17 novembre 2018. 3 ans déjà.

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17 novembre 2018. 3 ans déjà.
Une date qui est entrée dans l’histoire des luttes. Beaucoup d’entre nous se rappellent ce qu’ils/elles faisaient ce jour là.
Pourtant moi je n’étais pas sur un rond-point. J’avais passé mon après-midi sur la première saison de Narcos Mexico. Il faut dire que je ne savais trop que penser de cette histoire de Gilets Jaunes et de blocages lorsque j’ai appris fin octobre que se tramait ce truc là. Dans ces moments là, il est toujours bon d’avoir une organisation avec soit, un lieu où se partage les savoirs et les réflexions. Même si dès fois, collectivement, on peut se planter.
Je me rappelle encore du camarade de la commission antifasciste qui m’expliquait qui était ce Franck Buhler dont la vidéo était devenue virale. Ah ouais quand même, sacré CV. Je me rappelle aussi de la note envoyée par le Comité Exécutif une semaine avant le 17 qui disait que nous ne nous mêlerons pas à cette foire poujadiste. Il y avait bien quelques camarades qui avaient vu juste et qui disait qu’il fallait y aller. Mais ils/elles étaient clairement minoritaires.
Et donc me voilà le 17 novembre, où après avoir visionné les premiers épisodes convaincants de la suite de Narcos, je décide de voir un peu ce qu’il se passe dans le monde réel en passant de Netflix à BFM TV. Et là, je me prends une claque en voyant ces images de blocages massifs, partout, dans toute la France. Et voilà que ça annonce que ça va continuer tout le week-end. Et merde. Moi qui espérais que ce je pensais être une tentative de l’extrême-droite de noyauter la colère populaire allait être un flop.
Évidemment, dès le lendemain, je me suis empressé de demander à des camarades FI ou libertaires qui elles et eux avaient fait le choix d’y être, comment ça se passait et surtout qui étaient ces désormais fameux « Gilets Jaunes ». Et ils avaient beau m’expliquer que sans nier la présence de l’extrême-droite, il y avait aussi et surtout des tas de gens qui étaient là pour parler des questions sociales, je ne pouvais m’empêcher de penser que ce mouvement était une catastrophe pour les progressistes.
Le lundi 19 ou le mardi 20, je ne sais plus trop, je décide donc d’aller voir de moi-même ce qu’il en est. Ça tombe bien, j’habite à 500 mètres d’un rond-point occupé. J’arrive dans l’après-midi en sortant du boulot. J’y vois avec surprise une banderole avec une revendication sur la justice climatique. Merde, ce n’est pas censé être des beaufs réacs qui veulent juste polluer avec leur 4×4?
Et puis au loin je vois arriver un gars avec un gros drapeau bleu-blanc-rouge. Ohlala, ça y est un facho, un vrai, j’en frissonne de colère. Bon, de toute façon, j’ai pas le rapport de force pour discuter de ça avec eux, je me casse. Pour la petite histoire, ce mec a participé à une manifestation de solidarité avec les exilé.e.s quelques mois plus tard.
Et puis, pendant 10 jours, beaucoup d’informations remontaient au sein du parti sur ce qu’il se passait dans différents coins. On a vu rapidement les revendications originelles sur le prix de l’essence et contre les taxes qui étranglent ces « pauvres petits patrons » laisser place à des revendications sur le SMIC ou sur le rétablissement de l’ISF. On a même vu fleurir des messages anticapitalistes sur les gilets ou les banderoles. Après 15 jours de tergiversations, il était temps de reconnaître que l’on s’était planté. Que notre place était au côté de ces centaines de milliers de femmes et d’hommes qui déjà faisaient trembler le pouvoir.
