L’affreuse misère des urgences pédiatriques

C’est une histoire banale, une histoire qui fait mal, une histoire qui devrait être anormale.
Une histoire des urgences pédiatriques qui montre à quel point le système ne tient plus.
J’accueille une enfant, Léa, 14 ans.
Léa est en foyer, elle vient triste, abattue, amenée par son éducatrice car « Elle ne veut plus continuer ».
Léa me le dit d’emblée « Je veux juste en finir ».
Léa a envie de mourir, à 14 ans.
L’histoire de Léa, c’est celle d’une gamine qui a été mise à la rue, qui a dormi dans des squats, qui s’est mise à l’alcool et au cannabis, qui a atterri d’abord dans un centre puis dans un foyer, puis un autre.
C’est l’histoire d’une gosse qui n’a plus rien.
Léa, quand je la vois, que l’on parle, me dit qu’elle est triste, me dit qu’elle en a marre de cette vie.
Qu’elle attend une place en Centre Médico-Psychologique (CMP) mais que l’attente est de plus d’un an.
Voilà.
Léa, bah elle n’a personne pour sa détresse.
Et puis, au milieu de l’entretien, cette jeune fille se met à pleurer devant moi, ça lâche d’un coup.
.
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💬 « J’voudrais juste quelqu’un qui m’aime. Vous savez. J’ai jamais été aimé dans la vie. J »veux juste quelqu’un qui m’aime…».
La boule dans la gorge.
Serrée.
Et vous savez quoi ?
J’ai quasiment rien à proposer à Léa.
J’ai pas de place car c’est l’hiver et y’a des bébés malades partout.
On n’a PAS de places parfois même pour ces bébés.
On a des infirmières et auxiliaires sous pression constante déjà pour ces bébés là.
Totalement, complètement, intégralement surchargées
Et puis de toute façon, j’ai pas de ressources pédopsychiatriques pour un lien au long cours.
J’ai pas de proposition pour une vraie famille.
J’ai rien, Léa.
Mais RIEN.
Je suis tellement triste de rien pouvoir faire Léa.
Je suis pas devenu médecin pour faire de la médecin et du soin comme ça.
C’est pas ça le soin.
Et Léa va repartir à son foyer.
Peut-être qu’elle verra le psychologue du foyer mercredi.
Peut-être. Ou pas.
Il est tout seul pour tous lui aussi.
Mais cette histoire, moi, j’en ai marre.
Dans la soirée, un autre enfant, 13 ans, retrouvé par la police sur alerte des voisins qui vit dans un taudis, dont la mère se tire régulièrement, qui n’a même pas mangé ce soir.
On va la mettre ailleurs, en foyer. Peut-être par miracle en famille d’accueil
Mais pour quel avenir ?
Franchement, quel avenir ?
J’accueille aussi un jeune gamin, 13 ans, phobie scolaire depuis 1 ans après un harcèlement.
Contexte de séparation difficile des parent en prime.
La mère a tout fait pour aider son gamin mais le CMP a une liste d’attente interminable, une hospitalisation est impossible sans idées suicidaires.
Et encore une fois, j’ai PAS la place !
Cette mère qui a fait plein de démarches, on lui répond qu’on peut pas l’aider.
Bah oui, on attendra une tentative de suicide.
Du gamin ?
De la mère ?
Des deux ?
Putain.
Merde.
Et cette colère, cette impuissance constante.
Je peux continuer tellement longtemps comme ça, si vous saviez.
Le système de santé, l’hôpital en France…
La prise en charge pédopsychiatrique et sociale encore davantage…
Tout est dans un marasme inimaginable.
Des centaines d’enfants se font trimballer de foyer en famille d’accueil ou pire…
Ils sont laissés dans leur famille maltraitantes en attente d’une solution, en attente de quelque chose.
Mais de quoi ?
Quel espoir ?
Tout le monde est dépassé, y’a pas de ressources, les soignants et personnels qui restent sont désœuvrés eux-mêmes.
Et puis vous lisez qu’on va encore réduire le budget alloué à ce domaine social de l’enfance.
Mais vous en faites pas, on va faire des concertations aussi.
Parce que visiblement, des centaines de gamins qui souffrent, qui veulent mourir, qui pleurent, qui n’ont plus rien, visiblement, en France, c’est acceptable.
Voilà, j’en ai marre
Vraiment.
J’ai eu envie de chialer après cette garde. Je le dis, même si c’est tabou.
Parce que je n’ai pas pu vraiment aider Léa comme je le devrais.
Parce que des enfants en sont là.
NOS ENFANTS.
Et mon pays, lui, s’en fout.
—–
2 ans ont passé depuis l’écriture de ce post.
Et vous savez quoi ?
Rien n’a changé, c’est même pire encore.
Il n’y a aucune ressource en ville, les CMP sont complètement débordés, le phénomène du harcèlement continue d’exploser, les conflits parentaux démolissent toujours les gamins entre les deux, et nous, bah, nous, on continue de faire avec pas grand chose.
Voilà.
La santé mentale des gosses, quoi.
Ce champ est nécessaire.

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