Incarcération de Sarkozy : la gauche n’a rien à dire

Silence de Mélenchon, réaction bien molle du premier secrétaire du Parti socialiste… Prises en étau entre le risque de conforter l’idée d’un « procès politique » et celui, plus prosaïque, de rappeler leurs propres affaires, les forces de gauche ne tirent aucune leçon de l’affaire libyenne et n’appellent à aucune réforme.

Pauline Graulle et Sarah Benhaïda

Avoir la tête dans le guidon de la séquence budgétaire est-il une circonstance atténuante ? Alors que mardi, l’incarcération ultra-médiatisée de l’ancien président de la République déclenchait un torrent de réactions indignées dans tout ce que la droite compte de chapelles, la gauche n’a pas brillé par la force de son propos. Plutôt que de porter avec bruit et fureur la bataille culturelle sur l’indépendance d’une justice violemment attaquée par la droite et la bollosphère, elle s’est ainsi contentée de quelques prises de parole somme toute relativement mesurées. Voire, pour certain·es, d’un silence de plomb.

La condamnation de l’ancien président soulève pourtant nombre de questions. Il y a un peu plus de dix ans, l’affaire Cahuzac avait entre autres conduit à la création d’un Parquet national financier (PNF) et à la mise en place de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique afin de mieux lutter contre les conflits d’intérêts des élu·es et des ministres.

Cette fois, personne ne semble rien proposer. Ni un renforcement des moyens de la commission censée contrôler le financement des campagnes électorales, ni une commission d’enquête parlementaire sur les éventuels liens entre les financements libyens de la campagne de Nicolas Sarkozy et la guerre qui fut conduite en Libye quelques années plus tard par le même Nicolas Sarkozy, ni des moyens supplémentaires pour la justice et la police afin de lutter contre la corruption, ni une réforme permettant de mieux assurer l’indépendance de la justice. Ni toute autre idée nouvelle qui pourrait naître de cette affaire d’une gravité extrême.

À l’instar de Jean-Luc Mélenchon qui, une fois de plus, n’a pas jugé utile de faire le moindre commentaire, préférant écrire sur X tout le mal qu’il pensait d’un communiqué intersyndical de la veille prenant acte de la suspension de la réforme des retraites. Ce qui a suscité quelques railleries dans son camp : « Si Sarkozy avait été au PS [Parti socialiste – ndlr], il aurait tapé plus fort ! », glissait ainsi un député de l’ancien Nouveau Front populaire (NFP) en milieu de journée.

Nicolas Sarkozy dans sa voiture à son arrivée à la prison de la Santé à Paris, le 21 octobre 2025. © Photo Eliot Blondet / Abaca

Interrogé sur RTL le matin même, le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, ne s’est, lui non plus, pas illustré par la pugnacité de son commentaire. « Je ne suis pas juge, s’est-il ainsi contenté de glisser, je n’ai pas à donner un avis sur la décision qui est prise. Je respecte simplement la justice de mon pays et je considère que nous avons toutes et tous, élu·es, le devoir de respecter la séparation des pouvoirs et qu’il n’y a pas matière à commentaire, et encore moins à pression. »

Quant au patron du Parti communiste, Fabien Roussel, lui-même mis en cause dans une affaire d’emploi fictif, il s’en est tenu à un commentaire sarcastique : « Journée historique. Jamais les médias n’ont été aussi soucieux des droits des prisonniers ! Ça fait chaud au cœur », a-t-il écrit sur X sans en dire davantage.

Une seule mention à l’Assemblée

Est-ce la crainte de faire montre d’une cruauté malvenue ? La peur de conforter l’idée que le jugement serait politique ? Ou celle, plus prosaïque, de se voir renvoyés à leurs propres affaires ? Mardi soir, ils n’étaient en tout cas pas si nombreux, à gauche, à avoir réagi avec force aux images qui ont défilé en boucle sur tous les écrans, en général assorties de commentaires jugeant scandaleux que le condamné doive purger sa peine.

Ce sont les écologistes qui ont été les plus allants. Fustigeant « le cirque autour de l’incarcération de Nicolas Sarkozy » et cette « caste politico-médiatique [qui dit que] la justice ne doit pas être la même pour tout le monde », Marine Tondelier s’est démarquée comme la première de tous les chefs de partis de gauche à donner de la voix pour appeler à « en finir avec cette monarchie présidentielle ».

