Ne pas censurer Lecornu : le PS assume son « pari » hasardeux

Après l’annonce de la suspension de la réforme des retraites, les troupes d’Olivier Faure se targuent d’avoir remporté une « victoire politique ». Quoi qu’en disent les socialistes, celle-ci n’efface pas un budget complaisant avec les ultrariches et une fracture indélébile à gauche.

Sarah Benhaïda et Mathieu Dejean

Est-ce que le gouvernement est prêt à un nouveau débat sur l’avenir de notre système de retraite ? La réponse est oui. » Au milieu d’une déclaration de politique générale exceptionnellement courte, mardi 14 octobre à l’Assemblée nationale, Sébastien Lecornu s’est débarrassé de l’épée de Damoclès de la censure immédiate, suspendue au-dessus de lui depuis sa renomination à Matignon.

Si les bancs du groupe socialiste sont d’abord restés stoïques, ils ont fini par applaudir quelques secondes plus tard quand le premier ministre a annoncé la suspension de la réforme Borne « jusqu’à l’élection présidentielle », répondant explicitement à la demande de la CFDT, et allant dans le sens des exigences du Parti socialiste (PS), qui réclamait aussi la suspension de l’allongement des durées de cotisation.

Olivier Faure et Boris Vallaud après son discours en réponse à la déclaration de politique générale du premier ministre à l’Assemblée nationale, le 14 octobre 2025. © Photo Raphaël Lafargue / Abaca

Il suffisait d’observer, à ce moment du discours, le sourire d’Olivier Faure pour comprendre le sentiment de victoire qui a gagné ses troupes. Après avoir revendiqué en vain le gouvernement dans la foulée de la chute de François Bayrou, le premier secrétaire du PS a misé sur la négociation avec le premier ministre – qu’il avait salué comme le dernier « gaulliste » au moment de sa démission – afin d’éviter une nouvelle chute du gouvernement.

L’éventualité d’une dissolution, avec le risque d’une victoire du Rassemblement national (RN) et de pertes sèches pour la gauche en cas de division, a évidemment pesé dans la balance. Élu·es sur un programme demandant l’abrogation de la réforme des retraites, les socialistes ont donc préféré laisser vivre le gouvernement Lecornu II en échange d’une simple suspension – avec à la clé une « conférence sur les retraites et le travail » rappelant le « conclave » de François Bayrou.

Le PS se félicite d’une « victoire »

Toute la journée, les réunions du parti et du groupe socialiste à l’Assemblée se sont enchaînées pour ajuster la position. Les consultations à l’Élysée, la semaine dernière, avaient refroidi les plus optimistes, laissant planer l’option d’une censure pendant tout le week-end. Samedi, le courant « Avenir socialiste » dont sont membres les député·es Fatiha Keloua Hachi, Pierrick Courbon et Paul Christophle, appelait même « à voter sans délai une motion de censure, avec l’ensemble de la gauche et des écologistes » car « les socialistes n’ont pas vocation à devenir la béquille d’un macronisme finissant ».

Lundi soir, La France insoumise (LFI), qui n’a assisté à aucune des réunions de la gauche incluant le PS depuis la démission de Sébastien Lecornu, tentait encore un appel du pied : « Nous ne pouvons pas croire que le Parti socialiste puisse refuser de censurer à nouveau un gouvernement macroniste et nous l’appelons à voter la censure aux côtés des forces du Nouveau Front populaire », disait l’un de ses communiqués. Les Écologistes, les communistes et les Insoumis appellent d’ailleurs à voter la censure dès jeudi.

Comme en janvier, lorsqu’il offrait un sursis au gouvernement de François Bayrou, le PS ouvre donc une nouvelle brèche dans l’union de la gauche, en permettant à Sébastien Lecornu, ministre d’Emmanuel Macron depuis 2017, de se maintenir au pouvoir. Mardi matin, des député·es de gauche et écologistes ont tenté d’avertir l’état-major socialiste, en contactant individuellement Olivier Faure, puis lors d’une réunion. « Si on veut combattre l’extrême droite, on ne peut pas se faire doubler par elle dans le combat face à la Macronie. Et il faut qu’on apparaisse groupés », leur a-t-on expliqué en substance.

Les députés socialistes et apparentés assument de ne pas vouloir livrer, sans combat ici dans l’hémicycle, la République à ses ennemis mortels.

