«L’Après M» à Marseille: une utopie citoyenne veut faire table rase d’un McDo au profit d’un «fast-food social»

Guillaume Origoni — 26 mai 2021

Faute d’obtenir la fermeture d’un McDonald’s dans les quartiers nord de Marseille, une association a décidé de réquisitionner le restaurant pour en faire un lieu de solidarité.
Des associations se sont constituées en SCI afin de racheter le fast-food pour en faire un lieu pérenne d’entraide sous le règne de la solidarité. | Guillaume Origoni / Hans Lucas

Ce samedi 15 mai les Marseillais du nord au sud s’étaient donné rendez-vous à L’Après M pour le lancement de la société citoyenne immobilière (SCI). Il s’agit, ni plus, ni moins, de racheter le lieu afin de pérenniser cet îlot de citoyenneté.

Ceux qui ont dit «non!»
L’Après M trône sur le rond-point qui distribue la circulation entre le quartier du Merlan et celui de Sainte-Marthe. Nous sommes en plein quartiers nord de Marseille, collés à la non moins gigantesque cité de la Busserine qui avait défrayé la chronique il y a tout juste deux ans, avec l’irruption d’un commando de narcotrafiquants vidant les chargeurs de leurs AK-47 au beau milieu des habitations.

C’est un tout autre visage qu’il nous a été donné de voir à la mi-mai. Celui de la fraternité, de la solidarité, de l’entraide et de la mixité. Les Marseillais ont assisté à la naissance d’une utopie en passe de devenir réalité. Une expérience sociale et politique observée dans et par le monde entier. L’Après M est à la fois le nom de substitution du restaurant McDonald’s depuis sa fermeture et le projet qui l’accompagne.

Placé en liquidation judiciaire en décembre 2019, ce qui était encore le McDo de Saint-Barthélemy est l’objet d’un combat acharné. Une poignée de salariés combatifs et syndiqués refusent cette fermeture et le désastre qui en découle: chômage, précarité, désertification du quartier.

«Si l’on veut que le projet perdure, il faut que le lieu nous appartienne.»

Fathi Bouara, militant et cadre de la fondation Abbé Pierre

Cette lutte s’incarne rapidement dans la figure de Kamel Guemari. Alors équipier au McDo, il devient le porte-parole de la fronde. On le voit, on l’entend, on le lit. Souvent, il est caricaturé. «Don Quichotte, pseudo responsable syndical» pour les uns, activiste «violent» pour les autres. Il n’en demeure pas moins que l’homme rassemble et porte le projet d’une alternative à la fermeture du McDo. Kamel et les autres veulent en faire un «fast-food social». Ils réquisitionnent le restaurant, le baptisent «L’Après M» et dédient le lieu à l’entraide citoyenne dans un des quartiers les plus pauvres d’Europe.

L’ Après M devient un hub solidaire. On y prend des repas, on vient chercher les colis alimentaires, on y organise les maraudes. L’entraide, la gratuité, la mise en commun font des émules. Fathi Bouara, militant de longue date et cadre de la fondation Abbé Pierre, propose une ligne de conduite: «Si l’on veut que le projet perdure, il faut que le lieu nous appartienne. Mais si l’on veut éviter qu’il soit l’affaire de quelques-uns, il faut qu’il soit la propriété de tous.»

Il est donc proposé aux Marseillais d’acheter une part de la SCI. Pour chaque part acquise, une autre est automatiquement achetée pour un habitant du quartier qui sera tiré au sort. Il faut trouver 1,2 million d’euros, soit 50.000 parts en tout.

Une Marseillaise vient d’acquérir une part de la SCI de L’Après M. Par ce geste, elle en a aussi acquis une autre pour un citoyen qui n’a pas les moyens de le faire. Ce second titre lui reviendra après tirage au sort. | Guillaume Origoni / Hans Lucas

«La part du peuple»
Les titres de propriété de cette coopérative ont été mis en vente sur le marché le samedi 15 mai 2021. Une fête a été organisée spécifiquement pour donner écho à l’initiative. On y est venu des quatre coins de Marseille. L’ambiance est détendue. On y croise des familles, des gaillards du quartier de tous âges. Les grand frères se mêlent aux petits. Le repas coûte 2 euros. Imothep, le grand architecte musical d’IAM, partage les platines avec les DJ’s de la old school marseillaise.

Certaines figures politiques locales sont présentes pour une simple visite, en famille ou avec des amis. Aucune d’entre elles ne prend la parole. Sur la scène, c’est Fathi et Kamel qui s’expriment: «Ce qui se joue aujourd’hui peut faire des émules! Partagez le QR code de L’Après M, parlez-en autour de vous, ne laissez pas retomber le soufflet.»

Fathi Bouara et Kamel Guemari prennent la parole le samedi 15 mai: «Ici c’est chez vous!» | Guillaume Origoni / Hans Lucas

Plus tard, sur le parking transformé en dancefloor, le sourire aux lèvres, il confie: «Il faut que ça fonctionne. Les autres sections syndicales dans les McDo français nous observent. Si on y arrive, ça veut dire que les travailleurs peuvent acquérir leurs outils de production. Pas besoin de Marx pour comprendre ce que ça signifie! C’est ça “la part du peuple”, ce n’est pas juste le nom de notre association. Nous parlons quand même de trente-sept emplois qui pourraient rapidement devenir soixante-dix-sept.»

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David contre Goliath
Au même moment, à l’intérieur de L’Après M, c’est le défilé. Tout le monde vient féliciter Kamel. L’arrivée d’un homme cristallise un court moment l’attention. Kamel Guemari se tourne vers moi après une longue embrassade avec ce dernier: «Tu sais, dis, qui c’est, lui? C’est un frérot de La Savine [une cité du XVIe arrondissement de Marseille]!!!»

C’est aussi le cas pour les associations qui tiennent les stands de restauration: «Nous sommes venues d’Istres [une ville qui se trouve dans l’ancien bassin d’emploi de la plaine de La Crau, à 50 km de Marseille]. On est ici par solidarité.» Une association de Toulouse a aussi fait le déplacement.

La pluie commence à tomber, lorsque les enfants montent sur scène après avoir été servis «en loge» –les stars ici ce sont eux, les gosses du quartier. Les adultes reprennent leurs mots, comme dans les concerts, applaudissent, puis les beats d’Imhotep repartent de plus belle.

«On est ici par solidarité», s’enthousiasme un membre d’une des associations qui ont fait le voyage pour soutenir l’initiative. | Guillaume Origoni / Hans Lucas

Ce coup-ci, ce n’est pas la pluie qui va arrêter la commune de Marseille.

 

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