Contamination de l’eau potable aux Pfas : 60 000 personnes concernées, les autorités s’inquiètent
Treize communes dans les Ardennes, sept dans le Haut-Rhin, quatre dans la Meuse, deux dans les Vosges. Actuellement, environ 60 000 habitants, selon le ministère de la Santé, dans 26 municipalités, ne peuvent plus boire l’eau du robinet, trop chargée en Pfas. Dans une minorité de cas, seuls les plus fragiles (femmes enceintes, nourrissons…) ne doivent pas la consommer. Ces restrictions d’usage restent marginales, mais se sont multipliées en 2025. «Ce n’est pas anecdotique, c’est extrêmement préoccupant, pointe Yves Lévi, professeur émérite de santé publique et d’environnement à l’université Paris-Saclay. Il y a un effet boomerang de la chimie moderne et nous sommes en train de découvrir l’ampleur de la catastrophe.»
Les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées, fabriquées depuis les années 1930 et utilisées pour leurs propriétés de grande résistance, sont omniprésentes dans les vêtements, les emballages, les cosmétiques et certains pesticides. Les usines qui fabriquent ou utilisent ces «polluants éternels» sont si nombreuses que leurs rejets contaminent l’air et les sols aux abords des sites industriels mais aussi nappes et rivières. Résultat, les Pfas se retrouvent parfois en quantité jusqu’à nos robinets.
Une pollution longtemps invisible
Pendant des décennies, la pollution est restée sous les radars car peu recherchée. Mais l’amélioration des outils de détection et les premières analyses menées dans l’Hexagone révèlent l’invisible. La surveillance d’une liste de 20 Pfas, considérés comme les plus préoccupants, obligatoire dans l’Union européenne au 12 janvier 2026, a commencé en France de manière anticipée, à la demande du ministère de la Santé. Environ la moitié des réseaux d’eau du pays traquent désormais ces molécules.
C’est ainsi que plusieurs communes ont découvert une forte contamination. A Arrentès-de-Corcieux, dans les Vosges, des taux huit fois supérieurs à la limite réglementaire ont été détectés. Les rejets d’une usine de blanchiment de textile sont soupçonnés. Ailleurs dans le Grand Est, des mousses anti-incendies et des épandages de boues issues de papeteries auraient contribué à une pollution étendue. A Louppy-sur-Loison (Meuse), le niveau le plus stratosphérique signalé en France dépasse 24 fois la norme.
«Ce n’est malheureusement pas une surprise. Quand on voit les scandales sanitaires liés à l’eau potable contaminée par les Pfas aux Etats-unis depuis les années 90, il était prévisible qu’on allait se retrouver dans la même situation en France, et probablement partout en Europe…», fait remarquer le député écologiste Nicolas Thierry, auteur d’une proposition de loi adoptée début 2025, restreignant notamment certains usages des Pfas.«Nous n’en sommes qu’au début»
Selon l’ONG environnementale Générations futures, qui a compilé les analyses des Agences régionales de santé (ARS), chargées de la surveillance, des «polluants éternels» sont détectés dans environ 11 % des réseaux d’eau potable et seulement 0,1 % dépasse la norme, à savoir 0,1 microgramme par litre d’eau (µg /L) pour la somme des 20 Pfas recherchés. «Globalement, c’est plutôt rassurant, mais c’est à prendre avec précaution», signale Pauline Cervan, toxicologue de l’association. L’Occitanie, la Creuse ainsi que le Nord figurent parmi les territoires où les Pfas sont peu ou pas recherchés, et qui peuvent encore réserver des surprises.
«En 2026, quand les tests seront obligatoires, la carte de France va clignoter. Nous n’en sommes qu’au début ! Les communes vont se retrouver face à un mur d’investissement pour dépolluer», avertit Nicolas Thierry. L’exécutif en est conscient. «Ces situations de non-conformité sont amenées à se multiplier», écrivaient le 10 septembre les ministres démissionnaires de la Santé, de l’Economie, de la Transition écologique et de l’Agriculture dans une lettre de mission sur «le financement de la dépollution des eaux destinées consommation humaine» adressée à leurs quatre services d’inspections respectifs et dont Libération a pris connaissance. Ils s’interrogent notamment sur «la capacité des services d’eau potable à financer» les traitements supplémentaires pour se conformer à la nouvelle réglementation.
