Avec J’veux du soleil, le député-reporter et Gilles Perret offrent une reconnaissance à des hommes et femmes ordinaires du mouvement, de l’Oise à l’Hérault, qui ont « mis leur solitude en commun ».
François Ruffin ferait presque du Magritte. « Ceci n’est pas un film sur les gilets jaunes. » Autour de lui, des micros, caméras et stylos en pagaille, tandis que la file d’attente s’allonge face aux guichets du Théâtre Toursky, à Marseille, où l’attelage constitué par le député-reporter et le réalisateur Gilles Perret (la Sociale, l’Insoumis) vient présenter J’veux du soleil. Le lieu est symbolique : ce théâtre est situé dans le quartier de Saint-Mauront, l’un des plus pauvres d’Europe. Après sa mystérieuse entrée en matière, il reprend : « C’est un film sur des hommes et des femmes qui ont revêtu un gilet jaune. Les thèmes y sont éternels : l’amour, la solidarité, l’humanité. » Une fois ce teasing posé, il faudra encore attendre de longues minutes – succès de participation oblige – pour voir les premières images de ce film réalisé en six jours, en décembre, et monté à la vitesse de l’éclair afin de le présenter deux mois à peine après sa réalisation.
Salle comble au Toursky pour la séance de l’après-midi. Il en sera de même le soir. Entre les deux, François Ruffin est allé rencontrer les salariés en lutte du McDo dans les quartiers Nord de la ville. Parmi le public de samedi après-midi figurait Jean-Luc Mélenchon, dont la présence a aiguisé la curiosité de quelques journalistes sur la prétendue rivalité entre les deux hommes. François Ruffin, qui vient de créer son microparti politique Picardie debout !, a préféré répondre sur le ton de l’humour : « J’espère qu’il ne me piquera pas ma place. » Laquelle ? « Celle de député-reporter. » Le président du groupe insoumis à l’Assemblée nationale maniait, quant à lui, le compliment (« J’aime beaucoup quand Ruffin parle d’amour. Merci patron ! est quelque chose qui va bien au-delà du message politique ») et la satisfaction (« il est important qu’une nouvelle génération s’avance ».)
Occuper des ronds-points, des péages pour regagner une dignité
Une fois tout le monde finalement installé, on pouvait suivre le tour de France en six jours et neuf étapes (Oise, Saône-et-Loire, Ardèche, Isère, Haute-Savoie, Drôme, Gard, Bouches-du-Rhône et Hérault). Cela commence dans le Berlingo du député de la Somme, un véhicule dans lequel ne se trouve, contrairement à la prescription réglementaire, aucun gilet jaune. Ce qui fait bien marrer le chauffeur-député. Voilà pour l’anecdote. Pour le plus sérieux, ce film porte en effet bel et bien sur des hommes et des femmes qui ont « mis en commun leur solitude » en portant des gilets jaunes. En allant sur des ronds-points, des péages et des hypermarchés regagner leur dignité.
Privations et détresse sociale
On rencontre un intérimaire anonyme de 28 ans dont le frigo est rempli par sa grand-mère. Puis Loïc, qui s’est nourri d’une pizza en trois jours et dont la séparation avec sa femme est récente. Et sa voisine, qui peut faire ses courses dans une grande surface grâce aux cartes-cadeaux gagnés dans des lotos. « On est devenus une vraie famille », constate l’un d’eux. Puis vient Cindy, dont le témoignage poignant est central. Elle raconte l’histoire multigénérationnelle de privations et de détresse sociale. Son implication totale dans le mouvement des gilets jaunes (elle le porte même chez elle) car « depuis des années, les gens se plaignaient, mais ne bougeaient pas ». Sa volonté de se réapproprier la politique. Avec son mari, ils lisent la Constitution et s’aident d’un dictionnaire. Le mouvement, c’est une porte, pour elle, et derrière, elle voit du soleil. Ce soleil chanté par Marie dans le générique de fin. Lors du débat qui suit la projection, parfois dans une ambiance d’assemblée générale, François Ruffin répète que ce film « n’est pas une épitaphe sur une tombe. C’est un film sur comment on passe de l’intime au politique, de “ma vie” à “nos vies”. » Du reporter au député… Il s’est ensuite félicité qu’« avec la France insoumise, et le PC a suivi aussi, on ait l’intuition qu’il fallait en être. Sur ce coup-là – et je ne dirai pas sur tous les coups –, il y a eu l’habileté d’y aller sans les gros sabots ». « Si la seule figure que les gens avaient eue à ce moment-là, ça avait été Marine Le Pen et Dupont-Aignan, la partie aurait été perdue », a-t-il plaidé. Pour autant, « ça ne veut pas dire que la partie est gagnée car les forces de progrès sont aujourd’hui à la peine ».
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