
Signalé par Jean-Mau
Le monde agricole
Pauline Achard
Le lien entre maladie de Parkinson et exposition aux pesticides est scientifiquement prouvé.
| Photographie ©AFP – Georges Gobet
Parkinson est la maladie neurodégénérative qui progresse le plus dans le monde. Il a été démontré qu’une exposition aux pesticides augmente considérablement le risque de développer cette pathologie, reconnue comme maladie professionnelle depuis 2012 en France. Pour prévenir ce fléau évitable, de nombreux acteurs du monde rural et les mutuelles se mobilisent.
Douleurs articulaires, fatigue chronique, puis tremblements… Ses premiers symptômes sont apparus alors qu’elle n’avait
que 49 ans. Un an plus tard, le diagnostic tombe. L’ancienne agricultrice bretonne, désormais âgée de 64 ans, Gisèle Garreau, est atteinte de la maladie de Parkinson. « Un jour, on entre insouciante dans un cabinet médical, puis on en ressort avec une maladie chronique neurodégénérative, incurable », se souvient-elle. Après avoir longtemps aidé ses parents maraîchers sur leur exploitation de pommes de terre en Loire-Atlantique, elle lance sa production de fromage de chèvre avec son mari. Durant plus de 25 ans, elle a été au contact de produits phytosanitaires toxiques, tels que la roténone. L’insecticide, interdit en France depuis 2008, figure parmi les plus susceptibles de déclencher la maladie de
Parkinson pour les personnes qui le manipulent.
Depuis longtemps, le corps scientifique est unanime : le risque de contracter cette pathologie s’intensifie chez les populations exposées professionnellement aux pesticides. Selon le docteur Alexis Elbaz, neurologue et directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), « cette probabilité, en France, serait même de 60% supérieure lorsqu’on est agriculteur ». Il a été démontré par une étude de l’Inserm, qu’il a pilotée en 2017, que les zones viticoles étaient les plus à risque. En effet, « la présence de vignobles augmente l’incidence locale de
la maladie d’environ 10%. La viticulture « conventionnelle », la plus gourmande en pesticides, englobe 20% de l’utilisation totale de ces substances en France, alors qu’elle n’occupe que 3% des surfaces cultivées », abonde France Parkinson dans un rapport publié en avril dernier. Autrement dit, les riverains exposés sont, eux aussi, concernés.
Reconnue comme maladie professionnelle depuis 2012.
Sur le terrain, le Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest, dont Gisèle Garreau est membre, a accompagné humainement, administrativement et juridiquement 480 personnes depuis 2015. « Pour l’essentiel, ils sont paysans, salariés de coopératives, employés d’espaces verts, paysagistes, riverains des épandages de pesticides et presque 40% d’entre eux ont Parkinson », souligne Henri Busnel, porte-parole de l’association.
Des liens solidement documentés, donc. Si bien que la France a reconnu, en 2012, la deuxième maladie neurodégénérative la plus fréquente derrière Alzheimer, comme une maladie professionnelle chez les agriculteurs. Une première dans le monde et, pour l’heure, quasiment aucun pays ne lui a emboîté le pas. Faire valoir ce droit n’est toutefois pas une mince affaire. C’est seulement en 2019, une décennie après l’irruption de ses premiers symptômes, que Gisèle Garreau fait le lien et entame une procédure de reconnaissance. Après un premier rejet, puis un second auprès du Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP), l’ancienne cheffe d’exploitation l’obtient finalement après un recours au tribunal de Saint-Brieuc, en 2022. Un véritable parcours du combattant pour décrocher « une maigre réparation du préjudice qu’elle subit quotidiennement », dénonce-t-elle. Et encore, G. Garreau n’est pas au bout de ses peines. La Sécu lui avait défini un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 67%, mais le fonds d’indemnisation des pesticides (FIVP), lui, ne l’évaluait qu’à 25%, soit 218 euros par mois ! Décision qu’elle a dû
contester, pour qu’une expertise lui donne finalement raison. Si Gisèle Garreau a décidé de se faire poser des électrodes de stimulation dans le cerveau en 2023, pour tenter de soulager quelque peu des symptômes devenus « infernaux », elle ne sera jamais guérie. Une grande souffrance pour toutes ces personnes du monde paysan, qui auraient pu éviter d’être atteintes par cette maladie chronique.
