Crise à l’hôpital public : cinq questions sur la menace de 1 200 médecins de démissionner de leurs fonctions administratives

Plus d’un millier de médecins ont signé une pétition et menacent d’abandonner leurs fonctions administratives. Ils présentent leur lettre de démission collective mardi, face au manque de moyens et d’effectifs dans les hôpitaux publics.

Une banderole affichée à l’hôpital Tenon à Paris, le 8 juillet 2019. (S.CAILLET / BSIP / AFP)

Ils veulent démissionner en bloc. Environ 1 200 médecins responsables menacent d’abandonner leurs fonctions administratives depuis le mois de décembre. Ils ont prévu d’expliquer leur geste et de rendre publique une lettre de démission collective, lors de conférences de presse organisées mardi 14 janvier dans plusieurs hôpitaux. A Paris, elle est planifiée à 11 heures à la Pitié-Salpêtrière, annonce le collectif Inter-Hôpitaux (CIH).

1Qui sont les médecins qui s’apprêtent à démissionner ?

Tout a commencé par une tribune dans Le Journal du dimanche, publiée le 15 décembre. Au départ, quelque 660 médecins hospitaliers brandissaient la menace d’une démission. Ce chiffre a ensuite grossi, pour dépasser le millier, fin 2019. Tous ces médecins ont des responsabilités : six cents d’entre eux sont chefs de service, quatre cents sont responsables d’unité, d’autres encore sont membres de structures de gestion…

Certains exercent dans des grands hôpitaux publics parisiens, comme Robert-Debré, la Pitié-Salpêtrière ou Bichat. Par exemple, André Grimaldi, professeur d’endocrinologie à la Pitié-Salpêtrière, coordonne la pétition. Le porte-parole du CIH n’est autre que le Dr Olivier Milleron, cardiologue à l’hôpital Bichat, à Paris. Une quinzaine de chefs de service du CHU de Limoges sont également prêts à démissionner, d’après Le Populaire du Centre. Montauban, Douai… d’autres hôpitaux sont concernés.

A Vichy (Allier), David Dall’Acqua, chef du service des urgences, a déjà démissionné de ses fonctions administratives, selon France 3 Auvergne-Rhône-Alpes. Mais il est allé plus loin : le 6 janvier, il a présenté sa démission à la direction de l’hôpital. Dès le mois de février, il ne sera plus chef de service des urgences.

2Pourquoi ont-ils pris cette décision ?

Les médecins l’assuraient haut et fort dès le 27 décembre à franceinfo : derrière cette décision « symbolique », il n’y aucune « revendication personnelle ». Ils veulent avant tout dénoncer le manque de moyens et de personnel dans les hôpitaux publics. « On est dans un budget d’austérité, il y a de plus en plus de lits fermés », continue de dénoncer deux semaines plus tard André Grimaldi auprès de franceinfo. Dans ce contexte, le personnel soignant, dont les infirmières en première ligne, se retrouve en sous-effectifs et, épuisé, jette l’éponge.

« On vit des situations tout à fait incroyables, comme le fait par exemple que, lorsqu’une infirmière a une grossesse, chose tout à fait normale, elle n’est pas remplacée. Les conséquences, c’est qu’on ferme des lits, qu’on décommande des interventions. Les conséquences, c’est que tout le monde est en stress », détaille Jean-Luc Jouve, chef de service de l’orthopédie pédiatrique à la Timone, face à la caméra de France 2. Dans cet hôpital marseillais, sur les huit blocs opératoires, seulement cinq tournent, à cause du manque de personnel.

Dans le viseur des chefs de service, il y a les mesures avancées en novembre 2019 par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, dans son plan pour redonner « oxygène » et « attractivité » à l’hôpital : rallonge budgétaire de 1,5 milliard d’euros et reprise de 10 milliards d’euros de dette étalées sur trois ans, primes pour les personnels… Tous jugent ces mesures annoncées très insuffisantes. « On nous a parlé de 1,5 milliard sur trois ans. Mais en réalité, ces nouvelles dotations correspondent à 200 000 euros de plus par an seulement », se désolait en décembre André Grimaldi. Selon lui, cela revient à réduire les moyens nécessaires au bon fonctionnement des hôpitaux publics. « On demande encore 500 à 600 millions d’euros d’économies à l’hôpital public, alors qu’il est par terre », complète-t-il lundi.

