La gauche a-t-elle « vraiment essayé » le socialisme en 1981 ?

PS la PJ sur le 16 avril 1982 évoque un épisode peu connu mais significatif qui peut particulièrement intéresser les syndicalistes

La gauche a-t-elle « vraiment essayé » le socialisme en 1981 ?

[Résumé en quelques paragraphes du texte qui suit]

Selon les idées dominantes depuis une quarantaine d’années, « les socialistes » auraient tenté une expérience qui se serait fracassée sur « les réalités ». En réalité, il y a eu une erreur de politique économique (décision de ne pas dévaluer immédiatement le franc) qui masquait une orientation politique et sociale différente de celle qui a été annoncée et esquissée.

Ce qui est vrai : les gouvernements précédents avaient laissé en 1981 une mauvaise situation ; le chômage avait presque quadruplé en 7 ans ; le contexte international était très défavorable, idéologiquement et matériellement ; le gouvernement de gauche avait entrepris de nombreuses réformes ; mais impliquaient-elles vraiment la « rupture avec le capitalisme » qui avait été annoncée ? En mars 1983, c’est ce qu’on a appelé le virage libéral ou la « parenthèse libérale ».
En résumé : il y a eu une acceptation politique du chômage.

Ce qui est faux, par ignorance ou par mensonge : que la gauche aurait été « au pouvoir » ; que la France aurait connu une « expérience socialiste » en 1981 ; que les gouvernements de gauche auraient adopté des mesures sociales irresponsables ; que les nationalisations aient été mises en œuvre conformément aux intentions affichées.

Faut-il parler d’échec ? L ‘alternance politique a réussi. Mais le projet initial a été très rapidement déserté et il n’en est pas encore apparu de nouveau. Les trois dévaluations de 1981, 1982 et 1983 ont été perçues comme des échecs. Le refus d’une dévaluation significative dès mai 1981 a conduit à cette situation prévisible. Retarder l’inévitable remise à niveau du franc a constitué un choix politique erroné, peut-être délibéré.

Quelles conclusions et quels enseignements peut-on en tirer ? Le bilan, heureusement provisoire, n’est pas brillant. La gauche, où le PS était dominant, a tenté de gouverner mais n’a pas vraiment « essayé le socialisme » en 1981. Ce n’est même pas une politique « trop sociale » qui a conduit aux difficultés.

On peut sans doute en tirer les enseignements suivants : la priorité absolue est une lutte acharnée contre le chômage, pour l’éradiquer en garantissant à chacun le droit constitutionnel d’obtenir un emploi ; le « libre marché » et le « libre échange » ne sont pas compatibles avec une véritable politique de liberté (pour tous).

Sans mobilisation populaire, pas de politique vraiment populaire : c’est peut-être la principale leçon de Mai 1981.

Alain Gély1

1 Militant syndical et politique. Administrateur Insee en poste à la direction de la prévision (1976-1985) et secrétaire (CERES puis Socialisme et République) de la section PS du ministère des finances de 1981 à 1988.

NB Les idées résumées ci-dessus sont un peu développées ci-après et accompagnées de quelques documents ci-joints :
– QuelsEnseignements18-04-2021 ? Quelques précisions sur ce qui suit
– Mai1981-Décembre83 Mesures Gouvernementales

Relevé commenté des principales mesures prises par les gouvernements ;
– Conjoncture Économique
– 16Avril1982 ; Que s’est-il passé ce jour-là ?
– uchronie pour, peut-être, sourire : « Que se serait-il passé en 1981, si… ? »

La gauche a-t-elle « vraiment essayé » le socialisme en 1981 ?

Selon les idées dominantes depuis une quarantaine d’années, « les socialistes » auraient tenté une expérience qui se serait fracassée sur « les réalités ». Ils auraient été contraints de l’abandonner en mars 1983 et de devenir raisonnables. Il ne serait décidément pas possible de mener une politique à la fois populaire et responsable.

Un rappel du contexte et un examen précis des événements conduit à contredire en de nombreux points, ce discours. En réalité, il y a eu une erreur de politique économique (décision de ne pas dévaluer immédiatement le franc) qui masquait une orientation politique et sociale différente de celle qui a été annoncée et esquissée.

