Malgré quelques aménagements à la marge, le Premier ministre a égrené ce mercredi les principaux éléments constitutifs de la réforme du système de retraites. Sans surprises, il faudra travailler plus longtemps pour bénéficier d’une retraite à taux plein et les pensions de la plupart des salariés baisseront.
Prise en compte de l’ensemble de la carrière, âge d’équilibre à 64 ans, décote, fin des régimes spéciaux, tous les éléments annoncés en juillet par le rapport Delevoye seront dans le projet de loi du gouvernement qui sera dévoilé à la fin du mois de décembre. C’est ce qu’a annoncé Édouard Philippe ce midi au Palais d’Iéna. Le projet de loi sera présenté en conseil des ministres le 22 janvier avant d’arriver devant le parlement fin février. Six mois de tergiversations, d’annonces et de contre-annonces pour ça !
Sur le fond, rien ne change. Les trimestres sont remplacés par des points dont nous ne connaîtrons la valeur qu’au moment de faire valoir nos droits. Édouard Philippe a annoncé que le gouvernement s’engage sur la valeur du point et que celle-ci ferait l’objet d’une règle d’or. Pourtant, concrètement, elle sera toujours fixée par un organisme paritaire constitué des partenaires sociaux, sous contrôle du parlement. Exactement ce que préconisait Jean-Paul Delevoye en juillet : qu’elle soit soumise à la loi de finances. Par contre, le Premier ministre n’a pas évoqué dans son allocution le plafond maximum de 14 % du PIB pour les dépenses liées aux retraites, inscrit dans les préconisations du haut-commissaire aux Retraites. Ce sera la surprise à la fin du mois, lorsque le texte sera connu.
Travailler plus pour gagner moins
En confirmant que le calcul des pensions s’effectuerait sur l’ensemble de la carrière, le gouvernement entérine la fin du calcul sur les 25 meilleures années pour le privé et sur les 6 derniers mois pour la fonction publique dont les carrières sont ascendantes. C’est un des nœuds de la réforme. Ce changement induisant mécaniquement une baisse des pensions avec la baisse du salaire moyen de référence à partir duquel seront calculés les droits. Celle-ci concernera l’ensemble des salariés du privé, les plus nombreux, et touchera encore plus durement les fonctionnaires.
Autre élément confirmé : l’âge d’équilibre, appelé un temps âge pivot. Il sera bien de 64 ans, comme inscrit dans le rapport du haut-commissaire aux Retraites il y a six mois. Ainsi, si l’âge légal reste fixé à 62 ans, la nouvelle règle imposera une décote de 10 % pour un départ en retraite à 62 ans et 5 % pour une liquidation des droits à 63 ans. À l’inverse, une surcote sera octroyée en prolongeant son activité au-delà de l’âge d’équilibre. Seule annonce, les salariés ayant commencé leur carrière avant 20 ans ne subiraient pas de décote. Cependant, ils se font rares dans la mesure où l’entrée sur le marché du travail est de plus en plus tardive : le taux d’emploi des 15-24 ans étant de 27,4 % selon les chiffres de l’Insee. De plus, une carrière commencée à 19 ans et s’achevant à 62 ans correspond à 43 ans annuités dans le système actuel.
Des aménagements pour tenter de déminer les secteurs en grève
Pas de clause du grand-père pour encourager l’égoïsme de ceux qui travaillent envers les prochaines générations, mais un décalage aux classes d’âge nées au-delà de 1975 pour l’application du nouveau système de retraites à points. C’est le levier qu’utilise l’exécutif. Il espère ainsi sortir les plus de 43 ans du mouvement de grève et d’opposition à la réforme. Mais au-delà de ce « cadeau » fait aux salariés nés entre 1963 et 1975 à mettre au compte des grèves entamées le 5 décembre, le gouvernement s’attache à déminer le conflit dans certaines professions.
Pour les salariés de la SNCF et de la RATP les plus mobilisés, Édouard Philippe ne propose pas grand-chose de concret au-delà de discussions dans les entreprises pour gérer les modalités de la fin de leurs régimes particuliers. Par contre, le Premier ministre a mis l’accent sur deux professions mobilisées et dont l’entrée massive dans la grève reconductible augmenterait le rapport de force des opposants à la réforme : les enseignants et les aides-soignantes. Pour ces dernières, il s’agit essentiellement de poudre aux yeux. Édouard Philippe a promis des aménagements de fin de carrière avec du travail en temps partiel payé à temps complet. En réalité, cela signifie un allongement de la durée de travail puisque les aides-soignantes dans le public bénéficient du service dit actif, octroyant deux années de départ anticipé. Autre mesure, une modification de la comptabilisation du travail de nuit, dont il n’a pas défini les contours.
Pour les enseignants très mobilisés contre la réforme, le Premier ministre a promis que leur niveau de retraite serait comparable à aujourd’hui et qu’il serait inscrit dans la loi. Mais comparable, n’est pas forcement égal. Sans livrer vraiment de détails chiffrés, il a suggéré une revalorisation progressive des rémunérations et des carrières, renvoyant à des réunions entre les ministères concernés et les syndicats devant s’ouvrir de façon imminente et se poursuivre jusqu’à l’été prochain. Le diable se cachant souvent dans les détails, l’évocation par Édouard Philippe de négociations portant sur les carrières, mais mêlant une redéfinition du métier d’enseignant ne laisse rien augurer de très bon.
Des droits nouveaux qui n’en sont pas vraiment
Le Premier ministre a insisté sur un élément de langage qui devrait devenir un standard de la majorité : « nous ouvrons de nouveaux droits ». N’ayant pas peur du ridicule il a même déclaré à propos de la mesure visant à garantir des pensions minimales fixées à 1000 € (85 % du SMIC) : « ce sera une révolution sociale ». Fichtre ! En réalité, cette mesure censée répondre à la précarité croissante et aux parcours professionnels sinueux ne concernera que les salariés ayant une carrière complète : probablement 43 années de travail, sans que cela ait été précisé. Certes, Édouard Philippe a évoqué des points supplémentaires octroyés pour compenser les carrières hachées, mais n’a rien chiffré et n’a pas expliqué qui pourrait en bénéficier et selon quelles conditions. Un peu court pour une révolution sociale, qui soit dit en passant aurait dû être effective depuis 2008 pour les agriculteurs, car déjà décidé en 2003.
Le couplet sur les droits nouveaux pour les femmes reprend les éléments déjà présentés de cette façon dans le rapport Delevoye. Cependant, les mesures spécifiques pour compenser les pensions des femmes qui seront particulièrement touchées par la prise en compte de toute la carrière ne suffiront pas. Sur ce point la seule nouveauté consiste à l’ajout d’un bonus de 2 % pour les familles ayant trois enfants ou plus. Rien de magique effectivement.
Lisez notre dossier sur les retraites : ICI
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