Cet acte de « désobéissance » est aussi un moyen de mettre en avant une situation préoccupante, notamment en pédiatrie et en réanimation pédiatrique. André Grimaldi rappelle que vingt-cinq nourrissons ont été transférés à plus de 150 km du domicile de leurs parents, faute de place en pédiatrie dans un des trois hôpitaux habilités d’Ile-de-France. Un fait exceptionnel.

Il y a aussi la question des salaires. Agnès Buzyn annonce des primes, mais les médecins réclament des augmentations pour le personnel soignant. En France, le salaire des infirmiers est inférieur de 5% au salaire moyen alors qu’en Allemagne, ils gagnent 13% de plus et en Espagne 28%, selon les chiffres de l’OCDE. « Il faut un plan de rattrapage. Nous demandons 300 euros net supplémentaires par mois pour le personnel non médical », réclame le Dr Olivier Milleron dans Le Figaro.

3Vont-ils cesser de soigner les patients ?

Non. « C’est impossible, on a prêté serment, on le respecte ! », martèle André Grimaldi. Jean-Luc Jouve, par exemple, continuera à s’occuper de ses patients, comme la petite Sofia, opérée de la colonne vertébrale. En fait, les démissions, avant tout symboliques, concerneront les fonctions administratives. « On arrête l’inflation bureaucratique. On n’alimentera plus les tableaux de bord, créés pour gérer l’hôpital comme une entreprise, on ne fera plus les démarches pour l’indice de qualité, on ne participera plus aux réunions administratives », décrit André Grimaldi.

« On ne sera plus en lien avec l’administration », résume à France Culture Agnès Hartemann, chef de service de diabétologie à La Pitié-Salpêtrière, membre du CIH. En novembre dernier, ce genre d’action avait conduit au blocage des codages. « Sans la transmission de nos codes, les hôpitaux ne pouvaient plus se faire payer les actes par les caisses » d’assurance-maladie, explique Jean-Luc Jouve à France 3 Paca, qui estime que « le message avait atteint son objectif », puisque « le ministère de la Santé avait fait un geste en faveur de la valorisation des carrières hospitalières ».

4Comment réagit la ministre de la Santé ?

« Le découragement des soignants à l’hôpital est connu, il est ancien. Je suis là pour améliorer la situation de l’hôpital public. C’est le sens de mon action depuis que je suis au gouvernement », a assuré Agnès Buzyn, lundi matin sur franceinfo« Je dégage des financements dès ce mois de janvier : 150 000 euros ont été alloués aux hôpitaux dès ce mois-ci pour l’achat du matériel du quotidien », a détaillé la ministre.

Pour autant, lorsqu’on lui demande si des lits vont encore fermer par endroits, la réponse est claire : « Ça peut arriver, ça a toujours été le cas. Il y a des endroits où un certain nombre de services ne sont plus nécessaires, alors qu’il y a au contraire des villes où il y a une progression de la population et où il faut ouvrir des lits. »

Agnès Buzyn campe sur sa position : « Les budgets des hôpitaux sont de nouveau en augmentation depuis l’année dernière. Je me suis engagée à ce qu’ils augmentent pour les trois prochaines années. » « C’est énorme, cela va dégager environ 800 millions à 1 milliard d’euros par an de trésorerie pour les hôpitaux, pour qu’ils puissent à nouveau engager du personnel, mieux payer les personnels en tension et réinvestir, rénover », promet la ministre.

5Y a-t-il une sortie de crise possible ?

Pour les médecins mobilisés, Agnès Buzyn continue de faire la sourde oreille. « Elle est dans une sorte de déni : l’hôpital public est en train de s’effondrer », déplore André Grimaldi. « Aucune revendication votée en assemblée générale n’a été entendue, elle ne fait rien de ce qu’on demande. On aimerait qu’elle propose quelque chose de plus réaliste, qu’elle nous écoute », se désole auprès de franceinfo Stéphane Dauger, chef du service réanimation pédiatrique de l’hôpital parisien Robert-Debré.

D’autant que la ministre de la Santé ne daigne même pas leur répondre. « On a envoyé deux courriers pour solliciter des rendez-vous. On n’a obtenu aucune réponse », insiste André Grimaldi. Or, c’est une condition sine qua non : si des négociations sont engagées, ils ne mettront pas leur menace de démission à exécution.

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