Levée de boucliers des mutuelles. Les conséquences d’une exposition prolongée aux pesticides, responsables de plusieurs affections de longue durée
(ALD) telles que Parkinson, pèsent par ailleurs lourd sur le système de santé tricolore, aussi robuste soit-il. En 2022, un
rapport du Bureau d’analyse sociétale d’intérêt collectif (Basic) estimait que les effets de ces produits phytosanitaires avaient engendré au moins 372 millions d’euros de dépenses publiques sur 2017 en France. Et 48,5 millions d’euros de cette somme correspondent aux dépenses de santé. C’est pourquoi l’association des Mutuelles pour la santé planétaire, parmi lesquelles une vingtaine de mutuelles qui protègent plus de 7 millions de personnes en France, se mobilisent aux côtés d’autres mutuelles en Europe pour maintenir l’objectif de réduction de 50% de l’utilisation des pesticides dans l’Union européenne d’ici 2030. Et promouvoir l’agriculture biologique.
« Il est temps d’arrêter cet empoisonnement bien documenté », alerte Martin Rieussec-Fournier, le président de l’association. D’après les chiffres de l’Assurance maladie, le régime des ALD concernait en 2022 13,8 millions de personnes, pour 17,6 millions d’affections reconnues. « Cela représentait 20,1 % de la population et 66,1 % des remboursements effectués par l’Assurance maladie », précise l’ouvrage Santé Planétaire – Le temps des solutions
mutualistes, coécrit par ce dernier et paru début octobre aux éditions Les Liens qui Libèrent.
Ce lundi 6 octobre, l’association organise, aux côtés de dizaines d’autres organisations, la signature du serment de Cambrai, dans les Hauts-de-France. Une étape majeure de la campagne de sensibilisation, baptisée « l’Odyssée pour notre santé en Europe » des Mutuelles pour la santé planétaire, visant à promouvoir « une nouvelle trajectoire de santé publique avec une alimentation et une agriculture sans pesticides ».
A ce jour, de nombreuses molécules ont été testées comme plus à risque que d’autres, tels que le paraquat ou le
dieldrine, désormais interdits en Europe. Une étude américaine a révélé en 2023 que, parmi les produits phytosanitaires augmentant ce risque, il fallait aussi compter le folpel, un fongicide, ou le sulfate de cuivre, notamment utilisé dans les
vignes, et qui sont encore utilisés en France.
« A qui profite ce crime ? Aux grands industriels »
Mais si ce sont des pistes à prendre en compte, « le danger est plus vaste », explique l’épidémiologiste Alexis Elbaz. « En effet, même certains pesticides qui ont été interdits en Europe sont encore présents dans les sols, l’eau, ou même les graisses dans le corps, comme c’est le cas pour les insecticides organochlorés ». Pour le directeur de recherche, les tests d’évaluation des risques sont encore trop insuffisants avant l’autorisation d’un pesticide sur le marché. « Et à qui profite ce crime », s’interroge Gisèle Garreau ? « La réponse est simple : aux grands industriels ».
« Le principe de précaution et la prévention doivent être des priorités absolues pour ralentir la progression du nombre de personnes malades », explique France Parkinson, de même que toute la communauté scientifique. Pour cela, « il faut flécher plus d’argent public dans cette direction », selon le porte-parole de l’association Générations Futures, chargé des questions politiques et scientifiques, François Veillerette. « Accompagner l’agriculteur bio plutôt que gaver les grosses exploitations et un système libéral, en cédant aux pressions de la FNSEA, est une question de santé publique », poursuit-il.Pour l’ancienne agricultrice, Gisèle Garreau : « ce sont des choix politiques ; je dois vivre dans mon corps tous les jours,
je ne veux plus entendre personne me parler de compétitivité alors qu’on empoisonne le monde, ça suffit ! ».
Poster un Commentaire