Le gouffre d’Iter ne décourage pas les projets de fusion thermonucléaire

[ad_1] 2021-06-18 09:42:24 https://reporterre.net//

[3/3 Iter, la réalité derrière les promesses de la fusion nucléaire] Iter se veut la vitrine des éventuels réacteurs thermonucléaires, dont les qualités, selon ses promoteurs, surpassent celles de la fission, en usage dans les centrales classiques. Enquête au cœur d’un projet démesuré, aux conséquences sanitaires et environnementales désastreuses.

• Volet 1 : Le futur réacteur nucléaire Iter : un projet titanesque et énergivore
• Volet 2 : Derrière le projet Iter, des montagnes de métaux toxiques et de déchets radioactifs

Saint-Paul-lez-Durance (Bouches-du-Rhône), reportage

Vantant lors du lancement de l’assemblage d’Iter, à Saint-Paul-lez-Durance (Bouches-du-Rhône) en juillet 2020, la perspective d’une « énergie non polluante, décarbonée, sûre et pratiquement sans déchets », Emmanuel Macron a résumé ainsi la construction du plus grand réacteur de fusion nucléaire de tous les temps : « Iter, c’est précisément un acte de confiance en l’avenir. » [1] C’est le même type de discours qu’a entendu la journaliste Isabelle Bourboulon, qui vit près de Manosque, au cours de son enquête sur Iter parue en 2020 [2] : « Mes interlocuteurs disaient “Iter, j’y crois”, comme si c’était un acte de foi. » Effectivement, les promesses de ce réacteur dont le coût de construction dépasse les 40 milliards d’euros relèvent aujourd’hui de la croyance. Aucun réacteur de fusion n’a à ce jour produit le moindre kilowatt-heure (kWh) d’électricité, et dans le meilleur des cas, si l’expérience menée à Iter fonctionnait, la puissance obtenue resterait équivalente à celle qu’auraient nécessité les installations du réacteur. Mais d’autres paramètres rendent cette expérience particulièrement hasardeuse.

La journaliste Isabelle Bourboulon a longuement enquêté sur Iter. © Celia Izoard/Reporterre

Tout d’abord, il est très difficile de prévoir comment se comportera ce plasma en régime de fusion nucléaire à plus de 150 millions de degrés Celsius (la température du centre du soleil est de 15 millions de degrés). Dans ce « quatrième état » [3], la matière est sujette à des turbulences qui, malgré de nombreuses recherches, restent imprévisibles. Dès le premier tir de plasma, le tokamak — cette enceinte de 23 000 tonnes dont l’étanchéité doit être absolue et qui a nécessité l’assemblage de 1 million de composants « au millimètre près » — pourrait être perforé par les 15 millions d’ampères qu’il faut faire circuler dans la chambre à vide pour confiner le plasma.

Le divertor, l’un de ses composants critiques, sorte de cendrier de 540 tonnes en tungstène chargé d’évacuer la chaleur, « pourrait fondre, explique dans une récente vidéo Peter Rindt, chercheur en fusion à l’université de technologie d’Eindhoven (Pays-Bas) et chargé de la conception du futur prototype de réacteur Demo, qui serait construit vers 2050. Et si le plasma est déstabilisé, il peut être détruit en une milliseconde, soit un investissement à l’échelle du milliard de dollars fichu en l’air [4] ». Chacune de ces avaries nécessiterait de revoir toute l’étanchéité de l’édifice. Mais la radioactivité y sera telle qu’aucun humain ne pourra intervenir, et il faudra remplacer les pièces et colmater les fuites de façon entièrement robotisée.

Iter étant situé sur la faille sismique de la Moyenne Durance, l’État français, déterminé à emporter la candidature de la construction du réacteur sur son sol, a financé des dispositifs parasismiques de grande envergure pour protéger l’immense réacteur. Selon les études menées par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), « la quantité d’armatures métalliques dans le béton armé est telle que les bâtiments qui se déformeraient légèrement pendant le séisme reprendraient leur position initiale dès la fin du séisme. La fonction de confinement serait toujours assurée [5]. » Pourtant, on imagine difficilement qu’une machine aussi précise puisse être secouée et venir se rétablir impeccablement au millimètre près. Elle pourrait devenir inutilisable pendant des années, et les dégâts se chiffreraient là aussi en dizaines de milliards d’euros.

