Réforme des retraites : Edouard Philippe dégaine le 49-3, gauche et droite déposent des motions de censure

RECOURS Le Premier ministre a annoncé l’usage de l’article 49-3 pour faire adopter sans vote le projet de réforme des retraites

V.R.B. avec AFP

Edouard Philippe, à l’Assemblée nationale. — NICOLAS MESSYASZ/SIPA
  • Clap de fin pour les débats en première lecture sur la réforme des retraites à l’Assemblée. Au treizième jour, Edouard Philippe a dégainé le 49-3 pour faire adopter le texte sans vote.
  • Le Premier ministre va désormais devoir faire face à des motions de censure de droite et de gauche.

Le gouvernement passe en force. Le Premier ministre a engagé ce samedi devant l’Assemblée nationale la responsabilité du gouvernement pour faire adopter sans vote le projet de réforme des retraites, via l’article  49-3 de la Constitution.

Au treizième jour d’échanges dans l’hémicycle, Edouard Philippe est monté à la tribune de l’Assemblée vers 17 h 30 pour faire cette annonce surprise, afin de « mettre fin à cet épisode de non-débat » avec les oppositions et « permettre à la suite du processus législatif de s’engager », a-t-il expliqué sous les applaudissements de la majorité.

« Pour assumer leur mission et faire leur travail, beaucoup de députés ont dû faire face à une stratégie d’obstruction délibérée d’une minorité de députés (…). La discussion sur le fond n’a jamais pu se nouer, ou alors de manière décousue », a-t-il argumenté. « Plus de 29.000 amendements restent à examiner, l’Assemblée​ n’a pu examiner que 8 des 65 articles du texte », a-t-il ajouté.

« Voilà près de deux semaines que notre démocratie subit le sabotage parlementaire orchestré par nos oppositions. Force est de constater que face à une stratégie d’empêchement, aller au bout de ce débat était devenu impossible, a renchéri Stanislas Guerini, délégué général de LREM. Si nos oppositions utilisent la Constitution pour empêcher notre démocratie de fonctionner, qu’ils ne s’offusquent pas que le Gouvernement utilise lui aussi les moyens constitutionnels (…) pour faire vivre la démocratie. Je soutiens le gouvernement dans ce choix, convaincu que cette réforme majeure pour l’avenir de notre pays doit devenir réalité »

Les oppositions indignées

« Passage en force », a lancé dans les couloirs de l’assemblée l’insoumis François Ruffin, très remonté. Il dénonce un recours « lâche » au 49-3 avec des trémolos dans la voix. « Ils ont bâclé cette réforme, ils ont voulu mettre en place une fausse urgence pour adopter cette réforme », a ajouté le député LFI.

« Nous sommes samedi à 18 heures, nous avons 24 heures pour déposer un texte signé [par 58 députés, comme le veut la Constitution]. Nous allons courir jusqu’à demain soir pour les obtenir. Tout a été fait pour que nous ne puissions pas déposer une motion de censure. C’est peine perdue, nous y passerons la nuit s’il le faut. Le Premier ministre, sous ses airs de dandy élégant, a des méthodes extrêmement violentes », a réagi de son côté Jean-Luc Mélenchon, le chef de file des Insoumis, sur BFM TV.

« Après avoir refusé un référendum et en utilisant la crise du coronavirus, le gouvernement, avec le cynisme que chacun lui reconnaît, vient de dégainer le 49-3 pour faire passer son odieuse réforme des retraites, dénonce Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national. Les Français ne pardonneront pas cette manœuvre indigne. »

Pour Christian Jacob, président de LR, « le gouvernement utilisera donc le 49-3 pour faire passer une réforme des retraites irresponsable. Ce recours au 49-3 est une nouvelle preuve de faiblesse de la part du Premier ministre ».

Olivier Faure, premier secrétaire du PS : « Le gouvernement a choisi d’autoriser l’utilisation du 49-3 lors du Conseil des ministres chargé de contenir l’épidémie de Covid-19. Chacun appréciera »

Le projet de loi sur la réforme des retraites sera considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les 24 heures, est votée par l’Assemblée nationale.

Au moins deux motions de censure déposées

Les députés LR ont déposé une motion de censure contre le gouvernement, qui a engagé sa responsabilité via le 49-3 pour faire passer sa réforme des retraites, a indiqué leur chef de file Damien Abad. Cette motion, « au nom du groupe LR », « vient d’être déposée », a déclaré le patron du premier groupe d’opposition. « Nous avons refusé toute velléité de motion commune » avec la gauche, qui devrait déposer sa propre motion d’ici quelques heures, a-t-il ajouté.

Après la droite, la gauche à son tour a déposé ce samedi soir une motion de censure contre le gouvernement, a-t-on appris de sources parlementaires. Les trois groupes de gauche à l’Assemblée (PS, LFI, PCF) ainsi que Jennifer de Temmerman (non-inscrite, ex-LREM), soit 63 députés, dénoncent dans leur motion « un gouvernement qui piétine la procédure parlementaire ». « L’héritage du Conseil national de la résistance ne peut ainsi être remis en question » par cette réforme prévoyant un système universel de retraite par points, proclament-ils aussi.

Le Premier ministre a aussitôt étrillé l’attitude des oppositions : « Je n’ai pas le sentiment que ce à quoi nous assistons soit ce que les Français – favorables ou non au projet de loi – attendent de leurs représentants. Je n’ai pas non plus le sentiment que notre démocratie puisse se payer le luxe d’un tel spectacle », a-t-il estimé, alors que le coronavirus mobilise l’exécutif.

« Bien souvent, le recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution a été utilisé par des gouvernements obligés de faire face à l’hostilité de leur majorité sur un texte de loi ou sur une ligne politique » mais « ce n’est pas le cas aujourd’hui », a-t-il aussi considéré. « Cette majorité, dont la diversité est une chance, s’est engagée lors des élections législatives de 2017 à créer un système universel de retraites, une des réformes les plus ambitieuses et les plus courageuses de ces dernières années », a ajouté le Premier ministre. Edouard Philippe a toutefois précisé que le texte sur lequel le gouvernement engageait sa responsabilité n’était pas le projet de loi initial mais un texte enrichi d’amendements en lien notamment avec les discussions parallèles avec les partenaires sociaux.

Les syndicats déplorent la réaction du gouvernement

Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, dénonce « l’attitude profondément scandaleuse » du gouvernement avec le 49-3, et annonce une mobilisation des syndicats « dès la semaine prochaine ». « Incompréhensible et inacceptable » également pour le secrétaire général de Force ouvrière, Yves Veyrier.

Pour sa part, la CFDT a déploré « une occasion de perdue » avec le recours au 49-3, mais elle compte sur la suite du processus parlementaire pour améliorer « un texte insuffisant ». Pour son secrétaire général Laurent Berger, « le gouvernement vient de faire le choix du 49-3, mais pas encore celui de la justice sociale ». Selon Solidaires enfin, « la réponse du gouvernement est donc, après le mépris du dialogue social, celle d’un passage en force », d’« un véritable déni de démocratie ». Dans un communiqué, l’union syndicale a indiqué avoir « pris contact avec les autres membres de l’intersyndicale pour réagir ensemble rapidement à ce coup de force ».

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