
Réponse de Sari Hanafi au Monde
« […] Pour être honnête, j’ai été surpris de recevoir une demande du Monde pour écrire une tribune sur “l’après-Gaza”, connaissant la ligne éditoriale du journal (similaire — mais avec quelques nuances, à celle de Libération et du Figaro) concernant le conflit israélo-palestinien, particulièrement depuis le 7 octobre. Je qualifierais cette position d’aveuglement face à l’invocation du “droit d’Israël à la légitime défense”, malgré le caractère manifestement disproportionné de ses actions. Contrairement à toutes les organisations de défense des droits humains respectées — la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, Human Rights Watch, Amnesty International, B’Tselem, les Médecins israéliens pour les droits de l’homme, entre autres — Le Monde ne reconnaît pas ce qui s’est passé à Gaza comme un génocide.
Vous avez contesté mon utilisation du terme “droit des Palestiniens à la résistance armée” contre l’occupation, alors même que le droit international reconnaît ce droit après plus de cinq décennies d’occupation militaire, depuis 1967. Ce qui m’a le plus choqué, cependant, c’est votre insistance à ce que je limite ma tribune à la manière dont les Gazaouis vivent “l’après”, sans aborder la question de la façon dont les Israéliens — et les puissances euro-américaines qui ont participé, activement ou passivement, au génocide — vivront leur propre “après”.
Pour Le Monde, il semble qu’un sociologue franco-palestinien ayant étudié en France ne puisse être qu’un informateur sur Gaza. Je n’ai pas le droit de porter un jugement sur le Nord global. C’est un schéma récurrent : je me souviens qu’au moment où le président Emmanuel Macron avait tenu ses propos islamophobes sur le “séparatisme islamique”1, j’avais rédigé une tribune pour y répondre — alors que j’étais président de l’Association internationale de sociologie. Le Monde (comme Libération) a refusé de la publier. Le fait qu’un universitaire français, à la tête d’une prestigieuse association internationale, en soit l’auteur n’a compté pour rien ; à vos yeux, je n’étais et ne reste qu’un “informateur local”2, limité au Liban ou à Gaza — et rien au-delà.
Il convient de rappeler que durant la campagne de Macron sur le prétendu “séparatisme islamique”, aucun grand quotidien français n’a publié d’articles d’opinion signés par des Français musulmans — comme le confirme mon analyse de contenu systématique menée à cette période. Même un sociologue de renom comme Farhad Khosrokhavar n’a pas pu publier de critique de cette campagne.
Le Monde pourrait peut-être réfléchir à la manière dont les médias et le monde académique français ont développé une tendance paroissiale, réticente à l’internationalisation des sciences sociales. J’ai d’ailleurs abordé cette question dans mon entretien publié dans Socio-logos, Revue de l’Association française de sociologie3.
Bien cordialement,
Sari Hanafi »
Le lendemain de la guerre de Gaza sera un jour d’inévitable confrontation morale — pour les Palestiniens, les Israéliens et le monde qui a regardé sans agir. Lorsque les bombardements cesseront, lorsque la poussière retombera sur un paysage dévasté, nous serons confrontés non pas à une conclusion, mais à un moment de vérité brute, à la fois morale et politique. L’après-guerre n’apportera pas de clôture ; il ouvrira des questions auxquelles personne ne pourra répondre facilement.
Le difficile « lendemain » pour tous
Pour les Palestiniens, le lendemain sera le début d’un long chemin de deuil et de désolation. Des familles entières ont été anéanties ; des maisons, des écoles et des hôpitaux ont été réduits en gravats. La plupart des organisations internationales et israéliennes de défense des droits humains qualifient ce qui s’est passé à Gaza de génocide. Au-delà de la destruction matérielle pèse le fardeau psychologique du deuil de plus de 80 000 morts et de 200 000 blessés, ainsi que la conscience insupportable que les puissances mondiales ont observées — certaines en silence, d’autres avec approbation — pendant que la tragédie se déroulait. Il ne s’agit pas seulement d’une crise humanitaire, mais d’un traumatisme historique qui marquera des générations entières.
Pour les Israéliens, le lendemain sera également douloureux — mais d’une autre manière. Il y aura le deuil des soldats tués à Gaza, mais aussi un traumatisme plus profond : la prise de conscience collective d’une complicité dans des actes génocidaires. Aucune société ne peut assister à une destruction systématique de vies civiles sans blessure morale. La croyance en la pureté de sa propre défense — le récit d’un « droit à la légitime défense » — ne peut survivre aux images d’hôpitaux bombardés, d’enfants affamés et de fosses communes. Cette épreuve sera autant intérieure que politique : elle posera la question du type de nation qu’Israël souhaite être après avoir commis des atrocités génocidaires au nom de la sécurité.
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