap. En posant une question de principe au Parlement et en tentant d’exclure toute discussion sur les mesures, il tente un tour de passe-passe : celui d’éviter le débat sur le fond de la politique économique menée depuis 2017 et qui a profondément échoué depuis. Car l’augmentation du ratio d’endettement de l’État a une double source : la faiblesse des recettes et la faiblesse de la croissance.
Or, cette double source, elle, a une seule cause : l’échec profond de la politique de l’offre à base de cadeaux fiscaux sur le capital qui était censée faire repartir la croissance et les recettes. Si la France est « surendettée », comme le martèle sans cesse François Bayrou, c’est d’abord à cause des politiques qu’il a soutenues depuis huit ans. Rappelons qu’Emmanuel Macron est président de la République en grande partie grâce à son ralliement.
Le coup du 8 septembre est donc une manœuvre dilatoire visant à mettre en face d’une éventuelle mobilisation du 10 septembre la légitimité parlementaire. C’est opposer, comme le faisait Adolphe Thiers, le « peuple » qui parle par la voix de ses représentants à la « vile multitude » qui s’exprime dans la rue. Et si le vote lui est acquis, François Bayrou pourra alors organiser le débat comme il le souhaite, en évitant la remise en cause profonde de la politique économique actuelle.
Car c’est ce qui frappe le plus dans le discours du premier ministre : il fustige les gouvernements dispendieux du passé, mais jamais la politique qu’ils ont menée par ailleurs. Il a même osé prétendre que les aides aux entreprises étaient en réalité des « aides aux salariés ». Il n’a pas évoqué la baisse de l’impôt sur le capital mise en place avec le prélèvement forfaitaire unique et la fin de l’impôt de solidarité sur la fortune.
La question fiscale n’a pas été évoquée une seule fois dans son discours de ce 25 août, preuve que le but de la manœuvre est toujours le même : réaliser l’ajustement budgétaire sans hausse d’impôts notables sur le capital, c’est-à-dire faire payer l’addition aux plus fragiles, à travers la redistribution sociale, l’hôpital et les services publics.
C’est parce que prendre la dette comme point de départ est une erreur. L’endettement public est le fruit de déséquilibres et de politiques. Ce n’est pas, comme le prétend François Bayrou avec son lyrisme lent et fatigué, le fruit d’une addiction, c’est le fruit de choix d’organisation au sein du capitalisme français.
Pendant des années, on nous a dit, du rapport Olivennes au rapport Attali, qu’il fallait baisser les impôts sur le capital pour réduire la dette. Lorsque Emmanuel Macron l’a fait, la dette s’est envolée. Et, désormais, le but est de ne pas toucher à ces taxes. Parce que la priorité de François Bayrou n’est pas la dette, ce sont les intérêts du capital. Il veut l’austérité pour donner libre champ aux intérêts privés et protéger le capital financier.
François Bayrou joue donc son va-tout pour tenter de faire passer son plan d’austérité. Bien sûr, il a prétendu qu’en cas de succès le 8 septembre, il négocierait les mesures avec les partenaires sociaux et les députés. Mais c’est un leurre. Fort de son succès, le gouvernement poussera son avantage. François Bayrou n’a d’ailleurs pas semblé vouloir revenir sur les aides aux entreprises. Et s’il a parlé de justice dans l’effort, c’est évidemment parce qu’il est prêt, comme son prédécesseur à Matignon Michel Barnier, à une mesure symbolique pour faire passer la casse de l’hôpital public et de l’assurance-chômage.
Mais derrière les discours, une vérité se fait jour : la force du chaos, c’est bien François Bayrou. Comme au moment de la dissolution, le camp macroniste joue aux dés avec l’avenir du pays pour sauvegarder certains intérêts. Ces coups de poker a répétition ne peuvent que troubler les marchés. Et comme c’est précisément ce que ce camp souhaite à la fin pour imposer l’austérité, on peut penser qu’il y a une volonté de jouer la déstabilisation du pays pour tenir la même politique.
Le réel et l’idéologie
Car il sera difficile d’obtenir la confiance (il lui faut obtenir la majorité des suffrages exprimés en sa faveur). LFI et le Parti communiste ont déjà annoncé qu’ils ne voteront pas la confiance au gouvernement. Le président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, a indiqué sur X que « jamais le RN ne votera la confiance à un gouvernement dont les choix font souffrir le peuple français », tout en assurant que son parti était prêt à une « alternance ». Une décision confirmée un peu plus tard par Marine Le Pen : « Nous voterons évidemment contre la confiance au gouvernement de François Bayrou. Seule la dissolution permettra désormais aux Français de choisir leur destin, celui du redressement avec le Rassemblement national », a posté sur X la cheffe de file des députés d’extrême droite.
