
Retour sur le sommet Trump/Poutine.
Le sommet Trump/Poutine à Anchorage, en Alaska le 15 août dernier, aura été un moment clef dans la situation internationale présente, pour deux raisons qui ne sont pas celles généralement mises en avant dans la presse.
Celle-ci se demande souvent dans quelle mesure Poutine aurait incliné vers « la paix » sous l’influence de Trump, et autres billevesées. Le premier fait central est tout au contraire que ce sommet a matérialisé et affirmé l’existence de l’Axe Trump/Poutine. Oui, il y a une « internationale réactionnaire », mais attention, celle-ci a pour parrain, en quelque sorte, Vladimir Poutine, et ne se réduit donc pas à un retour agressif et bien réel de l’impérialisme américain. Cet impérialisme cherche l’alliance russe, ce qui se retourne donc contre l’Ukraine et, en fait, contre toute l’Europe.
Le second trait essentiel est que par rapport à l’Ukraine, qu’il s’agissait de faire capituler, ce sommet est un échec, et qu’à partir de là il a dans une large mesure tourné court. L’amitié mafieuse et la complicité des deux chefs s’est étalée à l’avantage de Poutine, mais sans aucun résultat réel – et alors que les manifestations massives pro-ukrainiennes et anti-Trump se produisaient par dizaines en Alaska !
Etats-Unis : la dictature en marche.
L’absence de résultats, abyssale par rapport à ses prétentions de campagne (« j’arrêterais la guerre en un jour »), de Trump, l’affaiblit par rapport à la situation intérieure des Etats-Unis, où il traine aussi de plus en plus la casserole de la sordide affaire Epstein, elle aussi d’ailleurs liée à la Russie : la connexion entre la mafia immobilière (Trump) et la haute spéculation financière et rentière (Maxwell et Epstein), d’une part, la mafia russe (Semion Moiesevitch, le « parrain des parrains », parrains des oligarques des années 1990, renfloueur de Trump et banquier des opérations menées par Poutine à Saint-Pétersbourg, aujourd’hui « disparu »), cette connexion qui fut le terreau de leurs connivences sur le dos des jeunes femmes et des adolescentes, remonte à la fin des années 1980 …
Depuis juin aux Etats-Unis, le Congrès a été mis en « vacances » et n’a pas été consulté sur l’intervention en Iran ; et la Cour suprême a de fait acté que les juges ne peuvent s’opposer aux décrets présidentiels même s’ils sont anticonstitutionnels. Les interventions militaro-policières contre les Etats ont commencé, en Californie dès juin, dans le district fédéral de Washington DC, et au Texas en ayant contraint les élus démocrates, par la menace de la force armée, à être présents et donc à permettre le quorum par lequel la carte électorale de l’Etat a été charcutée, à la demande de Trump, pour lui assurer 5 sièges de plus au prochain Congrès. Il parle maintenant d’envoyer la Garde nationale à Chicago et à New York.
Comme l’a écrit le journaliste politique de premier plan Garret Graff, le basculement vers la dictature, avec sa dimension fasciste – les nervis sont recrutés dans ICE, Immigration and Custums Enforcement – est en marche. Ce point de vue est désormais partagé jusque chez les ex-républicains néo-conservateurs mais attachés à la constitution américaine de 1789 (Liz Cheney). G. Graff va jusqu’à poser la question : « Allons-nous finir « simplement » comme la Hongrie ou irons-nous jusqu’au bout, vers un « Reich américain » ? » – il penche pour cette deuxième possibilité (America Tips Into Fascism, sur son blog Doomsday Scenario du 25 août).
Etats-Unis : la résistance de masse et ses expressions politiques.
La résistance démocratique à la base du corps social est pourtant massive. Rappelons qu’il y a eu très probablement 13 millions de manifestants aux Etats-Unis le 14 juin, sous le double mot-d’ordre NO KING -Trump ne sera pas roi – et au pluriel NO KINGS, les oligarques ne régneront pas.
La question est celle de l’expression politique de cette résistance de masse. Bernie Sanders, adoubant Alexandra Ocasio-Cortez en une extraordinaire tournée de meetings de masse, sur une ligne « lutte de classe pour la démocratie et contre l’oligarchie des milliardaires », jusqu’au tréfonds des Etats républicains du Vieux Sud et du Far West, en a affirmé la nécessité.
Depuis, deux personnalités démocrates nouvelles ont enfin émergé. L’un est issu du mouvement social et, comme un vrai américain immigré, d’origine ougandaise et musulmane : Zohran Mamdani a remporté, haut la main, la primaire démocrate le 25 juin dernier, et est en mesure de gagner la mairie de New York, mais Trump comme l’establishment démocrate veulent, littéralement, sa peau.
L’autre est déjà en place : Gavin Newsom est gouverneur de Californie. Il parle vrai sur Trump : les élections du Congrès en 2026 pourraient être truquées et la prochaine présidentielle ne jamais avoir lieu, dit-il ouvertement. Outre le gerrymandering (charcutage électoral plus que teinté de racisme), Trump veut supprimer le vote par correspondance et a plaisanté, lors de son sommet avec Poutine, sur le fait que la loi martiale c’est bien pratique pour supprimer les élections !
Gavin Newsom affirme sa détermination en appelant les Etats démocrates à faire du charcutage électoral en sens inverse du Texas trumpiste et veut donner l’exemple en Californie. Il y avait une autre voie : celle des manifestations de masse, à Dallas, à Austin, et du refus des élus démocrates de siéger au congrès texan. G. Newsom écarte donc l’action directe de masse au profit des manœuvres plus ou moins légales, alors qu’il y a une majorité d’Etats républicains et qu’il n’est donc pas du tout assuré d’avoir le dessus sur les trumpistes sur ce terrain-là …
Les chefs d’Etat européens pris en étau.
