Bayrou : claque de fin

Au terme d’une longue séance parlementaire, la gauche et l’extrême droite ont, sans surprise, renversé le gouvernement en votant contre la confiance au premier ministre. L’Élysée annonce qu’il nommera « dans les tout prochains jours » son successeur. Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, personne, ou presque, ne le regrettera.

8 septembre 2025

Son départ valait-il une messe ? Lundi 8 septembre, c’est à un discours d’adieu aux airs de sermon que s’est livré François Bayrou devant la représentation nationale. Un discours court pour l’exercice – 40 minutes –, manifestement préparé pour tenter de laisser une trace dans l’histoire. Et durant lequel le futur ex-premier ministre n’a pas manqué de se mettre en scène comme la victime expiatoire d’une classe politique obsédée par ce qu’il qualifie de « logiques de marchandage et de divisions ».

Comme il l’avait fait pendant quinze jours dans tous les médias, le chef du gouvernement s’est présenté dans l’hémicycle comme le seul à refuser les « quotidiennes impérities », les dépenses « devenues une addiction » et les « marées de dettes »« Je crois au compromis, mais quand il respecte l’essentiel : la hiérarchie des ordres et des urgences », a seriné, sans verser dans la moindre autocritique, celui dont le dernier discours commençait par le mot « épreuve » et s’achevait par celui de « courage ».

François Bayrou lors de son discours devant l’Assemblée nationale, le 8 septembre 2025. © Photo Jeanne Accorsini / Sipa

Sans surprise, cette ode du premier ministre à sa propre bravoure n’a pas convaincu grand monde. À 19 heures, la présidente de l’Assemblée nationale a confirmé ce que chacun·e savait déjà depuis plusieurs jours : pour la première fois de l’histoire de la Ve République, un gouvernement est tombé sur un vote de confiance. Seul·es 194 député·es ont accordé leur confiance à François Bayrou, quand 364 ont voté contre.

« Conformément à l’article 50, le premier ministre doit remettre au président de la République la démission du gouvernement », a notifié Yaël Braun-Pivet, avant de lever la séance. Dans un communiqué de l’Élysée publié quelques minutes plus tard, Emmanuel Macron a « pris acte » de ce résultat et annoncé qu’il nommerait « dans les tout prochains jours » son successeur.

Bayrou sous le feu des critiques

Sur les bancs des député·es, les esprits étaient de toute façon déjà ailleurs : dans cet après-Bayrou si incertain, Olivier Faure croquait la scène sur son cahier de dessin ; le député siégeant avec les communistes Emmanuel Maurel était plongé dans la lecture de L’Humeur révolutionnaire de Robert Darnton ; les macronistes pianotaient sur leur portable… Assis au premier balcon, Jean-Luc Mélenchon avait une fois encore fait le déplacement pour assister à ce petit moment d’histoire devenu presque ordinaire depuis deux ans. Tout comme la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, installée quelques rangées plus loin.

Aussitôt les derniers mots de François Bayrou prononcés, les deux se sont retirés, et Boris Vallaud, président du groupe socialiste, est monté à la tribune pour réitérer l’offre de service du parti d’Olivier Faure au président de la République : « Nous sommes prêts, qu’il [Emmanuel Macron – ndlr] vienne nous chercher ! », a-t-il déclaré, dans un clin d’œil à la désastreuse affaire Benalla.

« Votre numéro de prophète de pacotille n’amuse plus personne », a ensuite fustigé Mathilde Panot à la tribune. La présidente du groupe La France insoumise (LFI) a dénoncé « la violence » de la politique d’Emmanuel Macron et de son premier ministre, taxée d’« imposture » et qualifiée de « danger pour le pays », avant de se projeter vers la mobilisation sociale à venir : « La ruine que vous avez produite n’est pas uniquement économique, elle est aussi morale. […] Vous avez raison d’avoir peur. Le 10 septembre agit comme un formidable encouragement à l’action. »

La dissolution n’est pas une option, mais une obligation.

Marine Le Pen

Les membres de la coalition gouvernementale ont de nouveau tenté d’appeler à l’esprit de responsabilité de la représentation nationale face à la situation du pays. Président du groupe macroniste et du parti Renaissance, ancien premier ministre, membre de gouvernements successifs depuis sept ans, Gabriel Attal a même osé déplorer « une politique malade des certitudes, des lignes rouges, des oukazes ».

« Faisons enfin passer les idées d’abord, et ayons le courage du dialogue », a-t-il imploré, feignant d’ignorer les conséquences de huit années de pratique du pouvoir. Dans son groupe, une seule députée n’a pas voté la confiance : Violette Spillebout, corapporteuse de la commission d’enquête sur Notre-Dame-de-Bétharram, qui s’est abstenue.

© Infographie Mediapart

Quelques minutes plus tôt, Laurent Wauquiez, patron des député·es Droite républicaine (DR), avait annoncé voter « sans enthousiasme » la confiance, tout en laissant la liberté de vote à ses troupes. Soucieux de ne pas apparaître inféodé au projet budgétaire du premier ministre, il a tout de même tenu à dénoncer « les 365 jours fériés de ceux qui ne travaillent pas et profitent de l’assistanat » et martelé sa conception toute particulière de l’arc républicain.