Pour l’acte 3 le 1er décembre 2018, pour la première fois en Vaucluse, les GJ décident de lâcher temporairement leurs ronds-points pour organiser leur première manifestation sur Avignon. La première d’une très longue série. Décision est prise en réunion de comité: cette fois, on y va. Bon, on va prendre quand même quelques précautions. On y reste groupé, en cortège, on sait qu’il va y avoir quelques ennemis dans cette manif, faut être prêt à se défendre si besoin. Et puis surtout, on décide d’essayer d’y former un « bloc progressiste » pour y mener nos propres mots d’ordres, être bien différencié des fachos. On organise ça avec les camarades FI d’Avignon. Ils/elles sont partant.e.s.
Le 1er décembre, on se retrouve avec les camarades 2 heures avant la manif. On avait de beaux gilets flambants neufs et comme une camarade avait eu la bonne idée d’amener un marqueur, on s’est mis à la page en les taguant de slogans. Sur le mien que j’ai gardé quelques semaines avant qu’un CRS ne me l’arrache (j’en ai eu plusieurs autres), j’avais mis « Nos vies valent plus que leurs profits », ça se fondait bien avec les slogans en vigueur. Et un gros « solidarité avec les exilé.e.s » en dessous, au moins les choses sont claires.
La manifestation partait à 14h de la Préfecture. Et à 13h, il y avait un rassemblement devant l’entrée de la fac, à 500 mètres de distance, contre l’augmentation des frais d’inscriptions pour les étudiant.e.s étranger.e.s. Ça tombait bien, on pouvait faire les deux. On était une centaine devant la fac. Nos gilets dans la poche évidemment. C’est un truc qu’on assumait pas encore tellement bien. Mais pendant que les prises de parole de l’UNEF, de l’UEC ou de Solidaires se succédaient, nous on était surtout aspiré visuellement par ce raz de marée jaune qui se profilait près de là. Waouh, y’a plein de monde, allez vite on y va!
Une fois sur place on se retrouve, comme convenu, avec les camarades de la FI. Bon la stratégie du bloc progressiste aura finalement duré 5 minutes. 5 minutes c’est le temps qu’il a fallu, après notre arrivée, pour qu’un groupe de GJ défonce la grille de la Préfecture et aille défier la rangée de CRS postée devant l’entrée du batiment. Avec les copainEs du NPA, on a pas tergiversé 2 secondes. On s’y est aussitôt mêlé. Les camarades de la FI se sont eux vite enlevés de la cohue. Je me rappellerais toute ma vie de cette manif qui a démarré en charge contre la Préf et qui a fini en insurrection avec barricades enflammées sur la Rue de la République, cordon de CRS encerclés entre deux groupes de manifestants. Échanges de projectiles contre tirs de flashball pendant 1 heure avant qu’une autre compagnie ne viennent en renfort pour les délivrer. Ce soir là, Avignon était émeutière. J’avoue que je n’aurais jamais cru vivre cela dans notre paisible petite ville de province qui n’est pas connu, loin de là, pour sa radicalité dans les luttes.
Ce 1er décembre aura été mon 17 novembre à moi. S’en est suivi des mois de manifs, d’occupations, de joie, de peine, d’amitié, de combat et des tas de choses vécues que je ne saurais raconter en public. Il n’y a pas prescription.
Jeune militant, j’ai grandi avec ces ancien.ne.s qui nous faisaient le récit de leurs Mai 68. Quand je serais vieux, je ferais surement partie de celles et ceux qui raconteront leurs mois de Gilets Jaunes. Des mois pendant lesquels on a pu collectivement croire que tout était possible. Alors, non, ce n’était pas la Révolution. Il a manqué beaucoup de choses. Mais c’était en tout cas un morceau de ce que pourrait être une période révolutionnaire. Il faudrait alors coupler cette radicalité, cette auto-organisation avec une grève générale comme en 68 et des émeutes en banlieue comme en 2005 pour mettre à bas le patronat, son état et sa police.
Et si on n’a jamais rêvé de victoires électorales, de batailles institutionnelles ou de dialogue social, c’est parce que, pour paraphraser l’autre, c’est notre projet!
On n’est pas des casseurs, mais on veut tout faire péter.
Vive la révolution rouge et jaune!

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