Huit cas concrets pour comprendre ce qui change dans l’indemnisation des chômeurs

Une partie de la réforme de l’assurance-chômage va s’appliquer dès vendredi. Qui est concerné ? Réponse en huit cas pratiques.

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Par Adrien Sénécat et Assma Maad  Publié le 1er novembre 2019

En cause, la volonté du gouvernement de réaliser environ 3,4 milliards d’euros d’économies sur le régime d’indemnisation des chômeurs sur la période 2020-2021. Ce qui se traduira par une réduction des sommes perçues par une partie des personnes concernées.

Plus de 40 % des demandeurs d’emploi pourraient subir des conséquences négatives de la réforme, selon les estimations de l’Unédic, l’association paritaire qui pilote l’assurance-chômage. « Oui, les règles sont plus dures, mais dans un contexte où il y a de l’emploi »rétorque pour sa part la ministre du travail, Muriel Pénicaud.

MÉTHODOLOGIE

Les exemples donnés dans cet articles sont des cas fictifs donnés à titre indicatif pour comprendre les principaux effets de la réforme. 

Les sommes mentionnées sont des estimations réalisées par Les Décodeurs, suivant les règles de calcul détaillées dans les décrets d’application de la réforme (consultables ici et ) et la documentation de l’Unédic (notamment iciici et ici). Les montants donnés dans notre articles correspondent à des mois de 31 jours et ont été arrondis à la dizaine d’euros près.

En ce qui concerne le nombre d’allocataires potentiellement concernés par la réforme, nous nous sommes basés sur les estimations de l’Unédic, qui a publié en septembre une note d’impact détaillée du nouveau système. Le ministère du travail conteste ces chiffres car on y estime que la réforme va produire des « changements de comportements » des allocataires.

Nos calculs sont consultables en intégralité ici.

1. Tuong termine un CDD de cinq mois

DÉFAVORABLE

Tuong, une jeune diplômée, termine en novembre un contrat à durée déterminée (CDD) de cinq mois avec un salaire de 1 600 euros brut mensuel. Ce n’est pas suffisant pour être indemnisé par Pôle emploi, en raison de la nouvelle règle en vigueur à partir du 1er novembre : désormais, il faut avoir travaillé six mois sur les vingt-quatre derniers mois pour bénéficier des allocations d’aide au retour à l’emploi.

Jusqu’à présent, la durée minimale de travail était de quatre mois sur les vingt-huit derniers mois. Dans l’ancien système, Tuong aurait pu bénéficier d’une allocation-chômage de 1 000 euros net par mois pendant cinq mois.

MAXIME VAUDANO / LES DECODEURS

Comme elle, environ 27 % des 2,65 millions de personnes qui acquièrent des droits au chômage seront touchées par cette nouvelle règle de calcul, selon les estimations de l’Unédic. Environ 300 000 personnes verront la durée de leur droit au chômage diminuer à ce titre, et 410 000 verront l’ouverture de leurs droits retardée.

2. Pierre a retravaillé quatre mois après avoir été indemnisé six mois

DÉFAVORABLE

Le CDD de quatre mois de Pierre se termine en novembre. En travaillant, il a certes repoussé l’échéance de ses droits au chômage. Mais il ne les a pas « rechargés » pour autant, c’est-à-dire qu’il n’a pas acquis de droits supplémentaires grâce à cette période travaillée. En effet, il faut désormais avoir retravaillé au moins six mois (soit 900 heures) pour prétendre accumuler de nouveaux droits.

Avant le 1er novembre, cette durée minimale était d’un mois (150 heures). Pierre aurait donc pu accumuler quatre mois de droits au chômage supplémentaires avec son contrat court.

MAXIME VAUDANO / LES DECODEURS

Il faudra un peu de temps pour que cette partie de la réforme produise ses effets. Des contrats qui se sont terminés avant novembre pourront toujours être utilisés par des chômeurs en fin de droits pour « recharger » leurs droits. Environ 13 % des droits ouverts à partir de novembre seront dans ce cas de figure, principalement du fait des rechargements.

A terme, environ 30 000 personnes ne pourront pas bénéficier de nouveau droits au chômage chaque mois du fait de cette nouvelle règle de six mois au lieu d’un.

3. Mireille gagnait 5 500 euros brut par mois

DÉFAVORABLE (APRÈS 6 MOIS)

Mireille a fêté ses 50 ans, mais elle affiche une triste mine. Cette cadre en contrat à durée indéterminé (CDI) avec un salaire très confortable vient de se faire licencier. Elle est ainsi directement concernée par une mesure instaurée par cette réforme : la dégressivité des allocations élevées.

Appliquée dès le 1er novembre, cette disposition vise les revenus supérieurs à 4 500 euros brut par mois, avec une baisse de 30 % de l’indemnisation à compter du septième mois. Les travailleurs âgés de 57 ans et plus ne seront pas touchés par cette dégressivité.

Si le contrat de Mireille prend fin le 1er novembre, elle touchera 2 890 euros net d’indemnisation les six premiers mois, puis elle verra son allocation diminuer dès le mois de mai 2020. Ceux qui, comme elle, touchaient 4 500 à 6 500 euros brut par mois percevront une allocation journalière d’un niveau plancher de 84,33 euros brut, soit environ 2 360 euros net environ. Cela représentera pour Mireille une perte de plus de 500 euros par mois.

