Covid. « Je suis pour laisser vivre les gens qui ne sont pas à risques », le coup de sang d’un médecin près de Toulouse
Patrick Lafforgue est chef de service en réanimation de la clinique d’Occitanie à Muret. A contre-courant de certains confrères qui demandent un durcissement du confinement, pour lui les conséquences économiques, physiologiques, psychologiques, éducatives appellent une autre politique. Entretien.
Voilà presque un an que Patrick Lafforgue participe chaque semaine à des réunions avec les autres chefs de service des réanimations des hôpitaux publics et des cliniques privées, avec l’Agence régionale de santé d’Occitanie et les autres services de l’État. Il a décidé ne plus y participer. Il continuera à soigner les patients dans sa clinique et à faire remonter les chiffres aux autorités. Mais il n’est plus en phase avec la politique sanitaire du gouvernement. Il nous explique pourquoi.
Pourquoi sortir du silence aujourd’hui ?
Ça fait plus d’un an que nous avons du recul sur cette pandémie. Les conséquences sanitaires, psychologiques, éducatives sont catastrophiques. Les plans sociaux se multiplient, plus d’un million de personnes sont passées sous le seuil de pauvreté en décembre 2020, jamais le taux de suicide n’a été aussi haut, les étudiants sont livrés à eux-mêmes. Je ne remets absolument pas en question ce qui a été fait, car c’est plus facile de juger après. Mais on doit se poser des questions et prendre de la hauteur.
Que disent les chiffres sur cette maladie ?
L’âge médian des personnes qui sont mortes du Covid est de 81 ans. Plus de 50 % des patients qui décèdent du Covid ont plus de 84 ans. Plus de 98 % des patients qui ont une sévérité ont plus de 50 ans. Quand on regarde ces statistiques, les moins de 50 ans sont très peu touchés et sous des formes moins graves. Or, 60 % de la population française a moins de 49 ans.
Ne serait-il pas mieux d’assouplir les mesures pour les moins de 50 ans et de les intensifier pour les personnes de plus de 50 ans, avec comorbidités ou à risques? On relâcherait ainsi la pression sur l’économie, l’éducation…
Faut-il pratiquer un auto-confinement des personnes âgées ou à risques ?
Aujourd’hui on pratique la politique de la peur. On sensibilise les gens en disant qu’ils risquent de mourir et surtout de transmettre la mort. On maintient ce climat social délétère. On ne peut pas vivre comme ça sur le long terme. Il faut responsabiliser les gens. Moins de 50 ans on lâche du lest, pour les autres, on intensifie les mesures. Je ne suis pas favorable à un confinement total mais pour laisser vivre les gens qui ne sont pas à risques. Ça ne veut pas dire qu’il faut mettre les autres dans des pièces closes et sans lumière ! Si vous avez 84 ans, que vous êtes en maison de retraite et que voulez ne voulez pas porter le masque mais embrasser vos petits-enfants, vous avez le droit de le faire. Il faut en finir avec les politiques liberticides.
Si on supprime les mesures de restrictions pour les moins de 50 ans, vous ne craignez pas que vos services de réanimation soient saturés ?
Statistiquement, il y aura sans doute davantage de cas de Covid mais pas nécessairement plus de formes graves. Et si c’était le cas, il faut remettre en question notre politique gouvernementale. Nous avons 5 000 lits en France pour la réanimation et pratiquement 6 000 en soins continus. C’est beaucoup moins que dans d’autres pays comme l’Allemagne. Il faut se donner des moyens. Je suis favorable à la création d’unités Covid dédiées. Selon Emmanuel Macron ce n’est pas possible car il faudrait douze ans pour former un réanimateur. Mais ces unités ne doivent pas obligatoirement être gérées par des réanimateurs. Beaucoup de personnes atteintes par le Covid sont maintenant prises en charge avec des moyens moins lourds, par l’administration de corticoïdes, sans les intuber et sans les mettre forcément sous assistance respiratoire. D’autres personnes que des réanimateurs peuvent les gérer mais il ne faut pas que ce soit au détriment des autres services. Il faut créer des unités Covid attenantes, sans déshabiller les autres services.
Mais avec quel personnel ?
En termes de ressources humaines, on est limités. Mais il faut voir pourquoi. Si on regarde le classement OCDE sur le salaire moyen des infirmières, la France est 22ème sur 33 pays. Même en Espagne, elles sont payées beaucoup plus. Aux USA, une infirmière aux urgences touchait 1 500€ par semaine avant le Covid, maintenant c’est presque 3 500 ! Sans aller jusque-là, on doit revaloriser les salaires et la profession en général. Ça coûterait moins cher que de paralyser l’économie.
Que pensez-vous de la stratégie vaccinale ?
Je suis un pro vaccin. Nous avons eu des difficultés à lancer les programmes de vaccinations.
On a priorisé les EHPAD et selon moi, c’est une erreur. Ça part d’un bon sentiment mais il vaudrait mieux privilégier les vaccinations pour les actifs de plus de 50 ans qui sont dans la tranche de gravité.
Ils peuvent faire des Covid graves qui peuvent engorger les services de réanimation. Mais vacciner une personne de 92 ans dans les EHPAD, est-ce que ça vous paraît légitime ? Pour moi non.
De plus, avec tous les variants, on ne sait pas si la vaccination sera efficace. On ne peut pas se permettre d’attendre encore un an à regarder la destruction massive sociale, psychologique et éducative des français sans rien faire. Certains grands pontes prétendent qu’il faut intensifier le confinement. Je ne dis pas qu’ils ont complètement tort, ce serait prétentieux. Mais il faut adapter le confinement et se donner les moyens d’accueillir les patients. Avec le recul que nous avons, c’est désormais possible.
La prise en charge des cas de Covid s’est faite au détriment des autres maladies ?
Il y a eu des dégâts collatéraux en matière sanitaire. En termes de mesures préventives, de recherche des cancers, des syndromes coronariens, beaucoup d’examens ont été reportés. Tout ceci aura des conséquences dans un deuxième temps.
On essaie d’éteindre l’incendie dans le jardin alors que la forêt est en train de brûler derrière nous et on ne le voit pas.
Je ne dis pas que le Covid ce n’est pas grave, c’est juste qu’il faut adapter et ajuster. Il est temps de changer de stratégie. Le gouvernement doit l’entendre. Sinon il y aura des conséquences lourdes pour nous et surtout pour nos enfants.
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