Actuellement, selon la carte réalisée par Libération, une trentaine de réseaux de distribution d’eau potable – chacun desservant souvent plusieurs communes – présente un taux de Pfas supérieur à la réglementation. Les zones touchées se situent surtout dans le Grand Est mais aussi dans la vallée de la chimie lyonnaise. Toutes ne sont pas automatiquement soumises à des restrictions. «En théorie, quand vous dépassez la norme, votre eau n’est pas potable. Mais passer de 0,1 à 0,11 µg/L ne rend pas les gens malades», explique le professeur Yves Levi.

La décision d’interdire la consommation d’eau du robinet «tient compte du contexte local, en lien avec l’ensemble des services de l’Etat et des professionnels de l’eau», précise la Direction générale de la santé (DGS). Autrement dit, les préfets font au cas par cas, selon l’ampleur du dépassement. «Pour des situations assez similaires, il y a parfois des décisions différentes», fait remarquer Pauline Cervan, qui juge «floues» les instructions officielles publiées en février par la DGS. Un tâtonnement qui alimente la panique au niveau local et les craintes pour la santé.
Globalement, la surexposition à certains Pfas peuvent être associés à des risques tels que la diminution de la réponse immunitaire, l’augmentation du cholestérol sanguin, baisse du poids à la naissance et un risque accru de cancer du rein. Des risques accrus de troubles hormonaux, du développement, de cancers du sein, des testicules et de la prostate sont également soupçonnés. Mais l’eau du robinet, produit alimentaire le plus réglementé en France, «ne constitue qu’une des nombreuses sources d’exposition (environ 10 à 20 %)», pointent les ARS. «La surveillance des Pfas dans l’eau potable a progressé, expose Yves Lévi, alors qu’aujourd’hui dans un fromage, un steak ou dans l’air que je respire je n’ai aucune idée de l’ampleur de la contamination aux Pfas.»
Même pour l’eau potable, les études manquent sur le plan toxicologique : il est pour l’heure difficile de déterminer à partir de quel seuil une teneur totale en Pfas représente un réel danger pour l’humain. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a établi dès 2017 des valeurs sanitaires pour 11 Pfas. Plus récemment, le Haut Conseil de la santé publique a recommandé une vigilance particulière au-delà de 0,02 microgramme par litre pour la somme de 4 Pfas courants et problématiques (PFOS, PFOA, PFNA, PFHxS).
Les communes actuellement soumises à des restrictions cochent presque toutes cette case. Pour retrouver une eau conforme, elles peuvent s’interconnecter avec des communes voisines, pomper dans de nouvelles sources, mais souvent des traitements supplémentaires s’imposent. «Les collectivités qui ont déjà des unités à charbons actifs pour les pesticides peuvent les adapter pour les Pfas à longue chaîne [les plus grands, tels que le PFOA et le PFOS, ndlr]. Si on change les charbons plus souvent, on peut repasser vite sous les limites», détaille Régis Taisne, chef du département cycle de l’eau à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies.
Tâche titanesque pour les communes rurales
La ville de Rumilly (Haute-Savoie), contaminée, a réussi à échapper aux restrictions en se branchant sur des réseaux voisins et en adaptant rapidement leurs traitements. Mais la tâche est titanesque pour les communes rurales peu équipées. «Dans les Ardennes, il faut construire des installations de traitement dans des petites communes qui ont chacune leur service d’eau. Cela peut prendre jusqu’à trois ans. En attendant, elles peuvent louer des unités de traitement mobiles coûteuses», poursuit Régis Taisne. L’agglomération de Saint-Louis (Haut-Rhin), affectée par les mousses anti-incendies de l’aéroport de Bâle Mulhouse, a dû débourser 6,5 millions d’euros pour cette solution temporaire. Et il faudra jusqu’à 55 millions d’euros pour un traitement définitif, selon la lettre de mission des ministres déjà citée.
«A court terme, l’Etat devra aider les petites collectivités. Mais on assiste à une inversion des responsabilités : les communes, peu armées pour éviter la pollution aux Pfas, se retrouvent à financer des solutions et à augmenter les factures d’eau», déplore Régis Taisne, qui craint des tensions sociales et économiques.
