Covid-19 : les morts de l’immunité collective

https://www.lemonde.fr/blog/
Et si on essayait l’immunité collective ? En l’absence de traitements efficaces, de vaccins, pourquoi ne pas se débarrasser de l’épidémie de Sars-Cov-2 en laissant la maladie se développer ?

Après tout, on peut espérer qu’elle ne passe qu’une fois. Et qu’après l’avoir eu, on ne puisse la contracter une deuxième fois. Du coup, dès lors que suffisamment d’entre nous l’auront contracté, et seront donc immunisés, le virus serait coincé, incapable de se propager plus avant dans la population. En théorie… c’est possible. Mais quel en serait le coût ? Combien de morts pour cette stratégie ? Deux scientifiques viennent de le calculer, dans un article publié par Nature review immunology.

Le résultat ? Pour la France, entre 100 000 et 450 000 morts. Pour les Etats-Unis entre 500 000 et 2 100 000 morts.

Arnaud Fontanet et Simon Cauchemez (de l’Institut Pasteur à Paris) sont spécialistes de l’épidémiologie. Ils ont donc repris ce concept classique de « l’immunité collective » et appliqué les informations disponibles sur le coronavirus Sars-Cov-2. Nous connaissons le nombre de décès que le virus a provoqué dans des pays comme l’Italie, la France, l’Espagne… et le pourcentage de la population qui a contracté le virus. Des incertitudes sont associées à ces informations. Si le nombre de décès est assez bien connu, la part de la population qui a porté le virus en est déduite car seule une petite minorité a été testée. Pour la France, à la mi-mai,  une étude estimait entre 2,8% et 7,2%, la part des habitants qui avait contracté le virus, soit entre 1,8 et 4,7 millions de personnes.

confiance raisonnable

En outre, l’accord entre ces estimations et les calculs des modèles mathématiques utilisés juste avant les décisions de confinements en Europe permet d’avoir une confiance raisonnable envers ces estimations. Les incertitudes obligent toutefois à calculer une « fourchette » de décès qu’occasionnerait une telle stratégie si elle était délibérément mise en œuvre et non un chiffre unique. Cette stratégie suppose que l’on atteigne au moins 50% de la population qui, pour avoir porté le virus, en est désormais immunisée. Les deux scientifiques ont donc fait un calcul « optimiste », en s’arrêtant à ce nombre.

Les fourchettes issues de ce calcul – pour la France, entre 100 000 et 450 000 morts. Pour les Etats-Unis entre 500 000 et 2 100 000 morts – tiennent compte du « profil » actuel des décès, concentrés chez les plus de 65 ans affectés de co-morbidités (diabètes, obésité, maladies chroniques respiratoires, maladies cardiaques). Pour des populations plus jeunes en moyenne, comme en Afrique, les chiffres seraient moins dramatiques.

Quel gouvernement, dans un pays démocratique au moins, pourrait survivre à un tel choix délibéré et assumé devant les citoyens ? Pour les deux scientifiques, poursuivre les efforts visant à limiter la propagation du virus, les améliorations de la prise en charge des malades et la mise au point de vaccins – qui permettront d’accéder à l’immunité collective… mais sans les morts associés – constituent les seules actions acceptables.

Sylvestre Huet

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire