Depuis les années 1990, la réduction des cotisations sociales et la modération des salaires sont au cœur des politiques de soutien à l’emploi. Cette baisse du coût du travail est censée favoriser les embauches. Mais dans Toujours moins ! (La Découverte, 184 pages, 20 euros), l’économiste et statisticien Clément Carbonnier dénonce une « impasse stratégique du capitalisme français ». Suivie tant par la droite que par la gauche, cette politique n’a pas créé d’emploi et a creusé les inégalités, accuse-t-il.
Ce constat vaut aussi, mutatis mutandis, pour la Belgique. Je copie-colle quelques extraits qui aideront à combattre les mensonges de l’Arizona sur la « revalorisation du travail » et la compétitivité.
CITATIONS:
Lorsque le chômage a massivement frappé les classes populaires dans les années 1990, la baisse du coût du travail non qualifié ne s’imposait-elle pas ?
Il n’était pas illégitime de penser qu’en baissant le coût du travail, on pouvait résorber le chômage. Mais cela reposait sur une intuition. A l’époque, les gouvernants ne disposaient pas des résultats de ces politiques. Aujourd’hui, en revanche, nous savons que la baisse des coûts de travail est un mauvais outil pour créer de l’emploi.
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Vous contestez l’efficacité de ces réformes. Pourtant, des études accordent à la baisse du coût du travail non qualifié un effet sur l’emploi…
Celles qui le font sont des travaux théoriques. Plus intéressantes sont les études s’appuyant sur des données réelles : j’en ai examiné de très nombreuses, portant sur de grandes réformes menées dans plusieurs pays. (…) Or, sur la base de l’ensemble de ces évaluations, le constat est sans appel : sauf exceptions, ces politiques n’ont pas d’effet sur l’emploi.
Comment l’expliquez-vous ?
Plusieurs interprétations sont possibles. Dans le cas français, l’explication plus solide, c’est ce qu’on appelle en économie la « complémentarité entre les facteurs de production ». Une entreprise ne peut pas remplacer un type de facteur de production (travailleur, machine…) par un autre simplement parce qu’il devient moins cher. Un exemple pour comprendre : pendant la crise énergétique, le prix de l’électricité a augmenté. Les boulangers, qui consomment beaucoup d’électricité pour cuire leur pain, ne se sont pas dit « je vais utiliser plus de farine et plus d’eau et moins cuire mon pain ». Ces éléments ne sont pas substituables. Les boulangers ont dû subir ce choc. De même, si le coût de leur ouvrier boulanger baisse, ils ne vont pas se dire : très bien, j’en embauche un deuxième et je réduis la cuisson ou la quantité de farine.
Pour les mêmes raisons, les hausses du coût du travail (une augmentation du salaire minimum par exemple) affectent faiblement l’emploi. J’avais calculé l’impact de la hausse de 14 % du smic, proposée par le Nouveau Front populaire, sur les secteurs les plus intensifs en bas salaires : commerce de détail, services aux entreprises, restauration, etc. Eh bien, malgré l’ampleur de cette revalorisation, les coûts de production n’augmentaient que de 0,6 %.
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Si tant d’études empiriques convergent, comment se fait-il que les économistes soient toujours en désaccord sur le sujet ?
Des raisons idéologiques, qui tiennent à la foi en l’efficacité des marchés, empêchent sans doute certains de mes collègues d’admettre ces résultats. Mais les positions évoluent, grâce aux études empiriques, de plus en plus nombreuses, que le traitement informatique rend désormais possibles. (…)
L’une des critiques principales que vous adressez aux politiques de réduction du coût du travail, c’est qu’elles auraient accru les inégalités en France. Par quels mécanismes ?
Ils sont multiples. Réduire les salaires en affaiblissant le pouvoir de négociation touche principalement ceux qui en ont déjà peu, c’est-à-dire les travailleurs au bas de l’échelle. Réduire les cotisations, c’est alléger la contribution des employeurs à l’effort collectif. Cela représente une manne, qui est partagée entre les actionnaires et les salariés les plus qualifiés. Par ailleurs, les allègements de cotisations sociales servent de prétexte à la réduction des dépenses de protection sociale, ce qui pénalise surtout les personnes défavorisées, qui n’ont pas les moyens de se tourner vers une couverture privée. Et quand ces allègements sont compensés, c’est soit par une réduction de la dépense publique (au détriment, donc de la redistribution sociale), soit par l’augmentation d’autres prélèvements obligatoires qui ne sont pas payés par les employeurs, mais par tout le monde (CSG, TVA…).
Quelles sont les alternatives possibles pour soutenir l’emploi ?
Il y a certainement mieux à faire que subventionner à l’aveuglette les entreprises payant mal leurs salariés. Pour commencer, créer directement des emplois publics serait plus efficace. Il y a d’énormes besoins non satisfaits par le privé. Nombre de ces emplois publics seraient générateurs à la fois de bien-être pour les ménages et de productivité pour les entreprises. Exemple : des emplois d’aide à la petite enfance. Cela libérerait du temps pour les mères, qui doivent souvent s’arrêter de travailler pour pouvoir garder leurs enfants. Nous avons également besoin d’emplois d’aide aux personnes âgées.
Mais si on veut doper la productivité des entreprises, le plus efficace, plutôt que de baisser le coût du travail, ce serait de leur fournir des salariés potentiels très qualifiés et des innovations de rupture. Pour cela, il faut investir dans la formation professionnelle et dans la recherche et développement [R&D]. (…)
Plus de financements publics pour la formation ou la recherche, ce n’est pas ce que revendiquent prioritairement les entreprises…
(…) il est bien plus facile de décrocher une nouvelle couche de réduction des charges. Même si ce n’est pas indispensable, c’est toujours bon à prendre. Le bénéfice est immédiat, alors que les alternatives que j’évoque ont un effet à long terme sur la productivité des entreprises et doivent être portées dans la durée par plusieurs gouvernements. C’est le vieil adage selon lequel « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ».
Clément Carbonnier, économiste : « Nous savons aujourd’hui que la baisse des coûts de travail est un mauvais outil pour créer de l’emploi »
Dans son ouvrage « Toujours moins ! » le statisticien dénonce, chiffres à l’appui, l’inefficacité de la stratégie jusque-là consensuelle de la baisse du coût du travail : il y voit une « impasse stratégique » qui attise les inégalités.
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