Les enjeux étatsuniens sont mondiaux. Ils se répercutent directement sur l’Ukraine et sur la Palestine, et, entre Trump et Poutine, l’Europe (pas seulement l’Union Européenne mais toute l’Europe) est prise en sandwich, menacée.
Juste après son sommet avec Poutine, Trump a dû accepter que les chefs d’Etat européens viennent le voir avec le président ukrainien Zelensky : Macron (France), Merz (Allemagne), Starmer (Royaume-Uni) -les trois actifs dans cette affaire, avec Stubb (Finlande), qui tout en flattant ridiculement Trump se sont opposés à son acceptation de la demande de Poutine de « négociation sans cessez-le-feu » en Ukraine, et trois qui semblent avoir été muets : Meloni (Italie), Von der Leyen (Commission Européenne) et Rutte (OTAN).
Macron surtout, ainsi que Merz et Starmer, peuvent néanmoins bien gesticuler et se livrer à des manifestations, jusque-là platoniques, d’indépendance : c’est comme dans une grande intersyndicale où la ligne la plus « modérée » s’impose comme plus petit dénominateur commun. En l’occurrence, outre Meloni qui se veut ouvertement trumpiste, Von der Leyen vient d’accorder à Trump une capitulation européenne en rase campagne sur la question des tarifs commerciaux, et Rutte s’est distingué, au sommet de l’OTAN en juin, par un léchage de bottes particulièrement obséquieux.
Les chefs d’Etat européens sont pris en étau et esquissent des réactions autonomes, mais en désordre et en se contredisant, espérant toujours que le grand frère américain les reprendra sous son aile, alors qu’il a signé un pacte avec le Big Brother de l’Est. L’axe Trump/Poutine, c’est le génocide des Palestiniens, le génocide des Ukrainiens au moins dans les zones occupées, la chasse aux migrants, la destruction de l’Etat de droit ; sa forme politique en Europe centrale et occidentale, c’est l’extrême-droite, ou « l’union des droites », au pouvoir.
France, Groenland, Canada, Alberta …
Au moment où sont écrites ces lignes, le ministre des Affaires étrangères français, Jean Noël Barrot, a fait la déclaration la plus virulente qu’on ait entendue, au nom de la France, à ce jour, sur la politique de Trump en Amérique du Nord, déclaration associée à l’envoi d’un navire de guerre français au Groenland, officiellement pour s’entrainer à la fréquentation de la zone arctique :
« Les manœuvres récentes sont inacceptables et irrespectueuses. On ne reconstruit pas la grandeur d’une nation sur la servitude de ses voisins et de ses alliés. Ni sur la projection d’une domination continentale ou hémisphérique ».
Ces propos font suite à des divulgations sur des opérations d’espionnage et de déstabilisation étatsuniens au Groenland, mais ils sont aussi à mettre en relation avec l’alliance qui vient de s’officialiser entre le gouvernement conservateur de l’Alberta et les Etats-Unis en vue d’enfoncer un coin dans la confédération canadienne (1).
La question du pouvoir en Europe.
Disons ce qui est : une Europe capable, donc des gouvernements nationaux européens capables, de faire front, y compris potentiellement au plan militaire, envers les deux ennemis que sont les impérialismes américain et russe, est un besoin mondial urgent, mais il ne s’agit pas de défendre les restes des impérialismes européens – comme les « outremers » français et les Zones Economiques Exclusives, ingérables et disproportionnées, qu’ils sont censés procurer à la France.
L’incapacité de l’UE actuelle éclate dans deux faits :
– la peur de l’affrontement commercial avec Trump conduisant à la capitulation, car les intérêts financiers seraient lésés en cas d’affrontement,
– et le soutien au régime de Vucic en Serbie, régime néo-poutinien auquel Macron vend des Rafales, contre le mouvement révolutionnaire démocratique de la jeunesse et de la majorité du peuple serbe, qui est le plus grand mouvement de la jeunesse, et le plus long, qu’a connu l’Europe depuis l’année 1968, alors qu’une victoire de la répression par les sbires du parti au pouvoir en Serbie porte le risque du retour des guerres balkaniques sous l’ombre de Poutine et d’Orban.
Ce sont là des tests. Mais les tests clefs, les questions clefs, pour défier Poutine et Trump et sauver ce qui reste de droit international, sont tout simplement d’ aider immédiatement l’Ukraine à casser toute progression russe, et d’apporter une aide militaire permettant le forçage humanitaire du blocus de Gaza. Ces deux actes seraient non pas la renaissance, mais la naissance tout court, d’une Europe certes « puissance », mais démocratique et non impérialiste, que ce soit dans le cadre de la soumission aux plus puissants qu’elle ou de la lutte pour avoir les miettes de leur partage du monde.
A rebours du discours qui prétend que « La classe dirigeante européenne mène déjà une guerre par procuration en Ukraine et soutient le génocide israélien contre le peuple palestinien» et fait donc de l’Europe l’ennemi n° 1 comme le veulent Trump et Poutine (il s’agit d’un appel « contre la guerre » diffusé par l’Insoumission et par Informations Ouvrières), les peuples européens ont besoin de gouvernements démocratiques qui les représentent réellement, et prennent en compte les besoins, diplomatiques et militaires comme sociaux et écologiques.
En combattant contre Macron, Bayrou et le RN pour un gouvernement du NFP, ouvrons donc le débat, sur la base du programme du NFP, sur son action diplomatique et militaire !
Vincent Présumey, le 1° septembre 2025.
(1) Le gouvernement conservateur pro-Trump de l’Alberta vient de faire interdire dans les bibliothèques publiques la Servante écarlate de Margaret Atwood.
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