Amine Kessaci, « debout » contre le narcotrafic et pour une écologie populaire

Militant écologiste engagé contre le narcotrafic, Amine Kessaci vient d’enterrer son frère, assassiné à Marseille. Face à ce crime, il appelle à une mobilisation massive, et à apporter des réponses sociales et de santé publique.

« Mon petit frère est dans son cercueil à ma place. » Le cœur gros, Amine Kessaci enchaîne les plateaux de médias depuis les obsèques de son frère, Mehdi Kessaci, le 18 novembre. Ce dernier a été tué par balles le 13 novembre à Marseille. Il avait 20 ans.

Amine Kessaci est une tête bien connue dans la cité phocéenne : militant écologiste, il est engagé contre le narcotrafic depuis cinq ans, depuis la mort de son frère aîné, Brahim Kessaci. Le jeune homme, alors âgé de 22 ans, avait été retrouvé brûlé dans une voiture en décembre 2020. Il était impliqué dans le trafic de drogue.

Depuis, son petit frère n’a cessé de s’engager contre le narcotrafic. Il a créé une association, nommée Conscience, pour accompagner les familles des victimes liées au trafic de stupéfiants. Il s’est présenté aux élections européennes sur la liste écologiste menée par Marie Toussaint, puis aux législatives anticipées en tant que tête de liste du Nouveau front populaire, sans parvenir à se faire élire.

« Les narcotrafiquants ont besoin de gens à genoux »

C’est cet engagement associatif et politique qui conduit le parquet de Marseille à penser que l’assassinat de Mehdi Kessaci, en pleine journée, alors qu’il n’était aucunement lié au narcotrafic, pourrait être un « assassinat d’avertissement » — autrement dit, un meurtre pour intimider Amine Kessaci.

« Il ne s’agit pas d’un crime d’avertissement, il s’agit d’un crime politique, de lâches qui ont assassiné un jeune innocent », a réagi le jeune militant sur le plateau du 20 Heures de France 2« La famille Kessaci vit debout, malgré les drames, indique Marie Toussaint, eurodéputée écologiste, jointe par ReporterreLes narcotrafiquants ont besoin de gens à genoux, qui se taisent. »

Un meurtre politique, parce que son combat dérange. À tel point qu’il vit sous protection policière depuis cet été. À 22 ans seulement, Amine Kessaci porte une vision écologiste, de gauche, sur la question du trafic de stupéfiants et la sécurité. Une lecture sociale et radicale, bien loin du « tout répressif » du gouvernement, ou du « laxisme » dont est parfois accusée la gauche.

Une question de santé et de société

Pour le militant, le trafic de drogue est avant tout une affaire de santé publique. « Pourquoi les gens se mettent à prendre de la drogue en France aujourd’hui ? interrogeait-il en janvier 2025, dans un entretien à ReporterrePourquoi les gens boivent de l’alcool ? Pourquoi ils prennent des antidépresseurs, pourquoi ils se suicident ? »

L’explosion du trafic de drogue est ainsi à mettre en regard avec « l’effondrement des structures collectives de soin, de solidarité et de sens », écrit-il dans son livre Marseille, essuie tes larmes, publié un mois avant la mort de son frère Mehdi. « On a abandonné les gens à eux-mêmes, et dans ce vide, les drogues s’installent. » D’où son combat, profondément écologiste, pour « un changement culturel radical : réhabiliter le temps long, la solidarité, le soin des autres ».

« Il faut créer l’alternative économique au trafic de drogue »

Selon le militant marseillais, l’État devrait lutter contre le trafic de stupéfiants en prenant le problème à la source : la détérioration de la santé mentale des Français. Les budgets de l’État, dont celui de la Sécurité sociale discuté actuellement au Parlement, limitent pourtant drastiquement les dépenses liées à la santé, alors que les besoins ne cessent de croître. Amine Kessaci plaide également pour légaliser le cannabis, ce qui permettrait selon lui de développer des programmes de santé publique et des consultations médicales prises en charge par la Sécurité sociale, pour soigner les personnes et les sortir de leurs dépendances.

D’après lui, le système actuel « arrange tout le monde » : « Le trafic permet d’éviter la question sociale, il sert de paravent, écrit-il dans son livre. Tant qu’on peut parler de dealers, on n’est pas obligés de parler de chômage. Tant qu’on désigne un ennemi intérieur, on peut esquiver la faillite d’un modèle. » Le militant estime que le trafic de drogue est désormais « le seul employeur dans les cités » et qu’il « faut créer l’alternative économique au trafic de drogue », comme il le disait à Reporterre en janvier 2025. Il croit aussi beaucoup à l’école, qui est « bien souvent la dernière digue » dans les quartiers, constate-t-il dans son ouvrage. Une digue qui « craque sous les inégalités, sous l’abandon institutionnalisé ».

