Borgne, vous l’êtes, Ariane Mnouchkine

Judith Bernard

Borgne, vous l’êtes, Ariane – et depuis longtemps. Comme aussi Charlotte, dans cette tribune qu’elle avait signée, où vous avez pourtant perçu qu’il manquait quelque chose… (quelque chose : un peu de considération pour l’humanité palestinienne). Borgne, vous l’êtes, parce que vous n’avez pas vu, vous n’avez pas voulu voir que cette liste n’a pas été constituée par Julien Théry – ce n’était que la liste des signataires de la tribune, tels qu’ils s’étaient eux-mêmes constitués, non pas en tant que « juifs », non pas en tant que leurs « complices », mais en tant qu’ils s’offusquaient qu’on puisse envisager de reconnaître la Palestine (mesurez-vous à quel camp idéologique vous prêtez vos forces, Ariane? La reconnaissance de l’État palestinien vous inspire-t-elle donc tant d’horreur?). Borgne vous l’êtes encore, parce que vous ne voulez pas voir le montage tendancieux qu’en a fait la Licra, afin d’offrir Julien Théry à la vindicte de tous les borgnes, qui, bien sûr, ne vérifieraient pas, ne voudraient pas vérifier (trop attachés à leur cécité) de quelle manipulation ils étaient la dupe. Et vous voici criant avec les loups, les pires qui soient : ceux qui s’arment d’une morale tronquée pour punir très réellement des fautes complètement imaginaires. Vous ne me décevez même pas : il y a longtemps que vous me faites honte.

Lettre ouverte à Charlotte Gainsbourg

publié le 27/11/2025

L’ignoble publication par un professeur d’université d’une liste de personnalités juives vient attiser les braises d’un antisémitisme déjà incandescent dans le débat public. La metteuse en scène Ariane Mnouchkine adresse une lettre ouverte à Charlotte Gainsbourg, dont le nom est cité dans cette « liste de la honte ».

Par Ariane Mnouchkine

La metteuse en scène française Ariane Mnouchkine, à Tokyo le 12 octobre 2023. (Photo Ryohei Moriya / Le Yomiuri Shimbun via AFP) – L’actrice et chanteuse française Charlotte Gainsbourg, à Cannes, le 18 mai 2025. (Photo Sameer AL-DOUMY / AFP)Chère Charlotte,

J’ai mis du temps à trouver une adresse où vous écrire, voilà pourquoi ce n’est qu’aujourd’hui que je peux vous dire l’indignation, la colère, l’angoisse, pour ne pas dire le chagrin sombre que j’ai ressenti et ressens toujours après avoir découvert la liste établie par Julien Théry, professeur d’histoire à l’Université Lumière Lyon 2. Liste que certains qualifieraient de gestapiste.

Même si le texte de votre tribune co-signée dans Le Figaro sur la reconnaissance par Emmanuel Macron d’un État palestinien — surtout son début —m’avait paru mériter une très vive discussion, même si j’eusse aimé, pour qu’elle soit plus équilibrée, que votre alarme s’appliquât aussi au gouvernement indéfendable de Benjamin Netanyahu, rien, absolument rien, ne peut expliquer et encore moins excuser, une ignominie telle que cette liste dénonciatrice, calomnieuse, mensongère, digne des pires heures des pires années de l’histoire de notre pays.

Une liste ! En 2025, une liste, désignant des Français juifs et quelques Français, (non juifs, eux, mais, pire, amis et complices des juifs) à la haine, à la vindicte, à l’ignorance et à l’imbécilité publiques. Comment imaginer cela ? Comment penser cela ? Comment admettre que cela ne soulève que de petites explications temporisatrices de la part du ministre de l’Enseignement Supérieur (dont j’ai d’ailleurs oublié le nom) ?

Comment supporter que l’extrême-droite soit la seule à sembler s’en offusquer, non sans une certaine délectation ? Insensés que nous sommes, nous qui nous disons de gauche, après avoir abandonné le drapeau français, la Marseillaise, la laïcité, et tant d’autres symboles, au Rassemblement National, allons-nous aussi lui abandonner les Juifs ?

Allons-nous vraiment laisser le Rassemblement National prétendre être le seul recours des Français juifs ? De borgnes que nous sommes déjà, allons-nous carrément nous crever les deux yeux tant nous avons peur, si nous osons parler, de finir, nous aussi, pour délit d’opinion, couchés sur des listes de plus en plus longues, de plus en plus nombreuses, de plus en plus folles, de plus en plus fatales.

Voilà, Charlotte, ce que je voulais vous dire. À vous, à tous. À moi-même.

Affectueusement,

Ariane


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