A Paris, une manifestation féministe contre le «gouvernement de la honte»

Par Philippine Kauffmann, Photos Rebecca Topakian pour Libération — 
Rassemblement féministe contre le remaniement, vendredi 10 juillet 2020 à Paris. Rebecca Topakian pour Libération

A coup de slogans choc, un millier de personnes ont dénoncé le remaniement ministériel ce vendredi devant l’Hôtel de ville. Dans leur ligne de mire : Gérald Darmanin, accusé de viol et Éric Dupond-Moretti, opposé au mouvement #MeToo.

Les coups de pinceaux sont précis et efficaces sur le mur de l’Hôtel de ville de Paris. Les jeunes femmes ont l’habitude de coller des slogans, écrits sur des feuilles A4, dans toute la ville. En quelques minutes, le bâtiment arbore deux des messages les plus repris par les manifestantes ce vendredi : «Un violeur à l’Intérieur, un complice à la Justice» et «Gouvernement de la honte». Dès 18 heures, à l’appel du collectif Nous Toutes, plus d’un millier de manifestantes se sont retrouvées sur le parvis de l’hôtel de ville. Lou, membre de l’association altermondialiste Attac, aide à porter deux imposants corbeaux noirs en carton. «Ce sont nos oiseaux de mauvais augure, explique la militante. Pendant la réforme des retraites, ils représentaient BlackRock, pour les Césars, c’était Polanski Ce soir, on peut y lire «Darmanin» et «Dupond-Moretti», du nom des nouveaux ministres de l’Intérieur et de la Justice.

Sophie Patterson-Spatz a déposé une plainte pour viol en 2017 contre le premier. La procédure, d’abord classée sans suite, a été relancée par la cour d’appel de Paris en juin. Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, n’a lui jamais caché son désaccord avec le mouvement #MeToo et avait déclaré, en 2018 : «Que siffler une femme, ça devienne une infraction pénale, c’est ahurissant.» Dès le lendemain de leurs nominations, mardi, une vingtaine de militantes avaient manifesté devant le ministère de l’Intérieur. Ce vendredi soir, leurs effectifs ont gonflé.

«Liberté, égalité, impunité» ou «La culture du viol est en marche» : voilà ce qu’on peut lire parmi la marée de pancartes brandies à bout de bras par les manifestantes parisiennes. Sous l’une d’elles, Camille, 22 ans et l’air déterminé, dénonce ces nominations : «C’est un crachat à la gueule de toutes les femmes.» La jeune fille, comme beaucoup d’autres ce soir-là, fait partie des colleuses de slogans féministes dans les rues. «Ministère du viol», «remaniement sexiste – riposte féministe» : depuis le changement de gouvernement, elles ont renouvelé leurs messages.

Rassemblement féministe du 10 juillet 2020 à Paris

«Je pensais que c’était le Gorafi»

Lorsqu’elles ont appris la nomination de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur, beaucoup des manifestantes ont été choquées. Certaines ont même cru à une blague. «Je pensais que c’était le Gorafi», confie Julie, venue avec des amies. «Les nommer à ces postes n’est pas anodin et montre qu’il y a un vrai problème en France.» À côté d’elle, Marine, du comité Nous Toutes, a l’impression que les féministes sont «punies» pour leur forte mobilisation depuis le mouvement #MeToo. La jeune fille voit la nomination de Gérald Darmanin comme «un manque de respect envers toutes les victimes qui ont peur de parler. Parler ne détruit pas des vies comme on voudrait nous faire croire. L’impunité est là».

Alix, 22 ans, a analysé l’ensemble du remaniement ministériel sous le prisme du féminisme, et pense que «rien ne va»«Le changement de poste de Marlène Schiappa, le fait qu’il y ait moins de femmes à la tête de ministères régaliens, certains propos de la nouvelle ministre de l’égalité (1), le ministre des outre-mer qui n’est même pas racisé», énumère-t-elle. Pour cette jeune féministe, «l’intersectionnalité» et «la convergence des luttes» sont indispensables. «Le féminisme d’aujourd’hui est beaucoup plus inclusif, il comprend les personnes LGBTQIA+, les personnes racisées, les travailleuses du sexe», confirme Julie, 26 ans.

Rassemblement féministe du 10 juillet 2020 à Paris

«On attend un respect systémique»

Derrière les masques, les visages sont jeunes. «Les filles de mon âge ne laissent plus rien passer, se félicite Camille, 21 ans. La parole s’est libérée, même si ça demande beaucoup de courage.» A son côté, Nico, un panneau «Queer, meufs et racisé.e.s» à la main, résume : «L’idée est de montrer qu’il y a une convergence des luttes. Contrairement à nos parents, on n’attend pas juste des droits, on attend un respect systémique.» «J’espère qu’on est dans une nouvelle ère», souffle son amie.

En attendant, rares sont celles à réellement espérer un départ des deux nouveaux ministres, malgré la mobilisation dans plusieurs villes françaises – Toulouse, Bordeaux, Lyon, Grenoble – vendredi. «Peut-être avec la pression internationale, quand on voit que des médias étrangers titrent sur un ministre français accusé de viol», tente Alix. Entre deux slogans scandés à tue-tête, Pauline, la jeune colleuse, prévient : «Ils n’ont pas fini de nous entendre crier.»

(1) Elisabeth Moreno a déclaré qu’«il n’y a pas de plus grande complémentarité que celle des hommes et des femmes».

Philippine Kauffmann Photos Rebecca Topakian pour Libération

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire