Madrid, tête de pont du nouveau fascisme mondialisé ? Par FP.

 

Par aplutsoc le 2 décembre 2025

On sait que Giorgia Meloni, avec son parti «FdI» («Fratelli d’Italia» // «Frères d’Italie») qui n’est autre que l’avatar du parti néofasciste MSI (1), est l’héritière directe d’un mouvement qui avait triomphé en Italie, il y a plus d’un siècle : le fascisme.

Mais ce qui interpelle vraiment, c’est que l’arrière-petite-fille du Duce, Orsola Mussolini vienne à Madrid, invitée par la nouvelle «Phalange» (2) (ressuscitée, elle avait été fondée en 1933 par José Antonio Primo de Rivera). Elle y est venue présenter son livre au titre frappé d’une interrogation rhétorique : « Fascisme : État social ou dictature ? ». On comprend implicitement la réponse suggérée : le fascisme n’était pas une dictature, c’était un État social…. Elle a exposé son ouvrage à l’«Espacio Ardemans», local sympathique (3) de Madrid, fréquenté par les groupes fascistes et d’extrême-droite, où, en avril 2024, s’est constitué le groupe nazi «Núcleo Nacional» (« Noyau National »). Une foule immense de… 300 personnes, avec l’autorisation du Tribunal Suprême de la capitale (!), a organisé une marche le vendredi 21 novembre, depuis la rue Génova (où était né José Antonio Primo de Rivera), en passant devant le local du PP («Partido Popular») et s’achevant, comble de provocation, devant le siège du Partido Socialista Obrero Español ( PSOE – Parti Socialiste Ouvrier Espagnol). La date n’est évidemment pas fortuite : le 20 novembre 1936, José Antonio Primo de Rivera était fusillé à Alicante après jugement par un tribunal républicain et, le 20 novembre 1975, il y a 50 ans, le «Caudillo» Francisco Franco était mort dans son lit (après un pronunciamiento contre une République démocratique, une guerre sanguinaire et presque quarante ans d’une dictature sans partage).

Le surgissement de l’extrême-droite populiste, nostalgique du franquisme, en Espagne, est loin d’être un orage dans un ciel serein.

À la mort du dictateur, s’était ouvert une période de Transition où le pays s’était vu imposer le successeur décidé par Franco : le roi Juan Carlos 1er de Bourbon. Néanmoins, les libertés démocratiques avaient été instaurées, assorties d’une amnistie (surtout pour les bourreaux). Il n’y eut pas la moindre épuration. Inutile d’épiloguer.

Pour autant les tenants de l’ancien régime se sont coulés dans un grand parti conservateur nationaliste et catholique, le PP («Partido Popular» // « Parti Populaire), dirigé successivement par Mariano Rajoy et à l’heure actuelle par Alberto Núñez Feijóo, alternant avec le Parti socialiste, mais depuis longtemps, sans majorité absolue. Toutefois, à partir de décembre 2013, Santiago Abascal (ancien membre du Parti conservateur) considère que le PP est trop modéré et fonde un parti d’extrême-droite, Vox. Ce qui n’était au début qu’un courant marginal, va bientôt commencer à tailler des croupières au «Partido Popular» en utilisant comme « argument » le racisme et la xénophobie et en attisant la haine contre les émigrés, surtout maghrébins et d’Afrique subsaharienne. Un classique du genre. Signalons qu’à la différence de Vox et du PP, les nouveaux groupes ou groupuscules ultras, remettent en cause la démocratie et la Constitution de 1978.

Remarquons enfin que le Parti socialiste de Pedro Sánchez n’a qu’une majorité fragile au Parlement (les Cortès) et que le Sénat est acquis au PP. Enfin, le pouvoir judiciaire et la haute magistrature sont encore en grande partie aux mains de nostalgiques de la dictature (4).

Pedro Sánchez, non sans mal, a réussi à faire enlever les restes du dictateur et du fondateur de la Phalange du monstrueux mémorial franquiste du «Valle de los Caídos». Suivant les traces de son prédécesseur socialiste José Luis Rodríguez Zapatero qui avait fait approuver la « Loi de Mémoire historique », Sánchez a mis en place la « Loi de Mémoire démocratique » pour en finir une fois pour toutes avec les restes d’hommages à la dictature (plaques, monuments, célébrations, etc.). Ce qui a rendu absolument furieux les nostalgiques de l’ancien régime.

Le Premier ministre socialiste « tient » grâce aux députés indépendantistes catalans de gauche ( ERC) et à ceux de droite, avec des limites («Junts»). Le Parti Nationaliste basque (EAJ-PNV) catholique, constitue aussi son appui. Enfin dans cette situation politique délicate, des proches collaborateurs de Pedro Sánchez sont inculpés pour corruption… Si l’on examine les votes lors des scrutins successifs en Espagne (élections générales, européennes, municipales, régionales), l’avancée de la droite et de l’extrême-droite devient inquiétante. Le Pays basque est aux mains des nationalistes du PNV, alliés circonstanciels de la gauche…. Tandis qu’en Catalogne, vient d’entrer en lice un parti ouvertement raciste et xénophobe : «Aliança Catalana»… Ainsi, sur les 17 régions autonomes (5) – outre les 2 villes autonomes de Ceuta et Melilla au Maroc –, 11 sont au pouvoir du «Parti Populaire» avec ou sans le soutien de Vox. Le PSOE n’en possède que 4. La région autonome de Madrid est, pour le moment, acquise au PP. Les Canaries sont au centre-droit, mais aussi avec le soutien du PP.