Le divertor. © Iter Organization

« Le principal danger, ici, c’est le feu »

« On nous parle de protections contre les séismes ou une chute d’avion sur le réacteur, mais le principal danger, ici, c’est le feu », commente-t-on dans la cantine d’Iter, à l’heure du déjeuner. Comme le site nucléaire voisin, le CEA-Cadarache, Iter se trouve au milieu d’une forêt de pins et de chênes aux confins des Bouches-du-Rhône, du Var, des Alpes-de-Haute-Provence et du Vaucluse, dans la région de France (Provence-Alpes-Côte d’Azur) la plus menacée par les incendies. En 2017, des feux ravageurs avaient atteint l’autoroute A51, qui dessert Iter. Qu’en sera-t-il en 2035, une fois la machine assemblée, sa stabilité et son étanchéité testées ?

« Une bande de végétation de 50 mètres de large a été défrichée pour protéger le site, répond à Reporterre Joëlle Elbez-Uzan, directrice de la sûreté à Iter. En imaginant qu’un incendie se propage jusqu’au tokamak, il mettrait bien deux heures à s’attaquer à ses murs, dont l’épaisseur minimale est de 60 centimètres. » Le danger est réel, et, dans la perspective des mégafeux à venir, la dispersion de tritium et de poussières de béryllium radioactives ne peut être exclue ni la nécessité d’une évacuation de la population. [6]

Aux abords du site Iter. © Celia Izoard/Reporterre

Tous ces aléas invitent à se demander si cette installation de plus de 40 milliards d’euros est assurée. « Tout ce que nous pouvons dire, répond l’Organisation Iter, c’est que des polices d’assurance standard pour la couverture des risques de construction et la responsabilité civile ont été souscrites. » Mais auprès de qui ? Une compagnie privée n’endosserait pas un tel risque. L’Organisation Iter, entièrement financée par des fonds publics, refuse d’en dire plus.

Dernier détail : il est probable qu’en 2035, Iter ne puisse pas fonctionner pendant une partie de l’année. Pour dissiper l’énorme chaleur produite par les réactions thermonucléaires, la Société du canal de Provence fournira à Iter annuellement entre 1,7 et 3 millions de mètres cubes d’eau, prélevés dans le barrage de Sainte-Croix, dans le Verdon, selon une source interne sous couvert d’anonymat — l’équivalent de la consommation annuelle de 14 000 à 25 000 foyers, et les deux tiers de cette eau de refroidissement seront évaporés. [7]

En 2006, à l’époque du débat public sur Iter, les prélèvements annoncés étaient de « 1 million de mètres cubes d’eau par an », soit deux à trois fois moins [8]. En théorie, les arrêtés sécheresse préfectoraux devraient contraindre Iter, comme tout établissement industriel, à réduire ses prélèvements, et donc à cesser ses expériences dans le tokamak pendant ces périodes. En 2035, on peut imaginer que, du fait du changement climatique, ces arrêtés seront fréquents. À moins qu’un dispositif exceptionnel n’autorise le site à refroidir des plasmas thermonucléaires expérimentaux aux moments où les particuliers n’auront plus le droit d’arroser leur jardin.

Transformateurs électriques sur le site d’Iter. © Iter Organization

Iter relance les travaux sur la fusion

Colosse aux pieds d’argile, le programme Iter pourrait donc se solder par un gigantesque gâchis, tout aléa se traduisant par des avaries et des coûts proportionnels à la taille de la machine. Mais paradoxalement, même si Iter s’avérait un fiasco, cela n’aurait peut-être pas d’incidence sur l’avenir de la fusion nucléaire. « L’enjeu d’Iter n’est pas seulement de produire le premier plasma de fusion nucléaire autoentretenu, explique Laban Coblentz, directeur de la communication. C’est de construire le savoir-faire et les capacités industrielles de la fusion dans le monde entier. »

Dans les trente-cinq pays membres de l’Organisation Iter [9], des équipes de chercheurs planchent depuis près de vingt ans sur tous les aspects de la fusion nucléaire, des turbulences du plasma à la conception d’alliages ultrarésistants. Pour produire tous les composants hors normes du réacteur, les dizaines de groupes industriels qui ont remporté les appels d’offres — Air Liquide, Veolia, Vinci, Dassault, Engie, Mitsubishi, Hyundai, etc. — ont investi pendant des années dans des prototypes, des procédés et des capacités de production. Ils vont chercher à les rentabiliser en soutenant la création d’une filière de réacteurs commerciaux.

