Conférence de presse d’Emmanuel Macron : les sept approximations du chef de l’Etat

Créations d’emplois, croissance, temps de travail, pouvoir d’achat… Le président de la République a commis plusieurs imprécisions, jeudi, au cours de son grand oral censé répondre à la crise des « gilets jaunes ».

Emmanuel Macron le 25 avril 2019 lors de sa conférence de presse à l’Elysée (Paris). (LUDOVIC MARIN / AFP)

Pendant plus de deux heures, Emmanuel Macron a parlé. Jeudi 25 avril, au cours de sa conférence de presse destinée à solder la crise des « gilets jaunes » et à clore l’épisode du grand débat, le chef de l’Etat a annoncé des mesures et en a écarté d’autres. Mais le président de la République a aussi commis quelques imprécisions.

La croissance de la France est supérieure à celle de nombreux pays européens

PAS TOUT A FAIT. « Notre croissance est supérieure à celle de bien de nos pays voisins », a assuré le chef de l’Etat. En fait, en Europe, seuls six pays ont fait moins bien que la France en 2018, selon les données d’Eurostat. La Belgique, le Danemark, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Norvège affichent un taux de croissance de 1,4%, contre 1,5% pour l’Hexagone, soit un très faible écart. Seule l’Italie est à la traîne (0,9%). En revanche, la croissance française est bien en dessous de celle de l’Union européenne (2%) et de celle de la zone euro (1,9%).

Les Français travaillent moins que leurs voisins

PLUTOT VRAI, MAIS. « Quand je nous compare à nos voisins et aux autres pays de l’OCDE, on travaille moins rapporté à l’année », a asséné le président de la République. Selon les données de l’OCDE, le travailleur français a passé en moyenne 1 526 heures à son travail en 2016, loin devant son équivalent allemand (1 356 heures en 2017) et juste derrière le travailleur britannique (1 538 heures en 2018). La moyenne de l’OCDE, elle, est à 1 746 heures (en 2017). La France est en effet 8e dans la liste des pays travaillant le moins par an au sein des 36 Etats membres de l’OCDE.

Mais, si les Français ne sont pas ceux qui travaillent le plus d’heures dans l’année, ils sont parmi les plus efficaces : selon un récent rapport (PDF) du Conseil national de productivité, la France est dans le haut du classement pour la productivité horaire du travail, au coude-à-coude avec l’Allemagne, et bien au-dessus de l’Italie, du Royaume-Uni et de l’Espagne.

L’augmentation du pouvoir d’achat est sans précédent depuis dix ans

VRAI, MAIS. « Le pouvoir d’achat réaugmente dans des proportions qui n’avaient pas été connues depuis dix ans », a affirmé Emmanuel Macron. C’est plutôt vrai. Selon l’Insee, le pouvoir d’achat des Français (+1,3% en 2017) a retrouvé un niveau comparable à celui de 2010 (+1,6%). La hausse a été amorcée en 2013 (-1,2%), malgré un petit coup de mou en 2015. Ces statistiques sont toutefois contrebalancées par une autre, relevée par Le Point en 2018 : le pouvoir d’achat rapporté à la taille du foyer n’a pas augmenté depuis dix ans, c’est-à-dire depuis l’éclatement de la crise financière.

Plus de 500 000 emplois créés depuis le début de sa présidence

OUI, MAIS. « Nous recréons des emplois », s’est félicité Emmanuel Macron, d’après qui « plus de 500 000 » emplois ont été créés « durant ces deux premières années ». En 2017, la France a créé 340 000 emplois, selon Vladimir Passeron, le chef du département de l’emploi à l’Insee. Mais en 2018, l’économie française en a créé deux fois moins, seulement 160 300, selon l’Insee. Surtout, Emmanuel Macron n’est arrivé au pouvoir qu’en mai 2017. Si les bons chiffres de cette année-là devaient être mis au crédit de la politique d’un président, ce serait donc en partie à celle de son prédécesseur, François Hollande.

