Le contournement routier de Maubeuge, un « délire d’un autre temps »

[ad_1] 2019-06-05 10:03:21 Reporterre

Antoine Scherer est écologue et originaire de Maubeuge. Il est membre du Collectif de défense des habitants du quartier du Grand-Bois à Maubeuge et de Mairieux et animateur de la page Facebook « Non à un Contournement Nord de Maubeuge destructeur ».


La France, malade de ses routes ? De l’aveu même du ministère de la Transition écologique et solidaire, l’une des principales causes d’érosion de la biodiversité est « la destruction et la fragmentation des milieux naturels liées, notamment, à l’urbanisation et au développement des infrastructures de transport […] ».

Pourtant, les projets routiers fleurissent partout dans l’Hexagone : Strasbourg, Arles, Guidel… À Maubeuge, on a ressorti des cartons un vieux projet de contournement nord de la ville, dans le but officiel de soulager des axes existants et promouvoir le développement économique du territoire. Le projet, porté notamment par le maire, Arnaud Decagny (UDI), également vice-président des infrastructures au département du Nord, va à contre-courant des recommandations des scientifiques vis-à-vis du réchauffement climatique et de la crise d’extinction de la biodiversité, mais qu’importe ! Pour défendre ce contournement routier, on use des ficelles classiques : promesses d’emploi, de désengorgement du trafic, croissance économique de la région. À ce qu’on nous dit, l’avenir s’annonce radieux sous le soleil du sacro-saint développement. Parce que nous ne comptons pas les laisser faire, nous avons fondé un collectif citoyen s’opposant à un contournement de Maubeuge destructeur.

Devons-nous continuer à tolérer docilement les projets destructeurs que nous imposent des technocrates déconnectés du monde réel 

Depuis le départ, deux tracés différents sont envisagés pour cette nouvelle route. La version « courte » avait été favorisée par le bilan de la concertation préalable (octobre-novembre 2016), mais la version « longue » a récemment été mise en avant par le comité de pilotage. Si la plus grande confusion règne encore concernant les aspects techniques du projet, une chose est certaine : quel que soit le tracé sélectionné, c’est un désastre qui s’annonce.

Un désastre écologique. La version courte du projet prévoit de détruire des milieux humides alimentés par la Pisselotte, un ru se jetant dans la Sambre. Ces habitats précieux abritent une biodiversité patrimoniale remarquable et forment un paysage typique à préserver. Si cet écosystème a toujours existé, bien avant la conception de ce contournement, les élus et autres acteurs du projet semblent le découvrir et se rendre compte que les législations environnementales ne permettront pas de le détruire si facilement… Quelle surprise !

Par conséquent, c’est la version longue qui semble maintenant favorisée : pourtant, l’impact environnemental sera à peine moins énorme. Le magnifique bocage du quartier du Grand-Bois, avec ses arbres têtards témoins d’un patrimoine régional et refuges de biodiversité ? Détruit à jamais : 1.165 à 1.450 m linéaires de haies seront coupés pour laisser place au bitume.

Sur les zones du projet, c’est toute une biodiversité qui survit dans un confetti de verdure perdu dans une matrice urbaine et agricole très dense. Une biodiversité « ordinaire », qui compte peu dans les études d’impact, même si elle deviendra bientôt extraordinaire précisément à cause de cette attitude. Ici, les buses variables chassent dans les pâtures, les faucons crécerelles immobilisent leur vol pour y repérer des rongeurs ; les renards flairent les lapins de garenne et les chevreuils s’allongent dans l’herbe pour profiter des rayons du soleil couchant. Voulons-nous un monde où l’on peut avoir le bonheur d’observer ces scènes bucoliques, ou un avenir sombre où nos enfants ne pourront que compter les voitures qui passent ?