Le destin du gouvernement Bayrou dépend donc plus que jamais du Parti socialiste (PS). Or, le premier secrétaire du parti, Olivier Faure, a fait savoir dès lundi soir qu’il est « inimaginable que les socialistes votent la confiance au premier ministre ». « Cette espèce de “moi ou le chaos”, cette façon de toujours vouloir faire porter la charge de la responsabilité à ceux qui ne sont pour rien dans la situation désastreuse de nos finances publiques, ça suffit », a encore dit le socialiste.
Voter en faveur du gouvernement Bayrou, c’est voter pour l’aveuglement du chef du gouvernement envers la réalité vécue par les Françaises et les Français. Ce week-end, le locataire de Matignon déclarait à l’AFP : « À la rentrée, il y aura forcément une confrontation entre le réel et les idéologies. »
Pour une fois, il avait raison. Mais pas pour la raison à laquelle il pense, c’est-à-dire le ralliement du Parti socialiste à son récit austéritaire. Pour la raison parfaitement inverse. Le mécontentement qui semble poindre, soit par la mobilisation dans les secteurs touchés, des hôpitaux aux taxis, en passant par les pharmacies, soit par le mouvement appelant à « tout bloquer » le 10 septembre, signifie précisément que le « réel », c’est la réalité vécue par les Français qui rejettent profondément la posture doublement idéologique de Matignon refusant de revenir sur une politique nécrosante et injuste.
En réalité, la main est peut-être désormais aux syndicats. Sans un accord des syndicats, ou du moins des syndicats réformistes, il sera politiquement risqué pour le PS de sauver la tête de François Bayrou. Or, les syndicats sont précisément dans ce réel vécu par les Français. Dès la mi-juillet, une large intersyndicale (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, FSU, Solidaires) a lancé une pétition, dénonçant « un plan d’austérité d’une brutalité inédite ». Plus de 347 000 personnes l’ont signée à ce jour.
L’intersyndicale s’est donné rendez-vous, lundi 1er septembre au siège de la CFDT, « pour examiner ensemble les moyens de réagir pour contrer ce nouvel accès de brutalité envers la société et le monde du travail ». De son côté, FO n’a pas attendu cette rencontre pour lancer un préavis de grève, du 1er septembre au 30 novembre, à destination des « salariés et travailleurs du privé et du public ».
Il faut dire que les syndicats ont pu prendre conscience de la violence du gouvernement. Le 9 août, en plein cœur de l’été, une « feuille de route » envoyée aux partenaires sociaux a proposé de supprimer le lundi de Pâques et le 8 Mai via un dispositif calqué sur la journée de solidarité, instituée depuis 2004. « Les salariés mensualisés et les agents publics ne seront pas rémunérés davantage pour ces nouvelles heures de travail », précise le gouvernement dans ce courrier.
Le même jour, l’exécutif a adressé aux représentants du patronat et des salariés la « lettre de cadrage » pour une énième réforme de l’assurance-chômage. Les ruptures conventionnelles, les conditions pour ouvrir des droits et les salariés qui percevaient de hauts revenus sont dans le viseur afin de réaliser des économies colossales : au moins 4 milliards d’euros par an à partir de 2030.
Les partenaires sociaux sont invités à s’accorder d’ici au 15 novembre sur les pistes du gouvernement. Si aucun accord n’est trouvé, ce qui risque grandement d’arriver, le gouvernement aura les mains libres pour appliquer, seul, de nouvelles coupes drastiques dans les droits des chômeuses et des chômeurs.
À la réception de ces deux documents, les organisations syndicales (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC) ont répliqué, dans un communiqué commun, contre cette « nouvelle attaque en règle » menée en plein été et promis de ne pas se laisser faire.
La CFDT n’a pas mâché ses mots, se déclarant « très déçue et très énervée » par les demandes du gouvernement. Son secrétaire national, Olivier Guivarch, a dénoncé un « un déni de démocratie sociale » car un accord sur l’assurance-chômage avait été arraché fin 2024 par les partenaires sociaux, une première depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Jusqu’alors, l’exécutif avait toujours repris la main et mené ses réformes brutalement, sans concertation.
Mardi 26 août, François Bayrou s’exprimera précisément devant la CFDT. S’il fait la même prestation que cet après-midi, son sort pourrait bien être scellé. Cette session du 8 septembre sera alors, pour lui, l’occasion de saturer une dernière fois l’espace médiatique, un dernier tour de chant qui passera par l’université d’été du Medef et la foire de Châlons-en-Champagne jeudi et vendredi prochain. De plus en plus, François Bayrou ressemble à un coq se pavanant fièrement et sûr de lui dans une basse-cour dont le destin semble scellé.
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