L’étrange missive de Sophie Binet aux syndicats CGT…Par Jean Gersin.

Par aplutsoc le 27 octobre 2025

La secrétaire générale, Sophie Binet, le 21 octobre 2025, communiquait une « Adresse aux syndicats CGT »

1 – Sa vision de la crise ?

Citations :

« Depuis plusieurs mois, notre pays traverse une crise politique d’une gravité inédite.

Pourquoi ?

Parce que nous avons fait payer au prix fort à Emmanuel Macron et au patronat leur passage en force sur la réforme des retraites : le Président de la République a été sanctionné par les urnes, n’a plus aucune majorité, et a dû sacrifier 5 Premiers ministres pour tenter de maintenir sa politique. »

Certes. Mais alors, si nous étions si forts sur les retraites, pourquoi n’avoir pas fini le job et mener le mouvement jusqu’au bout, c’est-à-dire l’abrogation ? Notre but, commun à des millions de salariés, ce n’est pas de faire « payer le prix fort du passage à la réforme », mais d’empêcher ce passage et revenir à 60 ans !

Voilà une bien drôle de formule, « faire payer au prix fort », car pour l’heure, c’est bien les salariés au bord de partir à la retraite qui paient ce prix qui, en effet, est « fort ».

Et c’est bien la CFDT qui enclenche des négociations secrètes avec le MEDEF pour tenir des négociations de passage à la retraite par points, c’est-à-dire rompre avec la retraite sociale et solidaire.

Et c’est encore l’unité qui paie le prix fort, puisque l’intersyndicale maintient les apparences mais elle a usé de son autorité pour siffler la fin du mouvement de rentrée afin de canaliser l’attention vers le spectacle parlementaire, dans lequel Marylise Léon joue un rôle d’importance avec le PS.

« L’entêtement du Président de la République et du patronat a plongé le pays dans le chaos institutionnel avec un impact économique très lourd. Les plans de licenciements se succèdent et malgré nos alertes aucun gouvernement n’a levé le petit doigt pour stopper l’hémorragie industrielle. »

L’« entêtement » ? Nous aurions tendance à parler de position de classe, de celle qui conduit le patronat à mener ces vagues agressives de destruction des emplois ! À moins que ce ne soit une orientation de la classe des capitalistes, qui fait subir à l’emploi ce que lui commande la dictature du capital financier : le profit immédiat, les coups de Bourse – 15 milliards en une matinée pour Bernard Arnault – se détourne de l’investissement industriel.

L’économie stagne comme jamais, et c’est bien pour ça : l’espérance de gains de productivité et les garanties et sauvegardes des profits à terme sont faibles, ce qui pousse le capitalisme au passage à l’acte, une phase de prédation des caisses sociales, une destruction de ce qu’on appelait naguère « l’État social », l’édifice des mesures obtenues par les salariés et retraités dans la période d’expansion d’après-guerre et de prospérité suivante.

Un capitalisme dominé par sa financiarisation déclare la guerre sociale contre la rémunération du Travail, dont il doit obtenir une baisse durable au point de devenir négligeable, marginale, notamment par bâillonner les revendications.

2 – Où est passée la mobilisation des 10-18 septembre et 2 octobre ? Citations :

« Nous n’avons pas tourné la page et la réforme des retraites reste le sujet central. La mobilisation de rentrée dans laquelle nous avons joué un rôle déterminant avec les journées des 10 septembre, 18 septembre, 2 octobre et 9 octobre l’a confirmé : il n’y aura pas de stabilité politique sans abrogation de la réforme des retraites ni réponse aux exigences sociales.

« Pour échapper à la censure, Sébastien Lecornu a donc été obligé d’annoncer ce qu’il qualifie de « suspension » de la réforme des retraites. »

Donc, il « suspend »… Fort bien, mais pourquoi nous aussi avons suspendu le mouvement, mis en stand by ? S’agissait-il juste de focaliser la mobilisation et la canaliser vers le Parlement, de façon à en limiter les éclats, annoncés par la ressemblance affichée avec les Gilets Jaunes ?

Un tel coup d’arrêt porté à une mobilisation naissante peut avoir plusieurs conséquences :

  • La première, c’est que le mouvement repartira MALGRÉ le front de l’Intersyndicale du sommet, s’appuyant sur l’aspiration unitaire à la base.