« L’extrême gauche est le premier danger politique pour la République française », a cinglé celui qui appelle à une union des droites jusqu’à la zemmouriste Sarah Knafo. Finalement, 13 députés du groupe ont voté contre et 9 se sont abstenus. Seuls 27 membres du groupe LR ont soutenu le gouvernement auquel ils participent.

Un départ sans regrets

À la tribune, l’encore premier ministre a prétendu dénoncer les « solutions de facilité » de celles et ceux pour qui « ce sont les étrangers qui sont la cause de tout et c’est auprès de ceux-là que nous gaspillons notre argent »En réalité, François Bayrou aura tenté jusqu’à la fin d’assurer sa survie en donnant des gages à la droite et à l’extrême droite.

Face aux député·es, il s’est félicité d’avoir, à quelques jours du vote de confiance, engagé une réforme de l’aide médicale d’État (AME), qui priverait de tout accès aux soins des dizaines de milliers de personnes étrangères en situation irrégulière. Un dispositif dans le viseur de Bruno Retailleau, d’Éric Ciotti et de Marine Le Pen réunis.

Cette tentative de séduction du Rassemblement national (RN) n’a pas fonctionné. L’intégralité du groupe de Marine Le Pen a voté contre la confiance, tout comme le groupe allié d’Éric Ciotti. Lors de sa prise de parole avant le vote, Marine Le Pen se projetait déjà vers l’étape suivante, en appelant de nouveau Emmanuel Macron à dissoudre l’Assemblée et à convoquer de nouvelles élections législatives pour sortir du blocage.

« La dissolution n’est pas pour lui une option, mais une obligation, a-t-elle estimé. Le président peut faire le choix de renommer un premier ministre qui ne passera probablement pas les discussions budgétaires. Ce choix signerait donc l’enlisement institutionnel du pays. » Deux heures avant le vote, le député RN Nicolas Meizonnet se disait, lui, déjà prêt à de nouvelles législatives. « Je n’ai aucun problème à repartir en campagne, j’ai déjà mes affiches et mes tracts », assure l’élu du Gard.

Toujours en quête de respectabilité, Marine Le Pen continue de se garder d’appeler officiellement le chef de l’État à démissionner. À la tribune, la triple candidate à l’élection présidentielle a notamment invoqué « la haute conception [qu’elle a] de nos institutions ». Il y a encore quelques mois, la même attaquait pourtant violemment les juges après sa condamnation à deux ans de prison ferme et à cinq ans d’inéligibilité immédiate pour détournements de fonds publics dans l’affaire des assistants parlementaires européens.

Hasard du calendrier, la cheffe de file des député·es RN a justement appris quelques heures avant le vote de confiance que son procès en appel aurait lieu du 13 janvier au 12 février 2026. Soit en pleine campagne électorale pour les municipales de mars 2026, comme le redoutait l’état-major du parti d’extrême droite. « Le hasard fait bien les choses pour le système, a persiflé Laurent Jacobelli, porte-parole du mouvement, à l’entrée de l’hémicycle sitôt l’information tombée, dans une allusion à peine voilée à un supposé complot. Tout ça est cousu de fil blanc, la ficelle est un peu grosse. »

Je suis heureux que nous ayons pu partager ce moment.

François Bayrou

L’envie d’en finir et de tourner la page a plané sur toute la séance de lundi. Durant son discours, le premier ministre a d’ailleurs trouvé peu de soutiens sur les bancs du socle commun, qui lui a finalement offert une standing ovation bien sage, comme teintée de soulagement. À gauche, cette chute ne créera « ni regret ni tristesse », a souligné la cheffe du groupe écologiste, Cyrielle Chatelain, quand l’ancien socialiste Emmanuel Maurel se disait « beaucoup déçu » « Je m’attendais à ce qu’un agrégé de lettres classiques soit plus éloquent. Son meilleur discours est son discours d’adieu », glissait-il en souriant.

L’ex-macroniste Sacha Houlié ne trouvait non plus rien à sauver de ce bref mandat aux airs de gigantesque fiasco : « Bayrou, c’était la continuité fiscale de la droite et son agenda sur les sujets régaliens, de la loi sur la justice des mineurs à la loi Duplomb. »

Pas de quoi, pour autant, rendre le député Les Républicains (LR) Philippe Gosselin nostalgique du bref mandat de l’ex-premier ministre : « Je ne comprends toujours pas comment celui qui se préparait à être à Matignon depuis toujours en est arrivé là. Il nous a pris pour des brèles pendant des mois et aujourd’hui, il nous met tous dans la nasse. Aujourd’hui, il sort par la petite porte de l’histoire. »

Pour sa dernière prise de parole dans l’hémicycle, François Bayrou, qui semblait ne pas avoir vécu la même séance que le reste de l’auditoire, a simplement tenu à saluer les membres de son éphémère gouvernement, « une équipe dans laquelle il y avait beaucoup de poids lourds, de solidarité et d’amitié, et qui n’a pas eu une seule tension ». Avant de remercier l’Assemblée qui s’apprêtait à signer la fin de son mandat : « Je suis heureux que nous ayons pu partager ce moment », a-t-il lancé peu avant la chute de son gouvernement.

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