Vu du droit: La mort de Steve

Depuis la découverte du corps du malheureux Steve Canico dans la Loire, on peut assister à l’écœurant spectacle d’une course au mensonge et à la défausse sous la conduite d’un premier ministre dont on a la confirmation que de toute la bande actuellement au pouvoir, il est le plus dangereux pour nos libertés.

De façon entêtante m’est revenue à l’esprit l’extraordinaire chanson de Bob Dylan superbement reprise en français par Graeme Allwright et entendue dans ma jeunesse : « Qui a tué Davy Moore ? » Le refrain lancinant pose et repose la question de savoir pourquoi le boxeur Davy Moore est mort sur le ring au cours d’un combat. Chaque couplet imagine la réponse de tous ceux qui sont responsables mais se justifient et se défaussent, concluant leurs propos d’un terrible : « vous ne pouvez pas m’accuser ! »

Eh bien, à tous ceux, menteurs, enfumeurs, matraqueurs, et autres nervis politiques du système macronien, on va rétorquer : « si on peut ! ». Et voici pourquoi.

On ne reviendra pas en détail sur les faits sinon pour rappeler que le soir de la fête de la musique, un concert techno qui se déroulait comme tous les ans au bord de la Loire a été interrompu par une intervention policière, que tous les témoignages et surtout les vidéos en démontrent l’inutilité, particulièrement violente, et dangereuse pour les participants. On ne s’étendra pas non plus sur l’attitude du pouvoir qui a nié le problème de la disparition du jeune homme, le bétonnage de la presse aux ordres pour en faire autant, les ignominies déversées par certains, la palme revenant au chef de l’Observatoire national de la délinquance disant sur un plateau : « Il a pu plonger volontairement dans l’eau ».

Mais pour répondre à la question de savoir qui a tué Steve Canico, il faut faire parler le droit.

Incontestablement, il a été victime de ce que l’on appelle dans le code pénal un « homicide involontaire», prévu et réprimé par l’article 221–6 du code pénal, complété ce qui est indispensable par l’article 121–3 qui détaille les conditions dans lesquelles l’infraction peut être considérée comme réalisée.

En effet, en droit français, le principe est qu’il n’y a normalement pas d’infractions pénales involontaires c’est-à-dire sans intention de la commettre. Et comme pour tout principe on a prévu des exceptions, et notamment tout ce qui relève de l’homicide des blessures involontaires, ce qui explique le détail de l’article 121–3.

Une autre donnée essentielle doit être connue, celle de la théorie juridique utilisée par notre jurisprudence pour appréhender et traiter ces infractions involontaires. Lorsque des dommages corporels surviennent, il y a deux possibilités pour identifier ceux qui seront considérés comme responsables et pourront être ainsi poursuivis.

Tout d’abord une vision restreinte appelée « la causalité adéquate » qui implique que ne peuvent être jugés que les auteurs d’actes ayant un lien direct avec la réalisation du dommage.

L’autre approche est celle de « l’équivalence des conditions » qui considère que sont responsables tous ceux qui par leurs agissements ou leur abstention ont favorisé, même indirectement la survenance de la mort ou des blessures.

Depuis fort longtemps la jurisprudence française a adopté et appliqué la théorie de « l’équivalence des conditions ». Prenons un exemple très simple, celui d’un accident de la circulation dans une petite agglomération où un conducteur circulant trop vite renverse un piéton. Le conducteur sera bien évidemment poursuivi, mais également le maire qui aurait omis de faire installer les panneaux obligatoires signalant la limitation de vitesse à 50 km/h.

Cette question a suscité beaucoup de débats avec la multiplication des poursuites intentées contre les élus locaux et en particulier les maires. Le législateur a donc adopté un certain nombre de précisions concernant les possibilités de mise en œuvre de responsabilités des auteurs indirects.

Aujourd’hui pour être poursuivi pour homicide involontaire, il faut que le décès ait été produit « par une maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement » (article 221–6).

Et pour les personnes auteurs « indirects » l’article 121–3 précise qu’elles « sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. »

Il y a donc là deux conditions, soit avoir violé un texte prévoyant des mesures de sécurité particulière, soit avoir su que son attitude était dangereuse et n’en avoir pas tenu compte.

Ce développement fastidieux permet de voir à quel point toutes les défenses mises en avant par le pouvoir et ses séides ne sont que la négation d’évidences.

Ce qui saute aux yeux, à l’examen des éléments d’ores et déjà irréfutables dont on dispose, c’est que cette intervention était intempestive, dangereuse, et qu’elle a pris des formes de brutalité totalement injustifiée.

Et que malgré l’évidence du danger dû à la proximité de la Loire rappelé plusieurs fois aux policiers, ceux-ci ont exposé les participants au concert à « un risque d’une particulière gravité qu’ils ne pouvaient ignorer ».

Cela vaut évidemment pour toute la chaîne de commandement opérationnel de cette intervention.

Mais aussi pour leurs supérieurs jusqu’au premier ministre qui a organisé depuis le 17 novembre 2018 une répression policière massive, d’une violence sans précédent depuis la guerre d’Algérie, où se sont multipliées les bavures, les exactions, les mutilations, l’étranger assistant effaré aux agissements d’une police française pour qui la violence est devenue open bar.

Et il ne faut pas dire qu’elle serait aujourd’hui « hors de contrôle », c’est exactement le contraire puisqu’elle exécute docilement les ordres de répression massive et violente donnés par ce pouvoir pour casser un mouvement social.

« C’est pas la police dit l’IGPN, c’est pas elle qui l’a fait tomber vous ne pouvez pas l’accuser ! »

« C’est pas moi dit le commissaire Chassaing qui a commandé l’assaut, c’est pas moi qui l’ai fait tomber vous ne pouvez pas m’accuser ! »

« C’est pas moi dit le préfet d’Harcourt, c’est pas moi qui l’ai fait tomber vous ne pouvez pas m’accuser ! »

« C’est pas nous dit le chœur des ministres « intègres », c’est pas nous qui l’avons fait tomber, vous ne pouvez pas nous accuser ! »

Eh bien si ! Vous avez violé de façon manifestement délibérée des obligations particulières de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, et vous avez tous commis des fautes caractérisées qui exposaient autrui à des risques d’une particulière gravité que vous ne pouviez ignorer.

Eh bien si, vous l’avez fait tomber, vous l’avez poussé, c’est vous qui avez tué ce jeune homme de 24 ans. Vous, ce pouvoir minoritaire, qui se permet tout, transforme la police nationale en milice, instrumentalise une magistrature docile et protège les voyous dans ses rangs.

Eh bien si, c’est vous qui l’avez tué !

Et nous n’allons pas cesser de vous en accuser.

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