Charlie, la déroute politique s’approfondit.

Pour ma part, il y a longtemps que ce canard a rompu avec l’initiale orientation antisystème déjantée qui a bousculé les conformismes d’une société et des politiques réactionnaires qui en tiraient leur légitimité.
Charlie, dont l’embardée date de sa prise en main par Val et Fourest, sème sans fin le confusionnisme le plus extravagant sur la laïcité en l’annexant à ce que les droites, y compris néofascistes, en ont fait, le vecteur du racisme du choc des civilisations avec une prédilection islamophobe qui sait se combiner avec la négrophobie, comme le démonte, dans le billet de Mediapart auquel je renvoie, l’éminent spécialiste de la laïcité Jean Baubérot-Vincent.
Le dessin qui aujourd’hui témoigne de cet effondrement politique est de son directeur de publication, Riss, qui n’en est pas à sa première sortie antilaïque, faussement universaliste républicaine, toute bouffie d’essentialisation et d’amalgames stigmatisants (1). Bien trumpiste… C’est dire la dégringolade charliesque…
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« Quand Rokhaya Diallo constate, sur le réseau social X, que « ce dessin hideux » s’inscrit « dans le droit fil de l’imagerie coloniale » (car Joséphine Baker, en son temps, retournait un stigmate), l’hebdomadaire, sur le même réseau, l’accuse aussi sec : « Y voir une référence raciste est une manipulation dont elle nous a malheureusement habitués » ! Et, sans vergogne aucune, il poursuit en reprochant à l’écrivaine d’assigner « chacun à son origine ethnique et religieuse, contre l’universalisme républicain ». Donald a trouvé son maître et il lui sera difficile de faire aussi bien dans le retournement complet de la vérité. Mais qui Charlie espère-t- il « trumper » ? Même Olivier Faure a trouvé le dessin raciste. »
(1) Riss s’était fendu en 2016 d’un infect billet lors d’un attentat djihadiste commis à l’aéroport de Bruxelles; voici ce que j’en rapportais (extrait) :
Direction l’aéroport de Bruxelles. À cet instant, personne n’a encore rien fait de mal. Ni Tariq Ramadan, ni la femme voilée, ni le boulanger, ni ces jeunes désoeuvrés [qui vont commettre l’attentat]. Pourtant, tout ce qui va arriver ensuite à l’aéroport et dans le métro de Bruxelles ne pourra avoir lieu sans le concours de tous. Car tous inspirent la crainte et la peur. La peur de contredire, la peur de polémiquer, la peur de se faire traiter d’islamophobe et même de raciste. La peur, tout simplement. Ce qui va se passer dans quelques minutes est l’étape ultime de la peur : la terreur. Le terrorisme. Il n’y a pas de terrorisme possible sans l’établissement préalable d’une peur silencieuse généralisée. »
On a bien lu « tout ce qui va arriver ensuite à l’aéroport et dans le métro de Bruxelles ne pourra avoir lieu sans le concours de tous. » La femme voilée (comme les deux autres) a prêté son concours à la commission de l’attentat ! Le dictionnaire qui connaît le sens des mots dit clairement « Concourir implique les notions de participation et de contribution à un acte ou à une action ». Ne méprisons pas l’auteur de ces lignes : il connaît son dictionnaire ! A ceux qui récusent que Charlie soit islamophobe, qu’ils notent les occurrences de « peur » (toujours notre bon dico : « Phobie : aversion très vive, irraisonnée ou peur instinctive ») dans ce texte et le sens de leur emploi : il ne s’agit pas de la peur générée par les terroristes mais par les simples (sic) musulmans, même le boulanger sans histoire dont il est « repéré », doit-on supposer, qu’il est musulman par sa seule apparence physique, peut-être sa façon de parler… Sarkozy, cet intellectuel parmi les plus fins, aussi fin que Riss, a pu oser l’impayable et funeste « musulmans d’apparence ».
(…)
L’entreprise idéologique de Riss ne saurait se contenter de diaboliser les épouvantables petites mains djihadistes. Notre homme cible large : le terrorisme c’est plus que les terroristes, c’est même en quelque sorte tout autre chose que les seuls terroristes, c’est un tout hiérarchisé avec, à sa tête, l’intello qui, lui, maîtrise le fonds idéologique-religieux de l’affaire, l’islam, et, à des échelons intermédiaires, le « brave » musulman qui bosse et la si anodine et digne femme soumise, voilée, qui vaque « innocemment » à son quotidien. Ces pièces supérieures et médianes du tout du terrorisme, prépareraient, chacune à sa façon et à sa place, l’action des exécutants de l’horreur.
Voilà, grâce au directeur de Charlie, fournie clé en main la construction holistique du problème musulman par laquelle il est légitimé que pour lutter contre le terrorisme, il faille faire haro sur les musulman.e.s.*