À l’heure où les rapports alarmants se succèdent, ultimes SOS de la communauté scientifique pour nous avertir de l’effondrement qui vient, où se place notre devoir de citoyen ? Devons-nous continuer à tolérer docilement les projets destructeurs que nous imposent des technocrates déconnectés du monde réel ? Non : nous estimons qu’il est temps que la société civile s’élève, partout, contre ces délires d’un autre temps.

La biodiversité s’éteint à un rythme inédit. Le dernier rapport de l’IPBES, qui a fait grand bruit, estime qu’un million d’espèces présentent maintenant un risque d’extinction. Il est grand temps d’arrêter de s’imaginer que ces rapports concernent des pays lointains à la faune exotique. La France se place dans le top 10 des pays les plus concernés, et ce sont précisément ces chantiers qui, l’un après l’autre, détruisent le vivant et enlaidissent notre monde. C’est précisément ce genre de projets qu’il faut faire stopper. C’est ici et maintenant que l’histoire s’écrit.

On s’interrogera également de la cohérence d’un tel projet vis-à-vis des engagements pris par la France lors de la COP21 : encourager le développement du trafic routier avec de l’argent public est-il un investissement judicieux alors que le climat s’emballe ? Nous en doutons.
Imperméabiliser des terres agricoles, alors que les évènements climatiques extrêmes, comme les inondations, vont devenir de plus en plus fréquents ? Quelle riche idée !

Ce projet n’est vraisemblablement « vital » que pour la carrière de certains élus et le portefeuille d’entreprises

Un désastre humain. Parce qu’ils offrent un superbe cadre de vie, les quartiers menacés par le projet ont attiré des riverains désireux de vivre au calme et au milieu d’un environnement exceptionnel.

Des retraités ont investi le travail d’une vie pour s’installer ici et y couler des jours heureux, des familles y ont bâti leur maison pour offrir à leurs enfants une enfance au milieu de l’herbe plutôt que du béton. Selon le tracé qui sera sélectionné, c’est plus d’une vingtaine de maisons qui pourraient être détruites, et plus de 150 qui se retrouveraient juste à côté de la route.

Chemin du Héron, Grand-Bois, Pisselotte : ces toponymes deviendraient bien obsolètes ; c’est toute une histoire et un patrimoine qui s’envoleraient en fumée. Plusieurs agriculteurs verraient également leurs terres familiales morcelées et détruites.

Si nous sommes en colère, c’est aussi parce qu’au-delà des aspects écologiques, la pollution générée par cette nouvelle route affectera la santé de nos enfants, dans une région qui suffoque déjà. Nous refusons d’être pris pour des idiots : non, une nouvelle route ne permettra pas de diminuer le trafic, comme on essaie de nous le faire croire. Et ce, d’autant plus si son rôle est de développer l’implantation d’entreprises dans le territoire. Ce projet n’est vraisemblablement « vital » que pour la carrière de certains élus et le portefeuille d’entreprises. Derrière les belles promesses de développement économique se cache une réalité pleine de particules fines. Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Nos revendications. Ce que nous voulons, aujourd’hui, c’est que le projet soit complètement revu pour trouver un tracé sans impact sur le bâti et avec un impact minimal sur l’environnement : des alternatives existent mais ne sont même pas étudiées car jugées trop coûteuses !

Réveillons-nous : en 2019, n’y a-t-il pas des manières plus durables de dépenser de l’argent public ?

Notre combat n’est pas qu’une lutte locale : ce sont deux visions du monde qui s’opposent ici. Le problème est bien global. Nous nous rendons compte à quel point notre cas est similaire à d’autres luttes dans l’Hexagone, et à quel point il est difficile de se battre pour ce qui est juste lorsque la balance des pouvoirs est si déséquilibrée.

C’est pourquoi nous invitions d’autres associations, collectifs ou individus à nous contacter pour monter ensemble une fédération qui aurait plus d’impact pour lutter contre l’urbanisation à l’échelle nationale. Ensemble, nous serons plus forts.

Photos : Sur les zones des deux différents tracés : Grand-Bois et Pisselotte. © Antoine Scherer

– Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
– Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.

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