Ce qui est vrai :

– les gouvernements précédents avaient laissé en 1981 une mauvaise situation économique ; l’inflation de 14% conduisait à une surévaluation manifeste du franc ; le chômage avait presque quadruplé en 7 ans ; un mouvement de désindustrialisation se traduisait notamment par un déficit commercial croissant et par une baisse significative de l’emploi ; en revanche, l’endettement public était très faible (environ 20 points de PIB) et les taux d’intérêt réels négatifs, ce qui laissait une marge de manœuvre importante à qui aurait voulu l’utiliser ;

– les conquis de la Résistance et de la Libération avaient pour l’essentiel été préservés malgré la domination étatsuninenne sur le monde occidental et 23 ans de gouvernements où la droite gouvernait à reculons ; mais le contexte international était très défavorable ; idéologiquement, le néolibéralisme était à l’offensive avec les élections de Thatcher et Reagan ; le socialisme « réel » avait totalement épuisé sa « force propulsive » en Union soviétique et en Europe (Pologne, Tchécoslovaquie…) ; et matériellement, le « deuxième choc pétrolier » puis la hausse du dollar US plombaient le commerce extérieur ;

– le gouvernement de gauche avait entrepris de nombreuses réformes (voir le document joint qui récapitule ces réformes en y ajoutant quelques commentaires) ; beaucoup d’entre elles s’inscrivaient dans une logique de modernisation et quelques-unes ont résisté aux alternances politiques ; ces mises à jour était dans l’ensemble bienvenues mais impliquaient-elle vraiment la « rupture avec le capitalisme » qui avait été annoncée ?

– en mars 1983, après un échec électoral net aux municipales et une troisième dévaluation en 18 mois, François Mitterrand a annoncé une rupture… avec les intentions affichées au départ ; cela a été justifié par la dégradation de certains indicateurs économiques et financiers ; c’est ce qu’on a appelé le virage libéral ou la « parenthèse libérale », selon le premier secrétaire du PS à l’époque ; elle n’a pas (encore) été refermée près de quarante ans après ;

– on a parlé de préférence française pour le chômage : il y a eu, sinon une préférence, du moins une acceptation politique du chômage ; l’augmentation du chômage était prévisible et d’ailleurs prévue dès 1974 et chiffrée en 1981-82 ; l’endiguer aurait exigé, dès le début, une autre politique, des choix différents de ceux qui ont été adoptés (voir à ce propos le livre fort éclairant : Le choix du chômage,De Pompidou à Macron, enquête sur les racines de la violence économique, Ed Futuropolis 2021 dont on trouvera ci-joint une note de lecture)

Ce qui est faux, par ignorance ou par mensonge :

– que la gauche aurait été au pouvoir ; dire cela, c’est confondre l’apparence et la réalité du pouvoir ; c’est confondre la position institutionnelle d’un seul, avec quelques autres dans son sillage, et les rapports de forces profonds qu’il prétend modifier ; c’est aussi ignorer les distinctions, pourtant établies par Léon Blum, entre l’exercice du pouvoir (attitude offensive, précédant sa conquête… et non l’inverse !) et l’occupation du pouvoir (position défensive pour empêcher les ennemis de la démocratie d’y accéder, ou position opportuniste de ceux pour qui le pouvoir politique est un but en soi) ; une gauche au pouvoir, ou tout simplement de vrais républicains au pouvoir, ce serait une avancée des principes de liberté (pour tous, impliquant la laïcité) d’égalité (réelle, y compris dans le monde économique) et de fraternité (et donc de solidarité) ;

– que la France aurait connu une « expérience socialiste » en 1981 (qui n’aurait donc pas duré deux ans) ; c’est confondre une victoire électorale d’un parti étiqueté socialiste avec une véritable tentative de transition vers le socialisme démocratique ; sans réouvrir ici la vaste discussion sur ce que serait un socialisme véritable, disons simplement que ce serait, au moins, une critique du capitalisme et le projet d’en sortir à court ou moyen terme ; les partis de la IIème Internationale, dont le PS, avaient largement amorcé le renoncement à ce projet ; c’est net à l’époque de la guerre froide, avec le ralliement à une vision seulement électorale de la démocratie… et à l’atlantisme. S’il fallait proposer une date, ce serait le congrès de Bad Godesberg de la social-démocratie allemande en 1959, officialisant l’abandon du programme de Heidelberg ;