Il n’a »jamais traité les Français de fainéants »

DISCUTABLE. « Quand j’ai parlé des fainéants, j’ai parlé des dirigeants, la seule fois où j’ai parlé de fainéants. Je faisais référence aux rois fainéants. Je n’ai jamais traité les Français de fainéants. Je ne le crois pas », s’est défendu Emmanuel Macron. Une défense discutable. La polémique, qui poursuit le chef de l’Etat depuis le début de son mandat, remonte à une petite phrase lâchée en septembre 2017 à Athènes devant la communauté française. « Je ne céderai rien ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes », avait dit le président, défendant sa politique de réformes. Interrogé sur ses propos, il avait ensuite assuré qu’il ne les regrettait « absolument pas ». Les fainéants, « ce sont toutes celles et ceux qui pensent qu’on ne doit pas bouger », avait encore expliqué le chef de l’Etat, cité par Le Figaro.

Le jeune horticulteur à qui il avait conseillé de traverser la rue était prêt à travailler dans l’hôtellerie ou la restauration

PAS TOUT A FAIT. A la fin de sa conférence de presse, Emmanuel Macron est revenu sur une autre séquence qui lui a été beaucoup reprochée : celle au cours de laquelle il avait conseillé à un jeune au chômage de traverser la rue pour trouver du travail. Se remémorant sa conversation avec ce chômeur en septembre 2018 dans les jardins de l’Elysée pendant les Journées du patrimoine, le chef de l’Etat a raconté : « Il m’a dit : ‘Je suis prêt à prendre un emploi dans l’hôtellerie, la restauration.' »

Ce n’est pas exactement ce qu’il s’était passé. Au contraire, c’est le président de la République qui avait suggéré à cet horticulteur sans travail de tenter sa chance dans des hôtels ou des restaurants. Le jeune a, depuis, trouvé un emploi de cariste.

L’Elysée n’a jamais protégé Alexandre Benalla

VRAI, MAIS. « Il n’y a jamais eu de prébende pour Alexandre Benalla à l’Elysée, il n’a jamais été protégé par l’Elysée », a affirmé le chef de l’Etat. Si la commission d’enquête du Sénat a pointé dans son rapport, fin février, les « dysfonctionnements » de l’exécutif dans sa gestion de l’affaire Benalla, l’enquête, elle, s’est intéressée à un membre de la garde rapprochée d’Emmanuel Macron, Ismaël Emelien, ancien conseiller spécial du président qui, depuis, est parti de l’Elysée. Ce spécialiste de la communication de crise, passé par l’agence Havas, a été entendu mi-janvier en audition libre par l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN).

Ismaël Emelien est mis en cause dans cette affaire depuis qu’Alexandre Benalla a affirmé aux enquêteurs lui avoir transmis des vidéos, obtenues illégalement auprès de la police et destinées à le disculper dans le déroulé des violences en marge du défilé du 1er mai à Paris. Les images en question, qui avaient fuité le soir de la révélation du scandale par Le Monde, le 18 juillet, s’étaient retrouvées le lendemain sur des comptes Twitter pro-Macron, tels que @FrenchPolitic.

Dès juillet, l’Elysée avait confirmé que le très discret conseiller d’Emmanuel Macron avait eu accès à ces bandes de vidéosurveillance. Selon Le Monde, qui a pu consulter les procès-verbaux de l’audition, Ismaël Emelien a bien reconnu avoir visionné ces vidéos, déposées par Alexandre Benalla à l’Elysée, et les avoir transmises à un salarié de La République en marche chargé du numérique, Pierre Le Texier, qui les a mises en ligne pour organiser un « contre-feu médiatique » face au scandale en train de naître. Mais il a aussi assuré « n’avoir jamais eu conscience du caractère illégal de ces images, ce qui dans le cas contraire le rendrait complice de recel », explique Le Monde.

« Il ne s’agissait pas d’assurer la défense personnelle d’Alexandre Benalla, mais celle de l’Elysée et du président de la République, qui étaient pris à partie dans cette crise », a expliqué Ismaël Emelien aux enquêteurs, selon le quotidien. Le conseiller spécial a affirmé n’avoir jamais imaginé que les images pouvaient être des extraits de vidéosurveillance policière, évoquant plutôt des images « sorties des réseaux sociaux » ou des « images de webcam touristiques accessibles librement sur internet [Surfview] ». Mais alerté par le service de presse de l’Elysée, qui avait été interrogé par des journalistes au sujet d’une vidéo volée, Ismaël Emelien dit avoir été « pris d’un doute » en fin d’après-midi le 19 juillet et avoir demandé à Pierre Le Texier « de retirer la publication faite par ses soins ». Ces explications suffiront-elles à convaincre les juges d’instruction de ne pas engager de poursuites contre l’ex-conseiller d’Emmanuel Macron ?

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