Et si cette mobilisation repart, autour du 15 novembre, c’est qu’il y a un besoin brûlant d’action pour se défendre, car chacun sent bien que le système bascule vers un régime autoritaire de guerre sociale.

  • La deuxième, c’est que tenter de mettre la mobilisation au congélo laisse la place aux manœuvres en cours :
    • Citation

« Attention aux effets d’annonces, il s’agit comme nous l’avons tout de suite pointé d’un décalage plus que d’une suspension : l’application de la réforme des retraites serait décalée d’une génération (…) »

Effet d’annonce ? Grosse manœuvre, oui, celle de la social-démocratie pour s’approprier le sujet « Retraites » et le réduire à un marchandage institutionnel de sommet, de façon à domestiquer le mouvement revendicatif et le réduire à un supplétif de couloir obscur entre deux chambres et deux cabinets. Le pouvoir, quoi…

  • La troisième ? Semer la confusion sur le sujet, rendre perméable le mouvement social, le syndicalisme et les consciences à la propagande capitaliste. Citations :

« Cependant, on est bien loin de l’abrogation ! Si cette disposition est adoptée telle quelle, elle conduira à décaler les 64 ans… tout en les confirmant… ! Cela serait inacceptable ! L’objectif pour la CGT est donc bien d’élargir la brèche jusqu’à l’abandon total de la réforme. Pour cela, nous appelons les parlementaires à voter le blocage puis l’abrogation complète de la réforme. Pas question d’attendre 2027 ! »

Cet abandon de la mobilisation unitaire et sociale de rentrée offre l’opportunité au pouvoir finissant du macronisme tardif de manœuvrer pour faire passer les 64 ans et la suite, malgré leur absolue marginalisation dans l’opinion. Pas mal, et merci pour rien !

La mobilisation reviendra, c’est sûr. Mais l’autorité de la CGT et son expertise sociale sur les intérêts collectifs du Travail ? Troquées contre un embrayage automatique avec le Parlement…

3 – Un Patronat qui danse avec Bardella, simple diversion ?

Citations :

« Pourquoi de telles régressions ? Parce que le gouvernement et le patronat refusent de prendre l’argent là où il est, de taxer les actionnaires et les rentiers et de s’attaquer aux 211 milliards d’aides publiques versées chaque année sans condition ni contrepartie.

Mais aussi parce que le patronat sait que si son intransigeance devait entraîner la chute de la macronie, il a déjà son plan B, avec Bardella et Le Pen. L’actualité confirme à quel point l’extrême droite est toujours la meilleure alliée du capital : alors que nous avons réussi à mettre sur le devant de la scène la revendication de justice sociale, ils organisent la diversion en tentant de faire ressortir les clivages identitaires. »

Une « diversion », le plan B au Medef et à Le Pen ? La lucidité de Sophie Binet est-elle donc sans conséquence. Citations :

« Continuons à marteler que ce n’est pas ‘’Nicolas qui paye pour Mohammed’’ mais Nicolas, Mohammed et Fatimata qui paient pour Bernard Arnault et Vincent Bolloré ! »

Heureuse formule, mais enfin, ne voit-on pas, dans cette lettre de Sophie Binet, derrière la dissolution qui vient, ou la toute proche échéance électorale, le spectre de l’arrivée au pouvoir de cette extrême droite banalisée ? Une extrême droite qui peut, de surcroît, bénéficier à la fois du soutien de la vieille droite en Titanic et d’un patronat qui s’est assuré du ralliement des fascistes 2.0 à l’esthétique du libéralisme autoritaire aux manettes de la Maison tellement Blanche.

« Alors que l’extrême-droite n’a jamais été aussi proche du pouvoir, continuons à sécuriser notre organisation à tous les niveaux. »

Sécuriser l’organisation, oui, bien sûr et ça urge, mais surtout se mettre en dispositif de combat contre ce nouveau fascisme, dont la base reste cette croyance irrationnelle que « plumer les immigrés qui nous pillent » apportera la solution aux questions de l’accès au logement, à l’hôpital à l’école, à la vraie vie d’avant.