– que les gouvernements de gauche auraient adopté des mesures sociales irresponsables et auraient ainsi opéré une relance économique inconsidérée ; l’examen des chiffres montre que c’est inexact ; la relance économique était modérée (cf note de conjoncture jointe) ; il est vrai que ces mesures se situaient à contre-courant des autres pays mais n’était-ce pas évident pour une politique qui se prétendait différente ? ; une « reconquête du marché intérieur » aurait été nécessaire pour mettre en œuvre un « nouveau mode de production », limiter les importations et le déficit extérieur ; mais cette politique n’a été entreprise que trop mollement, partiellement et tardivement en 1983 ; il lui a été préféré dès la fin de 1981 la priorité à la lutte contre l’inflation et à la résorption des déficits par la décroissance de la consommation populaire ; c’est la politique d’austérité, dite de rigueur, qui – beaucoup le savaient et certains le souhaitaient – allait laisser filer le chômage.

– que les nationalisations aient été mises en œuvre conformément aux intentions affichées ; ces intentions étaient résumées par le triptyque « nationalisation, planification, autogestion (ou gestion démocratique) ; il s’agissait de revenir aux principes de la Libération, dans une logique de reconstruction de l’économie nationale ; les entreprises et les banques nationalisées auraient accompagné le Plan ; les nouveaux droits des travailleurs, y compris dans la direction des entreprises, auraient donné la force et la motivation nécessaire ; la victoire de ces partisans de la rupture, face au ministère des finances, n’a été qu’apparente et provisoire. En réalité, en l’absence de la nécessaire cohérence volontariste et en raison de quelques atermoiements, les nationalisations n’ont finalement été que des étatisations (voir Quand la gauche essayait encore François Morin Lux 2020 et son résumé en pièce jointe) Le bilan purement économique n’en est pas si mauvais, mais les « lois du marché » se sont vite imposées et les privatisations ont alors été faciles.

Faut-il parler d’échec ?

– l’alternance politique a réussi. La grande crainte des nouveaux gouvernants, en 1981, était de « périr ou trahir ». Périr, c’était connaître le sort de l’Unité populaire au Chili, voire de La Commune de Paris. De manière moins dramatique, c’était devoir abandonner rapidement comme le Cartel des gauches ou le Front populaire. Réussir, c’était se maintenir ou revenir rapidement aux manettes. Cela a été le cas en 1988 puis en 1997 et 2012. Depuis 1981, il y a eu donc 20 ans de gouvernements de gauche en 40 ans, 16 ans de gouvernements de droite et, depuis 2017, quatre ans de gouvernement « ni de gauche ni de gauche ». Ce serait plutôt satisfaisant si l’occupation du pouvoir politique était un but en soi. Mais force est de le constater : le projet initial a été très rapidement déserté et il n’en est pas encore apparu de nouveau. Sauf à considérer la CEE puis l’Union européenne libérale et fédérale comme un projet de substitution au socialisme. Du slogan mitterrandien « l’Europe sera socialiste ou ne sera pas » en 1979, on a glissé vers « L’Europe sera sociale ou ne sera pas » en 1984 pour tomber dans « Le socialisme sera européen ou ne sera pas » à la fin des années quatre-vingt…C’est le projet néolibéral qui a triomphé. Provisoirement, car ses limites et ses dangers apparaissent de plus en plus clairement.