La situation risque encore de se corser, car la réglementation promet de se rigidifier à l’avenir : davantage de Pfas à surveiller, à des taux plus bas. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), mandatée par la Commission européenne, doit rendre en 2026 un avis attendu sur la question. La France prévoit pour l’heure d’ajouter par décret deux substances à surveiller à compter de 2027, dont le TFA (acide trifluoroacétique), particulièrement répandu. De son côté, l’Anses a recommandé en octobre d’allonger la liste avec 5 substances supplémentaires, en intégrant notamment le TFA.
«L’équation va devenir compliquée, en déduit Régis Taisne. Pour ôter le TFA, il faut passer à l’osmose inverse», un traitement énergivore, onéreux, et qui génère un nouveau type de déchet. Le TFA étant de petite taille, il faut utiliser un système de filtration dit d’«osmose inverse» pour l’attraper : de l’eau sous pression est envoyée à travers des membranes ultrafines. Une opération qui génère un nouveau type de déchet à éliminer : un liquide concentré en polluants.
«Nous sommes conscients des difficultés financières que cette situation entraîne pour les communes concernées», assurait le 22 octobre au Sénat la ministre de la Transition écologique, Monique Barbut, en réponse à la question d’une élue des Ardennes. Elle a précisé que «les industriels contribueront désormais directement au coût de la dépollution au bénéfice des collectivités» grâce à une redevance pollueur-payeur instaurée par la loi Pfas de Nicolas Thierry. Le principe : 100 euros pour 100 g de Pfas rejetés.
Mais l’exécutif a tardé à faire appliquer cette mesure, qui devait être actée par décret. Elle sera finalement soumise au vote incertain du Parlement dans le cadre du périlleux débat budgétaire, sous la forme d’un amendement intégré au projet de loi finance 2026. «On parle d’une taxe qui peut rapporter 100 millions d’euros par an. Malgré l’urgence, il faut batailler jusqu’au bout, parce que l’exécutif essaie de gagner du temps pour ne pas faire payer les industriels, c’est hallucinant !» s’étrangle l’écologiste Nicolas Thierry, qui accuse Bercy d’avoir envisagé de reporter à 2027, sous la pression des industriels.
Contentieux contre l’Etat ?
Les communes peuvent aussi tenter de remonter jusqu’au responsable de la pollution. La métropole de Lyon a notamment initié un contentieux pénal contre des usines Daikin et Arkema pour tenter de les faire contribuer au coût des traitements. Un collège d’experts missionné par le tribunal judiciaire de Lyon livrera ses conclusions d’ici la fin de l’année. Aux Etats-Unis, cela est désormais monnaie courante, avec des amendes record à la clé. «En 2024, la société 3M a signé un accord, validé par la justice américaine pour un montant compris entre 10,5 et 12,5 milliards de dollars. Plusieurs fournisseurs publics d’eau potable en ont été bénéficiaires», rappelle Pauline Leddet-Troadec, associée en droit de l’environnement au sein du cabinet Latournerie Wolfrom Avocats.
Mais parfois, la pollution est dite «orpheline», comme dans les Ardennes : l’usine de papeterie responsable des rejets a mis la clé sous la porte. Pour les installations classées (ICPE), il existe malgré tout, pendant trente ans, une obligation de remettre en état le site. Et en dernier recours, l’Etat peut aussi prendre cela à sa charge.
Si la situation s’aggravait, un nouveau type de contentieux pourrait également s’ouvrir : «Les associations pourraient essayer d’aller chercher la responsabilité de l’Etat si elles considèrent que les actions ne sont pas assez importantes pour protéger la population contre le risque environnemental lié aux Pfas», avertit la juriste Pauline Leddet-Troadec.
«A long terme, il va falloir interdire l’utilisation de ces polluants», recadre Régis Taisne. La loi Thierry franchit une première étape, avec l’interdiction, au 1er janvier 2026, de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de cosmétiques, farts, vêtements et chaussures contenant des Pfas. L’Union européenne, elle, travaille à une restriction plus large de certains «polluants éternels». La contamination pourrait ainsi refluer en quelques dizaines d’années, si d’autres molécules chimiques ne posent pas problème dans nos robinets d’ici-là…
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