27 décembre 2025

Quand Charlie-Hebdo se dévoile en caricaturant Rokhaya Diallo

« L’universalisme républicain », voilà le maître mot de l’article accompagnant la caricature et attaquant Rokhaya Diallo. Mais ce dessin constitue précisément l’exemple type de ce racisme se cachant sous le masque de « l’universalisme » et d’une « laïcité » totalement dévoyée.


Un article de Charlie-Hebdo, intitulé « Rokhaya Diallo La petite fiancée de l’Amérique », est paru dans un « Hors-série » de l’hebdomadaire censé dénoncer les « Fossoyeurs de la laïcité », accompagné d’une caricature de son directeur Riss, qui la montre en train de se trémousser sur une scène, devant une poignée de mecs (et que des mecs !) hilares, portant une ceinture de bananes à la taille. Cet attribut fait penser à une célèbre photographie de Joséphine Baker, mais on a beau se triturer la cervelle, on ne voit pas du tout le pourquoi de la chose.

Une caricature accentue le (ou les) trait(s) caractéristique(s) d’une personne. Ainsi les caricatures de Charles de Gaulle le représentent en habit de général. Là, quelle ressemblance, quel point commun peut-il bien exister entre ces deux femmes, à part le fait d’être des femmes précisément, mais comme plus de trois milliards d’êtres humains. La première est une écrivaine et journaliste française vivant au XXIe siècle ; la seconde une chanteuse, danseuse, meneuse de revue et actrice franco-américaine du XXe siècle.

« Non, rien de rien, non je ne vois vraiment rien » chanterait Edith Piaf. Ah, il y a bien un truc, mais je n’arrive pas à savoir lequel et, plus je m’obstine à le chercher, moins je trouve. Bah, cela va me revenir quand je n’y penserai plus. Effectivement, quelques heures plus tard, je me dis : « Non, ce n’est pas possible, ils ont osé » : le point commun, le seul possible, est que toutes les deux ont la peau noire. Enfin, ce « noir » est seulement une couleur sociale, car vous les mettez devant un tableau de Soulages, le contraste est saisissant. De même, vous me placez face à un mur blanc et vous pourrez constater, qu’heureusement, je ne suis pas blafard. Et pourtant Manuel Valls me qualifierait de « Blancos » !

Pourquoi, diable, quand il s’est agi de dessiner Rokhaya Diallo, Riss a pensé à Joséphine Backer ? Parce que pour lui, elle n’a pas la peau « noire », comme moi je commence à avoir les cheveux blancs ; non, elle EST « noire », fondamentalement noire, cela constitue sa caractéristique principale, le trait à retenir pour l’assimiler à une autre « noire » qui n’a, par ailleurs, absolument rien à voir avec elle. Le fait qu’elle publie des livres, qu’elle écrit des articles, tout cela importe peu. Elle n’a jamais dansé sur scène, la caricature ne fait référence à rien qui se rapporte à sa vie (par exemple, une signature de livres). Mais peu importe sa vie, Au yeux du directeur de Charlie, elle n’est pas une individue. Riss n’a retenu d’elle qu’une chose : sa peau est « noire » ! Et cela lui a fait aussitôt penser à une autre « noire », Joséphine Baker. Limpide !

Il y a une quinzaine d’années Rokhaya Diallo animait un groupe nommé Les Indivisibles (la République étant « indivisible », ses citoyens sont égaux). Cette association décernait le prix « Y a bon award » à des propos racistes de journalistes (exemple dont je me souviens : un éditorialiste d’un grand hebdomadaire avait écrit : « Ces gens-là se reproduisent comme des lapins »  -sic). « « Y a bon award » était une allusion au slogan raciste et colonialiste « Y a bon banania », censé représenter le français parlé par les Africains (l’affiche comportant cet énoncé mettait en scène un tirailleur sénégalais, souriant, dégustant un bol de Banania). Incontestablement, Charlie a droit à un « Y a bon award » toutes catégories !