À l’Assemblée nationale, l’emprisonnement de Nicolas Sarkozy n’a par ailleurs fait l’objet que d’une seule mention dans l’hémicycle, de la part, là encore, d’un écologiste, lors de la séance de questions au gouvernement consacrée aux sujets d’actualité. « Nicolas Sarkozy a été définitivement condamné pour corruption et condamné à trois reprises. Oui, l’image de la France s’en trouve dégradée, non par la mise en cellule d’un ancien président, mais par les actes qui l’y ont précipité », a ainsi clamé Benjamin Lucas, membre du groupe écologiste, face à un garde des Sceaux bien en peine de défendre « l’indépendance de la justice » après avoir annoncé qu’il irait prochainement rendre visite à son ancien mentor en cellule.

Mal à l’aise, le ministre de la justice a renvoyé la gauche à ses liens prétendument sulfureux avec Georges Ibrahim Abdallah, plus vieux prisonnier politique d’Europe, récemment libéré après avoir purgé une peine de quarante-trois ans de prison dans des circonstances controversées.

De quoi irriter la porte-parole du groupe écologiste au Palais-Bourbon : « Emmanuel Macron et Gérald Darmanin confondent leur loyauté personnelle à leur mentor et la loyauté qu’ils doivent avoir vis-à-vis des institutions… Qu’ils s’inquiètent plutôt des conditions d’incarcération de tous les détenus ! », a vilipendé Léa Balage El Mariky (Les Écologistes), alors que la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté s’alarme de la vétusté et des records de surpopulation carcérale.

Si La France insoumise (LFI) n’avait, mardi soir, toujours pas publié de communiqué de presse officiel sur l’affaire Sarkozy, les députés, interrogés par les journalistes parlementaires, ont toutefois été amenés à se positionner. « Il y a un deux poids et deux mesures qui apparaît de manière assez révoltante à l’ensemble du peuple de France, c’est-à-dire que ce sont les mêmes, comme Mme Le Pen, qui ne cessent d’en appeler à agir contre le laxisme de la justice et qui derrière hurlent au loup lorsqu’un ancien président se retrouve condamné sur des faits qui sont extrêmement graves », a expliqué Mathilde Panot, lors de la conférence de presse de son groupe.

La décision de destituer un élu devrait revenir au peuple.

Jean-Luc Mélenchon

Lui aussi questionné par les médias au sortir de la commission des finances où il présidait les débats sur le projet de loi de finance, Éric Coquerel (LFI) a pour sa part rappelé que les Insoumis n’étaient favorables ni « à la prison à tout bout de champ », ni à l’exécution provisoire des peines.

Cette épineuse question avait été remise au-devant de la scène, en mars dernier, au moment de la condamnation de la cheffe du RN lors du procès de plusieurs dirigeants de son parti sur des emplois fictifs au Parlement européen. Jean-Luc Mélenchon, lui aussi mis en cause dans une affaire d’assistants parlementaires, s’était alors associé au concert des pourfendeurs et pourfendeuses du jugement. « La décision de destituer un élu devrait revenir au peuple », avait-il estimé, laissant flotter l’hypothèse selon laquelle la justice serait instrumentalisée dans le but d’empêcher le RN d’accéder au pouvoir.

Cette fois encore, le leader insoumis n’a donc souhaité ni applaudir, ni même commenter la mise en prison de Nicolas Sarkozy. Les relations entre les deux hommes, qui s’étaient affrontés à la présidentielle de 2012 – l’ex-président de l’UMP avait d’ailleurs reconnu vouloir faire monter sa candidature pour affaiblir celle de François Hollande –, ne datent certes pas d’hier. En 2015, le livre d’enquête Le Mauvais Génie (Fayard), d’Ariane Chemin et Vanessa Schneider, avait révélé que le journaliste d’extrême droite et proche de Nicolas Sarkozy Patrick Buisson avait conseillé l’ancien fondateur du Parti de gauche. Une « pure invention », avait balayé ce dernier.

Reste que, six ans plus tard, au moment de la condamnation de Nicolas Sarkozy dans l’affaire Bismuth, Jean-Luc Mélenchon avait curieusement paru prendre la défense de l’intéressé, insinuant qu’il était la victime d’un « lawfare » à la française : « Sarkozy condamné, Macron débarrassé d’un sérieux rival », avait-il ainsi écrit, avant de justifier : « Puisque j’ai lutté sans trêve contre Sarkozy, dès qu’il lui arrive quelque chose de mauvais je devrais commencer un banquet de fête. Je ne le fais pas. » Sauf que personne ne lui demande de célébrer une incarcération. Simplement de s’interroger sur les leçons à en tirer.

Ce champ est nécessaire.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*