– les trois dévaluations de 1981, 1982 et 1983 ont été perçues comme des échecs. La troisième a d’ailleurs été le contexte, ou le prétexte, d’un changement de politique affichée en mars 1983. On pourrait plutôt parler de réalignements monétaires, qui traduisaient la différence d’inflation accumulée depuis des années avec l’Allemagne. D’ailleurs, les réévaluations du deutsche mark ont été de plus grande ampleur que les dévaluations du franc. Mais les psychodrames associés à ces réajustements monétaires ont été politiquement ravageurs. Ils ont été mis en scène et exploités par les adversaires de « l’autre politique », celle qui avait été annoncée avant la victoire électorale. Ils ont servi de prétextes à des mesures d’austérité croissantes. Et finalement à la renonciation. Le refus d’une dévaluation significative dès mai 1981 a conduit à cette situation prévisible. Habillée derrière des raisons de prestige ou de morale, et défendue par le ministère des finances, cette non-décision a en réalité signifié le maintien d’une surévaluation du franc. Or, on le sait, une telle surévaluation signifie une priorité à la désinflation (effectivement obtenue par la suite) et des difficultés accrues pour l’industrie et l’emploi (qui se sont évidemment aggravées). Certes, une dévaluation implique des mesures de limitation des importations mais pas nécessairement au détriment des salaires et de l’emploi comme cela a été le cas. Bref, retarder l’inévitable remise à niveau du franc a constitué un choix politique erroné, peut-être délibéré.

Quellles conclusions et quels enseignements peut-on en tirer ?

Le bilan, heureusement provisoire, n’est pas brillant. On observe une descente aux enfers de la gauche en général et du PS en particulier, à peine retardée par les sursauts électoraux de 1997 et 2012. La dernière grande victoire syndicale est la lutte contre le contrat première embauche… en 2006 et c’était une « victoire défensive ». Le projet européen actuel, mis en cause par le vote populaire en 1992, a été clairement rejeté en 2005. Mais, en dépit de cela, réintroduit par le Traité de Lisbonne. Le mot de forfaiture vient à l’esprit. Depuis, les nuages s’accumulent. Et pas seulement en raison des changements climatiques ! Ils menacent aussi le monde de la finance. Faut-il attendre « attentistement » que se lèvent « les orages désirés » ?

La gauche, où le PS était dominant, a tenté de gouverner mais n’a pas vraiment « essayé le socialisme » en 1981. Cela a été presque avoué en 1983. En dépit de beaux discours, comme celui qui a été dit de Cancun, l’objectif des gouvernants n’a pas été de modifier fondamentalement les relations de pouvoir dans le pays et au-delà de ses frontières. Les nationalisations n’ont finalement été que des étatisations mais pas de véritables socialisations. Ceci explique la faible résistance aux privatisations ultérieures.

Ce n’est même pas une politique « trop sociale » qui a conduit aux difficultés, et aux dévaluations successives. Dès avant le « virage » de 1983, la réalité a été celle d’une soumission inavouée, puis de plus en plus explicite, au capitalisme financier et à son idéologie, le néolibéralisme. Logiquement, le chômage s’est installé. Le libre échange, encore aggravé par la libération des capitaux n’était pas compatible – et ne l’est toujours pas – avec une politique conforme à la devise républicaine.

Le contexte n’est évidemment plus celui de mai 1981. Mais, sans prétendre ici tracer un programme politique complet, on peut sans doute en tirer les enseignements suivants :

– la priorité absolue est une lutte acharnée contre le chômage ; non seulement pour en « inverser la courbe » ou pour le ramener au prétendu « chômage d’équilibre » ; ni pour orienter les chômeurs vers des emplois précaires ; mais pour l’éradiquer en garantissant à chacun le droit constitutionnel d’obtenir un emploi ; la santé, l’éducation, la recherche, l’agriculture et la culture, notamment, auraient besoin de millions d’emplois que « le marché » ne crée pas ; l’État et les collectivités locales pourraient pour ceci devenir « employeurs en dernier ressort » ; les entreprises publiques et les entreprises de l’économie sociale et solidaire auraient aussi un rôle à jouer ; le chômage frictionnel qui subsisterait sans doute serait protégé par une sécurité sociale professionnelle ou un statut de l’actif ; à défaut, le peuple aurait raison de ne pas avoir confiance en ses élus ;