Une telle vision du danger fasciste bien réel, exprimée par Sophie Binet, contredit frontalement la propension à user de la mobilisation comme d’un embrayage automatique : si l’alliance est bien passée entre le patronat, les milliardaires, l’extrême droite, l’heure n’est pas à retricoter des tactiques usées jusqu’à la corde, faire pression et dénoncer, manifester mais pas trop s’engager dans l’épreuve de force, non juste démontrer sa force potentielle pour ne pas avoir à s’en servir.

Ainsi de la suite…

4 – Un budget juste passible d’une tactique de pression sur le Parlement ?

Citations :

« Si la mobilisation a contraint le gouvernement à renoncer au vol de 2 jours fériés, cependant, le contenu du budget est toujours aussi violent, voire pire sur certains aspects. » (…)

« Il nous faut absolument continuer à nous mobiliser pour envoyer ce budget aux oubliettes de l’histoire et gagner l’abrogation de la réforme des retraites. »

Comment ?

A) Interpeller.

citations

« L’enjeu est donc d’interpeller l’ensemble des parlementaires – à l’exception de l’extrême-droite – pour les appeler à ne pas voter ces régressions, à abroger la réforme des retraites et à faire enfin de la justice fiscale une réalité. Pour cela, nous allons mettre à disposition la plateforme alloparlement.fr … »

« Mais cette interpellation seule ne suffira pas. »

b. Vagues successives, l’une après l’autre…

Citations

« L’objectif de la CGT est d’organiser un feu roulant de mobilisations et de multiplier les fronts pour démontrer les impacts très concrets du budget. Un simulateur sera mis en ligne sur cgt.fr pour permettre à chacun et chacune de mesurer l’impact catastrophique du budget sur sa propre situation.

« Le 6 novembre les retraité.e.s ouvrent le bal pour dénoncer leur triple peine : baisse des pensions, explosion des frais de santé et augmentation de leurs impôts.

« Les services publics prendront ensuite le relais, le secteur de la culture, celui de l’action sociale, les associations… sont aussi mobilisés »

« Ne laissons surtout pas le patronat tranquille alors que c’est lui qui est le premier bénéficiaire de ce budget !

  1. Ensemble, convergence des luttes… Ça n’a plus cours ?

Citations

« Multiplions les grèves pour arracher des augmentations de salaires (…)

« Continuons à nous battre contre les licenciements (…)

« C’est ce qui permettra de gagner la mobilisation de l’ensemble de la population et forcera les parlementaires à prendre des positions courageuses. »

  1. L’objectif ?

Citations

« Notre objectif est d’engranger les bougés »

« Bougés » ? Exemples – Citations :

« aujourd’hui renoncement aux 2 jours fériés, au 49-3, décalage de l’application de la réforme des retraites,et demain enterrement de la réforme de l’assurance chômage, du budget Bayrou, abrogation de la réforme des retraites… pour démontrer l’utilité concrète de la mobilisation et renforcer la combativité. »

Voilà pour les « bougés », chimères d’un glossaire de misère.

Par glissements successifs, le mouvement social se voit assigner un rôle de supplétif par le secrétariat confédéral, propre à remplir le calendrier parlementaire, l’agrémenter de « démonstrations » de rue, colorées et en vagues dispersées, de façon que place soit faite au jeu institutionnel qui, manifestement, ne doit pas être gêné par en bas.

Voilà, de façon implicite, une missive de rupture avec une orientation historique, celle qui trouve la CGT dans le camp du Front populaire, dans le Conseil national de la Résistance, dans la lutte programmatique contre le Capital du point de vue du Travail.

Pourtant, le rôle défini pour la CGT par cette lettre est rien moins qu’ambigu : force de pression sur l’institution, agent d’entraînement d’action auto-limitées à la localité ou à la branche professionnelle, délégation de pouvoir au sommet ?

Beaucoup sentent bien que l’action du moment bouillonne du côté des initiatives de rassemblement, de convergence, de montée à Paris, de coordination.

Les militants CGT, tout en participant au rang des plus actifs à cette construction du 15 novembre, auront besoin qu’on leur explique les belles gravures de la camarade Sophie, qui préludent un si beau congrès confédéral, du 1er au 5 juin 2026 à Tours.

Jean Gersin, le 27 octobre 2025.

Document : la lettre de Sophie Binet du 21 octobre 2025

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