Nantes Steve : les curieuses lacunes de l’enquête de l’IGPN

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01.08.2019 écrit par Yan Gauchard

Le quai Wilson, à Nantes, où s’est déroulée la soirée électro lors de la Fête de la musique, dans la nuit du 21 au 22 juin.

Photo PO-Olivier Lanrivain

Romain G., Nantais de 33 ans, dénonce le fait que la police des polices a passé sous silence son témoignage dans son enquête administrative rendue publique mardi 30 juillet. Sa plainte est versée à l’enquête judiciaire, répond la police nationale.

Il a « la rage au ventre » et il ne comprend pas. Parle de « mascarade » et de « dissimulation ». Romain G., Nantais de 33 ans, ne décolère pas. Son nom figure dans le rapport de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) qui affirme, en l’état, qu’il n’y a pas de lien entre l’intervention des forces de l’ordre, quai Wilson, la nuit de la Fête de la musique et la disparition de Steve Maia Caniço.

Le rapport énonce qu’un témoin, présent à proximité des sound system, s’est signalé « pour se plaindre des jets de lacrymogènes de la part des forces de l’ordre ayant entraîné des chutes et autres malaises », mais que l’intéressé n’a pas donné suite aux sollicitations de l’IGPN.

« N’avancez pas, il y a la Loire »

« Mensonge », tonne le Nantais qui, muni d’un récépissé actant son signalement auprès de l’IGPN, s’est présenté le 27 juin, conformément aux recommandations de la police des polices, au commissariat central de Nantes pour déposer plainte pour mise en danger de la vie d’autrui. Son témoignage est édifiant. Il est arrivé vers 3 heures du matin sur le quai dépourvu de parapet avec sa compagne et la jeune sœur de cette dernière.

Le couple se trouvait près du bunker lorsque l’opération de police a débuté. « Je n’ai même pas vu d’uniforme de policiers au départ, affirme-t-il. Le son a été coupé puis un morceau est reparti et on était tous contents. L’embrouille a dû démarrer du côté du son installé sous une tonnelle car je n’ai rien vu venir. Sauf ce que j’ai pris d’abord pour un fumigène qui a atterri à mes pieds. Tout de suite, on a suffoqué, on a compris qu’il s’agissait de lacrymo. Quand j’ai rouvert les yeux, tout le monde partait n’importe où. J’ai cherché ma compagne et j’ai vu sa robe verte qui se dirigeait vers la Loire. J’ai couru vers elle et je l’ai rattrapée par le bras à 50 cm de la Loire. On a fait demi-tour pour se mettre à l’abri. C’est terrible mais à ce moment-là, on a croisé des gens qui avançaient vers le fleuve, j’ai crié «N’avancez pas, il y a la Loire. » On n’a rien pu faire, j’ai entendu les cris et le bruit des corps qui tombent dans l’eau. »

La copie de la plainte de Romain G. déposée le 27 juin :

https://drive.google.com/file/d/1rG_aDuUO26v8Ak0C0vggHUdkZ8szKrQx/view

Romain G. a retrouvé la sœur de sa compagne du côté de la grue grise. « Elle était prise d’une crise de tremblements, je l’ai mise en PLS (position latérale de sécurité). » Au commissariat, le Nantais affirme avoir eu des difficultés pour déposer plainte. Il évoque deux heures d’attente, « des ordres et des contre-ordres », « on m’a dit que l’IGPN était dans les locaux, mais c’est un brigadier de police qui a pris ma plainte ».

« Une enquête biaisée » selon lui

Sa plainte a été transmise au procureur de la République de Nantes, Pierre Sennès. Qui indique l’avoir joint avec celles des 89 participants à la soirée techno qui ont entamé une action pour « mise en danger de la vie d’autrui et violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique ».

Le service d’information et de communication de la police nationale assure qu’il était impossible à l’IGPN d’intégrer « la plainte judiciaire à la procédure administrative » et que Romain G. sera donc entendu ultérieurement. La police assure, en outre, avoir relancé le jeune homme, « par email, le 28 juin, à 8 h 56 et 30 secondes », afin qu’il apporte son témoignage à l’enquête administrative.

« Ce serait stupide de ma part d’entamer une démarche et d’y renoncer »

« C’est complètement faux, je n’ai jamais reçu ce mail sinon je me serais présenté direct pour raconter tout ce que j’avais à dire, rétorque le Nantais. Ce serait stupide de ma part d’entamer une démarche et d’y renoncer. La preuve : c’est que je suis allé porter plainte. »

Il ne supporte pas de se voir présenté comme pseudo-témoin « évaporé » pour les besoins d’une enquête « biaisée », qui ne vise, selon lui, « qu’à mettre la police hors de cause à tout prix ». Alors il témoigne haut et fort. « Je suis indigné comme citoyen, dit-il. Mais je suis déterminé. J’irai jusqu’au bout de mes droits et de mes devoirs. La vérité doit éclater. Pour Steve, pour sa famille. »

« Le droit, ce n’est pas nous qui le faisons », se défend la police

« Il n’y a aucune volonté de dissimulation, il faut cesser avec cette défiance permanente vis-à-vis de l’IGPN », renvoie le service de communication de la police nationale. « La plainte judiciaire ne peut pas être intégrée dans une procédure administrative, ce sont deux procédures distinctes. C’est vrai que ce n’est pas des plus clairs : une procédure, quelle qu’elle soit, c’est toujours compliqué. Ce n’est pas nous qui faisons le droit. »

Romain G. a bien effectué « un signalement sur la plateforme de l’IGPN pour témoigner au niveau de l’enquête administrative. C’est le seul témoin qui s’est manifesté sur la plateforme. Mais il n’a pas donné suite à notre relance par email. » Il sera entendu par l’IGPN, comme 89 autres participants à la fête orchestrée quai Wilson qui ont déposé plainte, dans le cadre de l’enquête judiciaire.

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