– le « libre marché » et le « libre échange »ne sont pas compatibles avec une véritable politique de liberté (pour tous) ; si on en accepte la domination sur la politique économique, on ne peut que conforter et renforcer le pouvoir des puissances prédatrices ;

– on ne peut compter seulement sur des gouvernants, même bien intentionnés et énergiques, pour assurer la réussite de la politique qu’ils annoncent ; sans mobilisation populaire, sans des progrès sensibles de la démocratie économique et sociale, pas de politique vraiment populaire ; à défaut, les possédants, les maîtres de la finance et de la propagande, discréditeront et saboteront une politique qui menacerait leurs privilèges. C’est peut-être la principale leçon de Mai 1981. C’était l’idée, en 1975, de la 15ème et de la 16ème thèse sur l’autogestion, qui pourraient utilement être revisitées.

Alain Gély2

2 Militant syndical et politique. Administrateur Insee en poste à la direction de la prévision (1976-1985) et secrétaire (CERES puis Socialisme et République) de la section PS du ministère des finances de 1981 à 1988.

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AG Mai 1981 et 16 Avril 1982

Que s’est-il passé le 16 avril 1982 ?

On a beaucoup parlé du « virage de mars 1983 » et de « tournant de la rigueur ». Mitterrand a annoncé le vendredi 25 mars, au lendemain de la dévaluation du 21 mars, un changement de politique (sans d’ailleurs l’avouer). Cela a été présenté comme une « parenthèse » par le premier secrétaire du PS, Lionel Jospin. On sait ce qu’il en est advenu.

Mais, au-delà des aspects médiatiques, cette date marque l’officialisation d’un renoncement, peut-être la fin d’une ambiguïté, plutôt qu’un virage brutal.

L’historienne Ludivine Bantigny, avec d’autres, insiste à juste titre sur une succession de « glissements » qui ont précédé cette annonce.
https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/debat-44-1983-le-tournant
(émission passionnante qu’on peut encore écouter, notamment les 30 premières minutes).
Glissements, notamment, en novembre 1981 et mi-1982, où le ministre des finances se félicite d’avoir obtenu une désindexation des salaires sur les prix « sans une grève ».

On peut même considérer que la gauche « n’a pas vraiment essayé », y compris en 1981. Le débat continue entre historiens et entre économistes.

Mais une autre date mérite d’être signalée, qui intéressera encore plus, notamment les syndicalistes, 39 ans après : le 16 avril 1982.

Ce jour-là, Pierre Mauroy aurait annoncé au CNPF (prédécesseur du Medef) l’arrêt de l’abaissement de la durée du travail pendant deux ans, l’allègement de la taxe professionnelle (onze milliards en deux ans) et le gel des cotisations patronales jusqu’en juillet 1983.
Émission Découverte, sur Europe 1, le 19 septembre 1987, citée par Serge Halimi, Quand la gauche essayait Arléa Novembre 2000.

Yvon Gattaz, président du CNPF à l’époque, avait commenté cet événement en 1986 : « Par une décision de Mitterrand […] j’ai obtenu l’arrêt de l’augmentation des charges des entreprises. Elles n’ont plus été augmentées depuis le 16 avril 1982. [Ce fut] la décision la plus historique du quinquennat (1981-1986). »

Passons sur le beau rôle (du point de vue du patronat) que se donne Yvon Gattaz. Et sur la notion de charges des entreprises : ces « charges » sont en fait des cotisations, prélevées sur les salaires et versées à la Sécu.

Mais il a raison ! Depuis cette époque, on assiste à une déresponsabilisation des entreprises sous le prétexte très contestable de compétitivité : baisse de cotisations sociales et d’impôts sur la production. Et, parallèlement, augmentation considérable des « aides aux entreprises », bien avant mars 2020 et l’explosion de la pandémie de Covid.

Quels résultats, quelle efficacité de cette orientation de politique économique ? Partage de la valeur ajoutée très favorable aux profits, désindustrialisation, montée du chômage et de la précarité, besoin de financement de la sécurité sociale et des collectivités publiques, accroissement des inégalités. Près de quarante ans après, un bilan – sans jeu de mots  – s’impose.

Alain Gély

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