Les 18 et 19 mai 2024, le rassemblement de Vistalegre à Madrid («Europa Viva 24»), à l’initiative de Vox, fut l’occasion d’une convergence des extrême-droites mondiales dans la perspective des élections européennes. On y retrouvait Giorgia Meloni, pour l’Italie, Mateusz Morawiecki (Pologne), André Ventura pour le parti «Chega» du Portugal, Marine Le Pen (France), Viktor Orban (Hongrie), José Antonio Kast (Chili), des représentants du trumpisme, comme Matt Schlapp ou Roger Severino, le ministre de Netanyahou Amichai Chikli, membre du «Likoud», enfin cerise sur le gâteau, Javier Milei, président de l’Argentine. Leur programme ? La défense des valeurs occidentales et des conceptions traditionnelles de l’Église catholique, de « la civilisation judéo-chrétienne et du Dieu d’Israël » ; la revendication de l’homophobie, la détestation de l’impôt sur le revenu, la casse des Services publics. Enfin, le combat contre l’IVG (c’est un « génocide ». Sic) et contre le féminisme. « La Liberté » sans contrainte pour les investisseurs et le patronat et la défense de la propriété. Et pour couronner le tout, la revendication de « l’identité » nationale, la haine des immigrés et le rejet des acquis sociaux et des organisations ouvrières.

En mai 2024, le président argentin Javier Milei, invité par Vox, revient à plusieurs reprises à Madrid, et s’en prend en personne au Premier Ministre espagnol et à son épouse. Cela déclenche une crise diplomatique entre l’Espagne et l’Argentine.

Le 8 juin 2025 Javier Milei est encore à Madrid dans un Congrès-spectacle au Madrid Economic Forum (6). Devant une salle de 7 000 spectateurs, Milei entre en trombe en gesticulant et hurlant « Je suis le lion ! » sur une musique heavy metal («Panic Show» du groupe «La Renga»), il « chauffe la salle » dans une mise en scène type Mick Jagger, et s’écrie par trois fois : « Viva la Libertad, carajo ! Muera el Socialismo!» // « Vive la Liberté, bordel ! À mort le Socialisme ! » et d’encourager le public à crier «¡Pedro Sanchez, hijo de puta!». Le numéro d’histrion se poursuit dans ce show incroyable de vulgarité et de cynisme digne de son homologue Trump. Il se vante d’avoir « viré » 50 000 fonctionnaires en affirmant tout de go que « dans quarante ans, l’Argentine sera sans doute la première puissance mondiale »…

La présence de l’arrière-petite-fille de Mussolini à Madrid est loin d’être un « détail de l’Histoire » Tous ces éléments collés bout à bout, semblent démontrer que nous sommes devant une offensive extrêmement dangereuse, non seulement symbolique, mais pragmatique et globalisée, des extrême-droites et des fascismes «new look». Cette offensive dépasse l’Espagne, la France et l’Europe. Visiblement, Madrid semble être devenue la plaque tournante de cette peste noire-brune. Espérons que le ciel s’éclaircisse un peu et que nous soyons capables de nous y opposer.

Saint Michel-sur-Orge, 28 novembre 2025

Notes :

  • 1) son logo de flamme tricolore a été imité par la suite par le «Front National» et le «Rassemblement National».
  • 2) «Falange Española y de las Juntas de Ofensiva Nacional Sindicalista» («Phalange Espagnole et des Juntes d’Offensive National Syndicaliste»). Rappelons que le chef de ce parti fasciste avait été un agent stipendié de Mussolini comme l’a révélé l’historien et écrivain Max Gallo. Ce sera le nom que prendra le parti unique sous le régime franquiste. Imaginons qu’en Allemagne on reconstitue un parti qui s’appellerait NSDAP …
  • 3) Le logo de ce siège suggère un soldat coiffé du casque d’acier de la Wehrmacht et un livre (Mein Kampf ?).
  • 4) Le Procureur général Álvaro García Ortiz, vient d’être condamné par le Tribunal Suprême pour un pur problème de forme (alors qu’il suivait l’affaire du compagnon de la Présidente de la région de Madrid, Isabel Díaz Ayuso, figure du PP, inculpé et condamné pour détournement de fonds – bien réel – sur l’achat de masques anti-Covid 19). Précision : le Tribunal Suprême espagnol (sorte d’équivalent de la Cour de cassation française), ne se contente pas de « casser ». En dernière instance, il juge sur le fond ; c’est donc une instance judiciaire qui a, en outre, les prérogatives du pouvoir législatif, des Cortès et de l’exécutif. Les membres sont nommés par le roi (sur proposition du «Consejo General del Poder Judicial»). Or, suivant les textes en vigueur, pour siéger dans cet organisme, il fallait, dès 1978, avoir 15 ans d’expérience dans les tribunaux ! Autrement dit, être un rouage du système franquiste, au moins depuis 1963.
  • 5) En Espagne, c’est bien plus déterminant que les régions en France.
  • 6) C’est une Rencontre-Forum-spectacle de businessmen, de financiers et d’industriels qui investissent dans les paradis fiscaux comme l’Andorre ou les crypto-monnaies en compagnie de youtubeurs libéraux.

Texte complet d’une contribution à paraitre dans un bulletin du CREAL76.

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