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Un discours qui dérange à droite… mais aussi à gauche. Ainsi, il répète depuis cinq ans que la gauche devrait se saisir davantage des enjeux de sécurité et de narcotrafic. « Aujourd’hui la question de la sécurité est une priorité, et elle ne peut être que sociale et de santé publique. C’est à la gauche d’apporter ces réponses », disait-il encore à Reporterre au début de l’année. « Le combat contre le narcotrafic est un combat écologiste, soutient aussi Marie Toussaint. Car c’est un combat pour la dignité, un plaidoyer pour que chacun, chacune puisse vivre debout. »

Contre le tout répressif

Amine Kessaci alerte depuis 2020 sur la mauvaise gestion, selon lui, de ce sujet par l’État, qui consiste principalement à réprimer les consommateurs et les petits dealers. « Si on veut réellement gagner une guerre, on doit y mettre tous les moyens. Eux n’ont rien mis, juste de la communication et les opérations Place nette [des opérations menées par les forces de police depuis la fin de l’année 2023] », dénonçait-il déjà en janvier.

Le militant plaide pour une réelle politique de prévention, une augmentation des moyens accordés aux enquêteurs sur le narcotrafic, ainsi que pour un retour de la police de proximité — supprimée par Nicolas Sarkozy en 2003 alors qu’il était ministre de l’Intérieur — pour retrouver un lien entre les forces de l’ordre et les jeunes habitants des quartiers populaires. Mehdi Kessaci, lui-même, rêvait du métier de policier, et s’apprêtait à passer le concours pour devenir gardien de la paix.

Amine Kessaci fustige nombre de positions de droite et d’extrême droite très répressives visant à supprimer les allocations familiales pour lutter contre la délinquance. Ici, dans la cité de Frais-Vallon, dans le 13e arrondissement de Marseille, l’une des plus importantes de la ville. © Léonor Lumineau / Hans Lucas / Reporterre

Une position qui semble (enfin) avoir fait mouche au sommet de l’État : lors du Conseil des ministres, le 19 novembre, Emmanuel Macron a souligné « l’importance d’une politique de prévention et de sensibilisation », ajoutant qu’on ne pouvait pas « déplorer d’un côté les morts, et de l’autre continuer à consommer le soir en rentrant du travail ».

Le 20 novembre à Marseille, le ministre de la Justice Gérald Darmanin a reconnu que « la bataille [était] très, très dure contre une organisation criminelle qui sans doute fait entre 5 à 6 milliards d’euros d’argent liquide ».

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Amine Kessaci fustige aussi nombre de positions de droite et d’extrême droite très répressives — comme celle des Républicains et du Rassemblement national visant à supprimer les allocations familiales pour lutter contre la délinquance. « C’est clouer nos familles au pilori pour satisfaire l’opinion », écrit-il dans son livre. Il y rend un hommage vibrant aux mères des quartiers « qui ont besoin d’être accompagnées, pas montrées du doigt »« Ce dont nous avons besoin, c’est de meilleures écoles, d’un avenir, pas d’une punition collective. »

Construire un horizon pour les quartiers par l’écologie populaire

Amine Kessaci ne fait pas que dénoncer, il propose aussi « un autre horizon » via son engagement au sein des Écologistes. Dans ce parti politique « parfois déconnecté » de la réalité des quartiers populaires, il a voulu « porter la voix de l’écologie populaire », écrit-il, « pour que les quartiers soient enfin considérés comme des priorités de la transition écologique et plus comme des zones à surveiller ».

Dans Marseille, essuie tes larmes, Amine Kessaci explique avoir « vu dans ce mouvement une chance, une brèche dans ce système qui nous opprime, écrit-il. L’amélioration de notre cadre de vie, c’est la base. » À condition qu’elle soit populaire, l’écologie peut ainsi participer à redonner de la dignité, du sens et de la vie dans les banlieues — car « tant que la fierté nous habitera, nous vivrons », conclut-il dans son livre. « La bourgeoisie a les mains pleines, et nous avons le ventre vide. Ils ont les beaux quartiers et nous avons le béton délabré, dénonce-t-il encore. Alors, qu’il nous soit au moins permis d’agir pour préserver nos vies de la pollution et la planète de la destruction. »

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Il existe un continuum entre l’engagement écologiste d’Amine Kessaci et son combat contre le narcotrafic. L’un nourrit l’autre, et donne au militant « la force de ne rien lâcher », comme il l’écrit. Pour l’heure, lui et sa famille aspirent à « un moment d’hommage et de cohésion nationale », selon les mots de Marie Toussaint. « Il faut un sursaut républicain sur cette question », souligne l’élue, présente à Marseille depuis une semaine.

Une marche blanche se tiendra en mémoire de Mehdi, samedi 22 novembre, à 15 heures à Marseille. Amine Kessaci appelle à une mobilisation massive. « Il faut qu’on soit des milliers à se lever, a-t-il déclaré sur le plateau de France 2. On ne pourra pas tuer tout un peuple, on ne pourra pas tuer toute une nation. »

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