Boris Vallaud, président du groupe PS

Mais le PS est resté sourd à ces avertissements venus de la gauche, persuadé de sortir gagnant s’il prouvait qu’il était « utile » aux Français·es en obtenant des avancées. Peu avant le discours de Sébastien Lecornu, le bureau national du parti a fait paraître un communiqué rappelant encore ses exigences : suspension de la réforme des retraites, non-recours au 49-3, assouplissement de la trajectoire budgétaire. Autant d’éléments repris presque mot pour mot par le premier ministre, confirmant que les négociations avec lui avaient porté leurs fruits.

Malgré le ton combatif qu’il a pris à la tribune de l’Assemblée, le président du groupe socialiste, Boris Vallaud, a donc logiquement pris le point en remerciant les organisations syndicales : « C’est une victoire assurément : 3,5 millions de nos concitoyens dont la vie va changer », a-t-il affirmé, avant d’annoncer la non-censure de son groupe. « Les députés socialistes et apparentés assument de ne pas vouloir livrer, sans combat ici dans l’hémicycle, la République à ses ennemis mortels », a-t-il dit en référence à l’extrême droite.

Le prix à payer est cependant élevé. Si en apparence les socialistes enregistrent un succès, c’est sur fond d’un budget pas plus ambitieux que les précédents en matière de justice fiscale. Celui-ci a fuité le matin même et, de l’avis de l’économiste Gabriel Zucman, « tout a été fait pour épargner Bernard Arnault et les milliardaires français ». Pour une petite victoire sur les retraites, le PS concède donc beaucoup par rapport à ses exigences initiales – taxation des hauts patrimoines et geste pour les bas salaires.

Mais comme le précise le député socialiste Laurent Baumel, « en s’engageant à ne pas censurer, [le PS] ne s’engage pas non plus à voter le budget ». En effet, nombre d’élu·es PS insistent sur le fait que le budget ne sera sans doute pas adoptable par la gauche à l’issue de la discussion parlementaire, et que la censure pourrait alors s’imposer. « Nous sommes capables de faire des compromis […] autant que de renverser des gouvernements, nous l’avons fait deux fois », n’a pas manqué de rappeler Boris Vallaud, en fin d’allocution.

Le reste de la gauche déplore une faute politique

Mais le sursis accordé à Sébastien Lecornu a des effets de bord immédiats à gauche. « Pour l’union maintenant, c’est mort », lâche une députée écologiste, dépitée. Car les autres groupes de l’ex-NFP ont redit leur opposition ferme à ce gouvernement. À la tribune, le communiste Stéphane Peu, président du groupe de la gauche démocrate et républicaine (GDR), a dénoncé un « projet de budget [qui] n’est qu’un concentré de mépris de classe », affirmant que « Bayrou et Lecornu, c’est blanc bonnet et bonnet blanc ».

La présidente du groupe écologiste, Cyrielle Chatelain, a pour sa part accusé le premier ministre de « marchandage » et d’avoir fait de la suspension de la réforme des retraites « l’assurance-vie des macronistes ». Dans ces conditions, a-t-elle poursuivi, « le groupe ira à la censure » contre l’« accaparement du pouvoir par Emmanuel Macron ».

Les socialistes permettent aux macronistes de se maintenir au pouvoir pour des clopinettes.

Clémentine Autain, députée membre du groupe écologiste et social

« La suspension est une victoire partielle, qui ne vaut pas abrogation. C’est un décalage de l’application de la réforme, et il est compensé par une baisse du budget de la Sécurité sociale. L’arbre de la suspension ne doit pas cacher la forêt de la continuité de la politique macroniste », abonde la députée écologiste Clémentine Autain. Pour elle, la non-censure des socialistes revient à « reculer pour mal sauter » « Va-t-on éviter une dissolution ? Ce n’est pas du tout sûr, mais entre-temps on aura perdu en cohérence à gauche. Les socialistes permettent aux macronistes de se maintenir au pouvoir pour des clopinettes. C’est la logique du moindre mal. »

Par ailleurs, de nombreux responsables de gauche s’inquiètent des effets à moyen terme d’une non-censure du PS dans la course de vitesse engagée contre l’extrême droite. « Si j’ai la hantise de favoriser l’accession au pouvoir du RN, je suis aussi pris dans un étau, car je considère que laisser poursuivre les politiques macronistes telles qu’elles sont conduites depuis huit ans est le meilleur carburant pour renforcer l’extrême droite », confie le député socialiste Pierrick Courbon, favorable à la censure.

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