Les pirouettes d’un acrobate

Dimanche soir, le président a voulu clore la séquence de la crise sanitaire pour entamer « le nouveau chemin » de la « reconstruction ». Jusqu’en 2022 et au-delà ?

Une famille de Lille regarde l’allocution télévisée du président de la République, le 14 juin 2020. (DENIS CHARLET / AFP)

L’allocution d’Emmanuel Macron, ce 14 juin au soir, fut un exercice de haute voltige politique. Comment récupérer le bénéfice de la sortie de crise sanitaire pour se lancer dans la bataille de la reconstruction et prendre de vitesse ses éventuels rivaux dans la course à l’élection présidentielle de 2022 ? Lâchant un trapèze pour en agripper un autre, l’acrobate de l’Elysée s’est encore une fois élancé sans filet, au-dessus du vide. Roulez tambour !

Seul en piste, il a pris son élan en annonçant une bonne nouvelle : le passage au vert de l’ensemble du territoire à l’exception de Mayotte et de la Guyane. « Nous allons donc pouvoir retrouver le plaisir d’être ensemble, de reprendre pleinement le travail, mais aussi de nous divertir, de nous cultiver. Nous allons retrouver pour partie notre art de vivre, notre goût de la liberté. En somme, nous allons retrouver pleinement la France. »

Et tout cela grâce à qui ? A Manu l’intrépide ! « Je suis heureux avec vous de cette première victoire contre le virus », a-t-il claironné. Mais ne nous y trompons pas. Derrière les remerciements et les hommages à la collectivité nationale, cette réussite, pas si modeste, est présentée comme la sienne. N’est-il pas ce capitaine qui a pris la lourde responsabilité, le 13 avril dernier, de décréter le déconfinement à partir du 11 mai ? « Je sais que beaucoup le déconseillaient, a-t-il rappelé. Il n’y avait pas de consensus, les avis étaient très différents, y compris parmi les scientifiques ». Et qui avait raison ? Macron règle discrètement un différend avec Edouard Philippe, alors réticent à sortir du confinement… « Nous avons bien fait ! Nos usines, nos commerces, nos entreprises ont pu redémarrer. », insiste-t-il d’un « nous » à la fois pluriel et de majesté.

C’est toute de la gestion de la crise qui lui semble valoir un satisfecit. « Nous n’avons pas à rougir, mes chers compatriotes, de notre bilan, des dizaines de milliers de vies ont été sauvées par nos choix, par nos actions. (…) La période a montré que nous avions du ressort, de la ressource, que face à un virus qui nous a frappés plus tôt et plus fort que beaucoup d’autres, nous étions capables d’être inventifs, réactifs, solides. Nous pouvons être fiers de ce qui a été fait et de notre pays. »

Refermer la crise sanitaire pour entamer la reconstruction

N’en jetez plus ! Quels parlementaires pusillanimes songent encore à diligenter des commissions pour passer à la question ministres et hauts fonctionnaires ? « Au total, nous avons mobilisé près de 500 milliards d’euros pour les travailleurs, les entrepreneurs, les plus précaires. C’est inédit. Dans quel autre pays cela a-t-il été fait ? », plaide le président en avocat de l’exécutif. A l’épreuve du virus, il a décelé « des failles, des fragilités, notre dépendance à d’autres continents pour nous procurer certains produits, nos lourdeurs d’organisation, nos inégalités sociales et territoriales ». Mais se fait fort d’y remédier : « nous les corrigerons vite et fort », annonce-t-il.

C’est là l’objet principal de cette causerie : refermer la crise sanitaire pour entamer le « nouveau chemin » de la « reconstruction ». En maître des horloges, Emmanuel Macron dicte son agenda et précise son cap.

« Le moment, que nous traversons (…) nous impose d’ouvrir une nouvelle étape afin de retrouver pleinement la maîtrise de nos vies, de notre destin en France et en Europe. Ce sera la priorité des deux années à venir que je veux utiles pour la nation. C’est aussi le cap de la décennie que nous avons devant nous, retrouver notre indépendance pour vivre heureux et vivre mieux ».Face à l’accumulation de la dette publique, il exclut toute aggravation de la fiscalité et reste fidèle à la politique de l’offre : « La seule réponse est de bâtir un modèle économique durable plus fort, de travailler et de produire davantage pour ne pas dépendre des autres ». Mais s’emploie aussi à rassurer l’opinion sociale-démocrate : « Avec les syndicats et le patronat, nous avons lancé une négociation pour que dans toutes les entreprises, nous arrivions à préserver le plus d’emplois possible malgré les baisses d’activité ». Pas question, jure-t-il, de renoncer à la solidarité qui a permis de traverser la crise sanitaire. “Cette reconstruction doit aussi être sociale et solidaire, une relance par la santé ».

A sa coutumière synthèse alliant « libération et de protection », Emmanuel Macron ajoute deux nouvelles options : la souveraineté industrielle et le développement durable. « Il nous faut aussi créer les emplois de demain par la reconstruction écologique qui réconcilie production et climat ». Une manière de récupérer les idées du « monde d’après » et de trianguler toutes les oppositions. S’appliquant à dépasser les clivages partisans, Emmanuel Macron poursuit sa stratégie acrobatique consistant à gouverner au point d’équilibre des forces politiques républicaines.

Tout est bon dans le Macron ?

Cet europhile vante son « travail acharné » auprès des instances européennes. « L’accord franco-allemand autour d’un endettement conjoint et d’un plan d’investissement pour redresser l’économie du continent est un tournant historique. En empruntant pour la première fois ensemble avec la chancelière d’Allemagne nous proposons aux autres États européens de dire « nous » plutôt qu’une addition de « je »».

Rassembleur, il dit entendre le message des récentes manifestations contre les discriminations et les violences policières tout en se portant garant du modèle républicain. « Nous serons intraitables face au racisme, à l’antisémitisme et aux discriminations, et de nouvelles décisions fortes pour l’égalité des chances seront prises. Mais ce combat noble est dévoyé lorsqu’il se transforme en communautarisme, en réécriture haineuse ou fausse du passé. (…) Je vous le dis très clairement ce soir, mes chers compatriotes, la République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire. Elle n’oubliera aucune de ses œuvres. Elle ne déboulonnera pas de statue. » Et de rendre un hommage appuyé aux policiers et gendarmes, en plein divorce avec leur ministre de tutelle…

Tout est bon dans le Macron ? Les Français, fort défiants à son égard, jugeront aux actes et surtout aux résultats. « Je m’adresserai à vous en juillet pour préciser ce nouveau chemin, lancer les premières actions et cela ne s’arrêtera pas », jure le président. Bateleur, il annonce déjà sa prochaine pirouette. Au grand dam de ces adversaires relégués au rang de simples spectateurs, l’acrobate n’est toujours pas tombé.

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