François Ruffin disrupte l’opposition

12/03/2019

Un livre, un film (ici présenté au théâtre Toursky à Marseille, le 2 mars 2019), des vidéos virales : François Ruffin tente de mobiliser au-delà des militants des partis politiques.  Crédits : Gérard Julien – AFP

Et si, mieux que Laurent Wauquiez ou Jean-Luc Mélenchon, c’était François Ruffin qui s’était glissé dans les habits de meilleur opposant ?

Et si c’était lui, le député insoumis de la Somme, qui avait le mieux compris comment combattre un président élu sur la « disruption », sur la promesse d’un nouveau monde ?

Faisons une hypothèse : Ruffin, par ses méthodes, a lui-même « disrupté » la pratique de l’opposition. Face à Emmanuel Macron, il incarne peut-être le « nouveau monde » d’en bas, quand le président serait le créateur du nouveau monde d’en haut.

Les points commun entre les deux hommes ne manquent pas. Tous deux ont été élus pour la première fois en 2017, après avoir exercé un métier si impopulaire : journaliste pour l’un, banquier d’affaires pour l’autre. Bonne chance pour vous faire élire avec un tel CV.

Pourtant, les deux l’ont emporté contre les pronostics. L’histoire d’Emmanuel Macron est connue. Plus que celle de François Ruffin, dans cette première circonscription de la Somme, où il aborde le deuxième tour des législatives avec 4000 voix de retard. A cette échelle, c’est un gouffre. Seule une campagne centrée sur les cohortes d’abstentionnistes lui permet de l’emporter sur le fil et d’entrer au Palais Bourbon.

Vidéos virales plutôt que BFM

L’ancien pensionnaire du lycée de la Providence d’Amiens (comme Emmanuel Macron) utilise alors les instruments du macronisme. Comme lui, il boycotte les portraits politiques et les plateaux de télévision – quand ses collègues députés se damneraient pour dix minutes sur BFM. Comme le président, Ruffin préfère inonder les réseaux sociaux de vidéos virales de ses discours. Il est vrai qu’on y risque moins la contradiction que sur un plateau. Des centaines de milliers de vues sur Facebook : tiens, c’est aussi le réseau où se sont organisés les gilets jaunes.

Bien sûr, la comparaison l’agacerait, lui qui a choisi de jouer la contre-programmation face au macronisme. Jusqu’à s’en prendre au physique du président, trop beau de n’avoir pas assez souffert.

Ruffin se fait volontiers le porte-voix des derniers de cordées, des « gens », comme il les appelle dans son film (« J’veux du soleil », dans les salles le 3 avril). L’on y voit notre homme déambuler de ronds-points en gilets jaunes au volant de sa citroën Berlingo.

Là où la politique parle souvent chiffre, taux et pourcentage, il revendique le droit à la faiblesse et aux failles personnelles, comme dans cette interview à Brut, le média en ligne :

Alors que la Vème république est toute entière tournée vers la recherche de l’homme fort, lui se revendique en homme faible.

Il a pressenti que les électeurs sont las des postures de super-héros, qui une fois élus semblent soudainement atteint par la kryptonite de l’impuissance et du parler creux.

On attend toujours, en revanche, de connaître le modèle de société idéal de François Ruffin : quel système économique ? Quelles institutions publiques ? S’il a construit l’opposition, on ne peut pas dire qu’il ait bouleversé le champ de la proposition.

Démagogie ? Facilité de suivre la foule plutôt que de lui résister ? Pas forcément. Il faut revoir François Ruffin sous les huées, lors d’une soirée de soutien à la famille d’Adama Traoré, ce jeune homme décédé à la suite d’une interpellation par les gendarmes. François Ruffin refuse alors de se positionner et d’incriminer les forces de l’ordre, en tout cas avant d’avoir travaillé le dossier :

« Je vais pas me positionner avant d’être intimement convaincu (…) En toute matière, je commence par mener l’enquête d’abord… [huées] »

Face aux soutiens de la famille d’Adama Traoré, la position peut se discuter, mais la posture de facilité n’était sans doute pas celle-ci.

Avec sa houppe désuète et son allure sortie d’une bande-dessinée, Ruffin possède l’incomparable avantage en politique d’être constamment sous-estimé.  Ses collègues députés de la France insoumise l’ont vu arriver comme un touriste en politique, il est maintenant plus identifié qu’eux. Jusqu’où ? Pense-t-il à la présidentielle ?

Est-il le Macron d’en bas, issu de la société civile, mais politique jusqu’au bout des ongles, faussement ravi de la crèche ? Macron de son air ingénu avait trompé Hollande. Ruffin, du sien, feintera-t-il Mélenchon ?

Frédéric Says

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