L’implication extrêmement large de la société israéliene dans le génocide de Gaza

Antoine Montpellier

Cette tribune est probablement ce que j’ai lu de plus fort argumentativement parlant sur Israël. A partir d’une citation extraite du film de Francis Ford Coppola, Le Parrain, l’auteur opère une implacable analyse depuis l’intérieur de la société israélienne, il est israélien, avocat de son état, qui met le doigt sur ce que peu veulent voir, l’implication extrêmement large (1) de cette société dans le génocide de Gaza organisé par le gouvernement israélien sous l’égide de ses composantes fascistes. A lire absolument.
(1) L’auteur assume le paradoxe qui lui fait incriminer « toutes les composantes de la société juive du pays » tout en déclarant « Nous sommes peu, mais pas sans poids. Ensemble, nous devons lutter contre notre famille par tous les moyens non violents. » Façon de faire sentir le radical déséquilibre qui lui fait repérer un résidu de « justes », dont il est partie prenante, face à une majorité absolue de « complices » du gouvernement génocidaire. L’existence de ce résidu étant une promesse, et un espoir, promesse et espoir qu’il s’élargira par la mobilisation desdits « résiduels ».
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« C’est ma famille, Kay. Ce n’est pas moi » (Le Parrain)
« Comment continuer à vivre en faisant partie d’un collectif qui commet une extermination ? Comment se lever le matin et regarder dans les yeux l’épicier qui revient de la réserve militaire, le soldat assis au café, la voisine qui a accroché une pancarte « Ensemble nous vaincrons » ? Le plus simple est de regarder Itamar Ben Gvir ou Bezalel Smotrich et de se dire que cela ne nous concerne pas. Le plus apaisant est de penser à ces deux fascistes de bas étage, qui contrairement à leurs homologues italiens ou allemands n’ont ni classe ni esthétique, seulement un racisme sauvage et une cruauté sadique, et de se tranquilliser. Le plus simple est d’entendre Smotrich déclamer qu’il est moral d’affamer les Gazaouis et pas grave de sacrifier les otages. Le plus simple est de mépriser Ben Gvir qui s’excite à l’idée de nettoyage ethnique (« encouragement à l’émigration », comme il l’appelle), et de se dire que ce n’est pas nous.
Mais le projet criminel impardonnable de la destruction de Gaza est un projet panisraélien. Il n’aurait pas pu avoir lieu sans la coopération — active ou silencieuse — de toutes les composantes de la société juive du pays. Le gouvernement a obtenu la loyauté envers ce crime dès les premiers jours de la guerre, quand l’attaque israélienne sur Gaza a pris la forme d’une attaque totale contre tout ce qui est gazaoui, une attaque qui ne prétend même pas se concentrer sur des cibles militaires.
À ce moment-là, quand le tambour de guerre faisait taire les voix qui mettaient en garde contre les crimes de guerre, toutes les composantes de la société se sont retrouvées enchaînées à la complicité du crime. Comme le nouveau venu dans la mafia, qu’on oblige, devant le parrain et ses lieutenants, à abattre un commerçant qui n’a pas payé sa protection, scellant ainsi une alliance de sang avec « la famille », ainsi des centaines de milliers d’Israéliens ont répondu à l’appel à bombarder, à écraser, à effacer et à affamer. Des centaines de milliers qui portent une responsabilité directe dans l’extermination, et des millions, indirectement, liés au pacte criminel et à son déni, ou, quand le déni n’est plus possible — à sa justification. »
« Aujourd’hui, alors que tout est déjà clair et qu’il est difficile de repousser l’accusation de génocide, les Israéliens dans leur ensemble tirent le rideau et poursuivent leur quotidien. Pas un seul ordre professionnel israélien n’ose élever une protestation morale contre l’extermination : ni l’association médicale, muette de façon écœurante face à la destruction systématique du système de santé de Gaza et au meurtre de plus de 1 500 soignants ; ni les syndicats d’enseignants, dont le mutisme face à l’anéantissement du système éducatif de la bande enseigne aux élèves israéliens que tous les êtres humains ne sont pas créés à l’image de Dieu ; ni l’ordre des avocats, dont le président sait réclamer l’arrestation du ministre de la Justice parce qu’il a changé la serrure de son bureau pour humilier la procureure générale, mais ne trouve pas nécessaire de dire un mot sur les projets de transfert et de famine du gouvernement, sur le bombardement des tribunaux de Gaza, sur l’affamement et la maltraitance des prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes transformées en camps de torture, ou sur la collaboration écoeurante de la Cour suprême avec tout cela.
Et les médias israéliens grand public ? Inutile de perdre du temps avec ceux qui s’appellent « journalistes », qui ont comploté pour ne pas rendre compte des souffrances que nous infligeons aux habitants de Gaza — complot qui est un crime professionnel —, qui pendant des mois ont attisé la guerre et permis l’incitation aux crimes, qui continuent d’empêcher toute critique, qui n’ont pas dit un mot contre le meurtre systématique des journalistes à Gaza, ni contre le refus de laisser entrer des journalistes indépendants — ni dans les blindés de Tsahal, ni pour servir les mensonges du porte-parole militaire. Les médias israéliens sont le feu de camp tribal dans lequel Gaza brûle.
On ne choisit pas sa famille, et Israël est ma famille. Et c’est une famille criminelle. Alors comment continuer à vivre avec une telle famille ? Tout est contaminé. Le même soir où Haaretz a publié des dizaines de photos d’enfants faméliques façonnés par nos mains, la chaîne 13 diffusait un reportage promotionnel sur la haute gastronomie israélienne et les étoiles Michelin que nos grands chefs allaient bientôt recevoir.
Michael Corleone [le fils du Parrain qui finira par devenir le Parrain] pensait pouvoir rester dans la famille sans mener une vie criminelle. À la fin, il a hérité de son père et est devenu le parrain de l’organisation mafieuse familiale. Il y a deux façons d’éviter un sort semblable : la première est de divorcer d’avec la famille. Ces deux dernières années, beaucoup ont en effet quitté le pays. Mais il y a une autre option : combattre la famille. Vraiment combattre. Comprendre qu’à ce stade, la famille est l’ennemi. »
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