Ce cas de figure représente une petite partie des allocataires : environ 70 000 nouveaux allocataires sur 2,65 millions seront concernés en 2020.

4. Sihem termine son premier CDD

RIEN NE CHANGE

Cette chargée de mission en ressources humaines (RH) en début de carrière vient de finir un CDD de neuf mois. Elle n’a pas travaillé durant les quinze mois précédents. C’est suffisant pour qu’elle puisse être indemnisée par Pôle emploi, sur la base de l’intégralité de son salaire de 1 700 euros brut par mois. Sihem peut prétendre à une allocation-chômage d’environ 1 040 euros net par mois, pendant neuf mois.

Toutes les personnes qui, comme elles, ont eu un emploi continu à temps plein sur moins de vingt-quatre mois auront les mêmes droits avant et après la réforme. Cela représentera environ 10 % des nouveaux bénéficiaires de Pôle emploi lors de la première année d’application de la réforme.

5. Alain a travaillé par intermittence depuis deux ans

DÉFAVORABLE

Alain termine un CDD de six mois en avril 2020. Comme Sihem, il a travaillé neuf mois au cours des deux dernières années. Mais contrairement à elle, il n’a pas travaillé d’un bloc : il a d’abord travaillé trois mois, a ensuite été sans activité pendant quinze mois (sans toucher le chômage) et, enfin, a travaillé de nouveau six mois.

Dans l’ancien calcul des indemnités chômage, Alain pouvait prétendre à une allocation de 1 040 euros net par mois environ pendant neuf mois, comme Sihem.

Ce ne sera plus le cas à partir d’avril 2020. En effet, son indemnité sera calculée à partir de son salaire moyen sur la période – temps passé au chômage inclus. Selon nos calculs, son indemnité sera donc en réalité de 490 euros net environ, soit un peu moins de la moitié de ce à quoi il pouvait prétendre dans l’ancien système. Sa durée d’indemnisation maximale sera en revanche allongée, passant de neuf à vingt-quatre mois.

Comme Alain, environ 37 % des nouveaux allocataires (soit environ 850 000 personnes) devraient sortir perdants de ce nouveau mode de calcul lors de la première année d’application de la réforme. Environ 190 000 d’entre eux (8 % du total) seront fortement touchés comme lui, car ils n’auront travaillé que 25 % à 50 % de la période de référence retenue par Pôle emploi.

6. Steve, en fin de contrat après deux ans de CDI à temps partiel

RIEN NE CHANGE

Salarié à mi-temps, Steve, licencié en novembre, a touché en moyenne 1 100 euros brut par mois avant la perte de son CDI. Les nouvelles règles en vigueur en novembre puis avril 2020 ne changeront pas sa prise en charge par Pôle emploi, comme pour environ 20 % des futurs bénéficiaires qui sont dans sa situation.

Avant comme après la réforme, son indemnité sera de 820 euros net par mois environ, sur vingt-quatre mois au maximum.

7. Karim démissionne d’un poste qu’il occupait depuis sept ans

FAVORABLE (SOUS CONDITIONS)

Il existait déjà par le passé des situations dans lesquelles la démission pouvait être considérée comme légitime (lorsqu’un salarié est contraint de déménager pour suivre son conjoint, par exemple). Ce n’est pas le cas de Karim, qui souhaite changer de voie.

En revanche, il peut espérer cocher les cases du « nouveau droit » à la démission ouvert au 1er novembre, promesse du candidat Macron en 2017.

Pour cela, il doit répondre à plusieurs critères. D’abord, avoir au moins cinq ans d’ancienneté chez un ou plusieurs employeurs, ce qui est le cas de Karim. Le salarié doit aussi justifier de « l’existence d’un projet professionnel », c’est-à-dire une reconversion « nécessitant le suivi d’une formation ou d’un projet de création ou de reprise d’une entreprise ».

Ce projet devra présenter un « caractère réel et sérieux » pour être attesté par une commission paritaire interprofessionnelle régionale (CPIR) dans les six mois qui suivent l’ouverture des droits.

Karim a donc intérêt à bien préparer son départ et à monter un dossier solide pour espérer toucher une allocation. Le nombre de bénéficiaires de cette mesure se situerait entre 17 000 et 30 000 personnes par an. Un progrès à la portée très limitée, donc.

Lire : Assurance-chômage : une promesse phare de Macron vidée définitivement de sa substance

8. Françoise est une travailleuse indépendante

FAVORABLE (SOUS CONDITIONS)

Françoise collaborait depuis trois ans avec une entreprise placée récemment en liquidation judiciaire. A ce titre, elle peut toucher l’allocation des travailleurs indépendants (ATI), qui entre en vigueur le 1er novembre. Auparavant, un travailleur non salarié, contraint de cesser son activité, ne pouvait prétendre à une indemnisation.

Le montant de cette indemnisation est de 800 euros par mois pendant six mois pour un indépendant dont l’entreprise a fait l’objet d’une liquidation ou d’un redressement judiciaire. Mais Françoise doit remplir une série d’autres critères pour pouvoir bénéficier de l’ATI. Elle doit fournir des documents prouvant les déboires de l’entreprise avec laquelle elle travaillait. Françoise doit aussi prouver qu’elle est, depuis, activement à la recherche d’un emploi, et justifier des revenus d’un montant minimal de 10 000 euros par an. Cette mesure, qui devrait concerner 30 000 bénéficiaires, n’est pas cumulable avec d’autres allocations comme l’ARE.

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