Mais attendez, l’affaire n’est pas finie. On n’a pas encore atteint le sommet de l’immonde. Quand Rokhaya Diallo constate, sur le réseau social X, que « ce dessin hideux » s’inscrit « dans le droit fil de l’imagerie coloniale » (car Joséphine Baker, en son temps, retournait un stigmate), l’hebdomadaire, sur le même réseau, l’accuse aussi sec : « Y voir une référence raciste est une manipulation dont elle nous a malheureusement habitués » ! Et, sans vergogne aucune, il poursuit en reprochant à l’écrivaine d’assigner « chacun à son origine ethnique et religieuse, contre l’universalisme républicain ». Donald a trouvé son maître et il lui sera difficile de faire aussi bien dans le retournement complet de la vérité. Mais qui Charlie espère-t- il « trumper » ? Même Olivier Faure a trouvé le dessin raciste.

« L’universalisme républicain », voilà le maitre mot de l’article accompagnant la caricature et attaquant Rokhaya Diallo, parce que celle-ci a dénoncé « le racisme et ‘l’islamophobie de son pays de naissance », au lieu d’opposer au « sacro-saint multiculturalisme » américain, « un universalisme républicain salvateur » ! Mais comment l’hebdomadaire fait-il pour ne pas percevoir que son dessin constitue précisément l’exemple type de ce « racisme », se cachant sous le masque de « l’universalisme » (le qualifier de « salvateur » montre bien l’aspect religieux du républicanisme de Charlie) et d’une « laïcité » totalement dévoyée ?

En plus l’auteur de l’article – Yovan Simovic – en rajoute : « pays de naissance », cette expression n’aurait nullement été utilisée pour désigner des Françaises et des Français « blancs ». Décidément Charlie racise comme il respire. Il demande à Rokhaya Diallo de « causer un peu » aux Américains « de notre patrimoine franchouillard au-delà de la bouffe et du pinard. » Mais, elle n’a nul besoin de le faire : l’hebdomadaire s’en charge fort bien ! On ne saurait faire plus « franchouillard » ! Charlie semble complètement englué dans les œillères de la bonne conscience, devenant complètement hors-sol, croyant que son statut de victime lui donne tous les droits ad aeternam. Vraiment affligeant !

Je suis « blanc » de « naissance » (comme l’écrirait Charlie). Mais aujourd’hui, je me sens bleu, rouge, noir, vert, jaune, violet. Et, comme ma sœur Rokhaya, j’ai reçu un soufflet.

***

PS : La Vigie de la laïcité publie un communiqué dont je vous donne le contenu :

La Vigie de la laïcité exprime son soutien total à Rokhaya Diallo, visée par une caricature publiée par Charlie Hebdo et dénoncée pour ses codes colonialistes et sa réduction sexualisée.

La Vigie de la laïcité rassemble de très nombreux membres et sensibilités. Parmi eux figure notamment Jean Baubérot-Vincent, qui a coécrit avec Rokhaya Diallo un ouvrage consacré à la laïcité.

Cette diversité nous oblige à une exigence commune : défendre la loi du 9 décembre 1905 dont nous célébrons les 120 ans, et ainsi promouvoir une laïcité de liberté, d’égalité et de dignité, sans jamais tolérer que l’on essentialise, humilie ou déshumanise une personne au moyen d’une imagerie racialisante.

Nous le rappelons : la critique des idées, y compris vive, est légitime, et la satire a toute sa place dans une démocratie. Mais elle ne saurait justifier que l’on réactive un imaginaire colonial pour rabattre une femme noire sur un « corps-spectacle » exotisé. Ce glissement n’éclaire aucun débat : il abîme l’espace public et alimente précisément ce que la laïcité doit empêcher — la hiérarchisation des personnes et le soupçon jeté sur certaines citoyennes.

Nous dénonçons également la tentative de défense de cette caricature par l’instrumentalisation de la figure de Joséphine Baker. Joséphine Baker a pu, dans un cadre qu’elle tentait de maîtriser, jouer avec des stéréotypes pour mieux les retourner. Mais l’invoquer ici revient à détourner son héritage pour justifier une imagerie qui, au contraire, réactive sans distance des codes de domination et les impose à la personne visée.

Nous appelons à la responsabilité, au respect des personnes, et à un retour au débat de fond : la laïcité n’est ni un prétexte à l’assignation identitaire, ni un outil de disqualification personnelle. Elle est un cadre destiné à garantir la liberté de conscience, l’égalité et la construction du commun, en s’appuyant sur toutes les cultures et toutes les appartenances.

La Vigie de la laïcité réaffirme enfin sa détermination à combattre toutes les formes de racisme et de sexisme, quels que soient leurs habits — y compris lorsqu’ils se présentent comme de l’humour.

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