Discours d’Emmanuel Macron lors de la cérémonie de lancement de l’assemblage d’Iter, le 28 juillet 2020. © Iter Organization

« Qu’Iter soit le premier à réaliser la fusion ou pas, tout le monde s’accorde à dire que c’est la construction de ce réacteur, longtemps jugée impossible, qui a relancé les travaux sur la fusion », relève L’Usine Nouvelle [10]. Car non seulement la production des composants d’Iter a ouvert des filières industrielles, mais le projet donne lieu à d’innombrables publications scientifiques sur les multiples facettes de la fusion thermonucléaire auxquelles les trente-cinq pays membres d’Iter ont accès.

Promesses et financements

De ce fait, s’appuyant sur les travaux menés dans la recherche publique depuis des années, l’économie des start-up s’est emparée depuis le début des années 2010 du défi de la fusion et se livre une véritable course, sur le modèle de la conquête spatiale façon Elon Musk. Financée par Morgan Stanley, Alphabet (Google) et Paul Allen, cofondateur de Microsoft, la société étasunienne Tri Alpha Energy a levé 750 millions de dollars en promettant aux financiers qu’elle serait capable d’atteindre 300 millions de degrés Celsius par collision de deux plasmas thermonucléaires et de se passer un jour de tritium en faisant réagir des protons avec du bore.

Avec l’argent de Jeff Bezos (Amazon), l’entreprise canadienne General Fusion développe un réacteur à mi-chemin entre la fusion magnétique et la fusion inertielle [11] équipé d’une paroi de métal liquide (lithium-plomb) pour convertir la chaleur. Commonwealth Fusion Systems, issue d’une équipe de l’Institut de technologie du Massachusetts et soutenue par Bill Gates, a levé 200 millions de dollars pour créer un réacteur à tokamak qu’elle promet plus compact qu’Iter grâce à 500 kilomètres d’aimants supraconducteurs en terres rares (yttrium-baryum).

Sur les 119 installations expérimentales de fusion construites ou en projet dans le monde, 22 sont désormais privées. [12] En mai 2021, ces entreprises souvent issues de laboratoires universitaires avaient levé un total de 2 milliards de dollars [13]. Les magnats de l’industrie de la tech et les fonds de capital-risque ne sont pas les seuls à les financer : on y trouve aussi des compagnies pétrolières et gazières. Les pétroliers Chevron, Eni et Equinor ont ainsi investi dans la Commonwealth Fusion Systems. Dans le conseil d’administration de Zap Energy, qui perfectionne la Z Machine au Nouveau-Mexique — un générateur de rayons X pulsés capable d’atteindre plusieurs milliards de degrés Celsius, « des ex-dirigeants des industries fossiles côtoient des experts en recherche nucléaire et en physique des plasmas », indique Green Tech Media. Les entreprises pétrolières s’assurent ainsi, au cas où la fusion nucléaire produirait un jour de l’électricité, de pouvoir continuer à dominer le marché de l’énergie.

Au fond, le rôle du programme Iter tient de la prophétie autoréalisatrice. Les effets d’annonce sur la production d’énergie colossale que les physiciens des plasmas ont fait miroiter aux dirigeants politiques pour obtenir le financement de ces réacteurs gigantesques sont aujourd’hui recyclés pour convaincre les fonds d’investissement et augmenter la valorisation des jeunes pousses (start-up). Une filière de fusion nucléaire se met en place, avec la promesse de fournir de l’énergie décarbonée dans quelques décennies. Sans aucune garantie de succès. Mais elle engloutit déjà des quantités énormes de métaux et d’énergie, qui ne peuvent qu’accélérer le réchauffement climatique et l’intoxication des milieux.

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