LR: Exceptionnellement nous reproduisons l’article tiré de l’excellent site d’informatio « MEDIAPART » à propos d’une projection du film: « J’veux du soleil »
J’veux du soleil !, le film de Gilles Perret et François Ruffin, se veut contre-propagande charriant les vérités des « gilets jaunes ». À rebours de la crétinisation des masses déployée par les télévisions. Sa projection en salle vaut le détour.
l’Oise, face à Pontoise, dans la commune de Saint-Ouen-l’Aumône (95), s’est constitué un pôle de résistance culturelle, au centre du quartier de la Prairie, place de la mairie : le cinéma Utopia. Vendredi 5 avril, dès 20 h, c’est la file d’attente des grands soirs.
Chacun – ou plutôt tout le monde, tant il y a du collectif dans l’air – se dirige vers la caisse. Puis vers la salle 5, dont les 200 places sont occupées dix minutes avant la séance de 20 h 30 : J’veux du soleil ! oblige. Il faut ouvrir une autre salle, la 3, pour les dizaines de spectateurs restés sur le carreau.
En attendant la projection, les gens qui se connaissent s’interpellent et ceux qui ne se connaissent pas engagent la conversation. Certains entament un hymne fédérateur, aux rimes pauvres mais riches d’effets sur les foules : « On vient te chercher chez toi, Emmanuel Macron avec ta gueule de con. » D’autres chants fusent. Une femme s’insurge, bien calée dans son fauteuil rouge : « Ça fait église ! »
Assemblée discuteuse et discutante, tendance peuple de gauche, venue voir la Passion des « gilets jaunes » selon François Ruffin, le Te Deum des ronds-points, le service solennel d’action de grâce des cabanes ! Salle réactive, qu’un responsable d’Utopia refuse de caresser dans le sens du poil. Il déboule pour présenter un film dont il déclare d’emblée ne pas priser les qualités formelles, s’attirant alors quelques huées (voir la vidéo ci-dessous). L’exploitant (au sens noble) de cinéma, visiblement amoureux du dissensus, voudrait même que J’veux du soleil ! échappe à son auteur omnipotent, pour n’appartenir qu’au mouvement des gilets jaunes en cours (quelques applaudissements abondent dans son sens).
Sans remonter aux frères Lumière, on a beau avoir connu des séances fabuleuses à la Cinémathèque française (un hommage à Joris Ivens en sa présence, notamment), on a beau avoir assisté à des présentations de film par Agnès Varda ou Ariane Mnouchkine dans des salles amicales, admiratives et donc acquises, jamais on n’avait eu l’impression de vivre un tel moment de cinéma cérémoniel. Du cinéma populaire, politique et social. Au coude à coude. Avec une pulsation de solidarité, de fraternité, d’émotion, qui passait de l’écran au public et, semblait-il, vice versa.
On oublie vite les défauts de « J’veux du soleil ! » (plans torchonnés, montage à la décrochez-moi-ça, petit côté m’as-tu-vu-quand-je-souffle-sur-les-braises de François Ruffin), pour vibrer. Ensemble. Nous commençons par ne pas décolérer contre Macron et ses supplétifs médiatiques (Aphatie, Barbier, Calvi et tutti quanti). Les cris fusent dans la salle (« enfoiré ! », « pauvre merde ! ») à chaque apparition du président de la République, agité par un film volontiers pousse-au-crime tant il est aussi conçu comme un jeu de massacre par le rusé Ruffin. Celui-ci prend un malin plaisir, itératif, à se mettre à la place du chef de l’État, engageant ses interlocuteurs à lui parler comme s’il était Emmanuel Macron en personne…
De ce président à la fois marionnette et manipulateur, les gilets jaunes parlent toujours en mal. Et souvent très bien, fustigeant sa sensiblerie d’imposteur. « Je les ai vues ces femmes de courage », bramait notre zozo national, en décembre, à la télévision, dans une apparition surréelle et spectrale. Un quidam du film le décrit en « réplique du musée Grévin ». Cela fait aussitôt mouche. Nous imaginons Macron en personnage de cire. D’aucuns, c’est palpable dans l’assistance, voient sans doute même déjà sa tête trônant au bout d’une pique…
La salle ne communie pas uniquement dans la haine – sentiment parfois moteur sinon nécessaire : cf. Mes haines d’Émile Zola. Une immense vague de sympathie, véhiculée par J’veux du soleil ! gagne le public, subjugué par les êtres humains mis en valeur au long d’un film parti à leur rencontre, dans toute la France, sur un air de Charles Trenet. « On n’existait pas et là on se retrouve […] La fraternité de la devise, on la trouve sur les ronds-points […] Message d’harmonie entre les gens […] Retour d’une dignité. »
Au-delà de la colère, de l’humiliation politique (« on n’est pas représenté »), de l’adversité ou de la pénurie (un gilet jaune de 28 ans évoquant son frigo à sec donne une image indélébile de la dèche en France), ce documentaire, de bric et de broc, atteint au point de vue et aux accents néo-hugoliens : au XXIe siècle, voici Choses vues et Les Misérables.
« La pudeur ne devenait plus impudique. » Les gorges se serrent et des sanglots s’insèrent, dans la salle du cinéma Utopia, quand Cindy relate, sans fard, sans honte, avec la dignité du 36e dessous inconnue des hautes sphères, le ravitaillement impossible à rapporter faute d’argent, les assiettes et les ventres vides, les dépressions qui guettent puis s’abattent ; avec toujours, pourtant, l’amour, la sédition, la volonté d’en découdre…
Ils ont raison de se révolter, nous en sommes témoins, grâce à un docu-truchement magnifiant ceux qui se cabrent en une rébellion de la dernière chance. Un gros plan sur quelqu’un qui a une protestation à exprimer, ce n’est pas rien. C’est une révolution du regard. C’est du cinéma parfois de toute beauté vengeresse – François Ruffin, qui rend hommage à L’An 01, pointe le rôle crucial joué par le fait de se sentir « dégradés esthétiquement » chez les gilets jaunes.
La gouaille, l’intelligence, la générosité, la hardiesse et l’opiniâtreté de l’union dans les luttes finissent par s’égosiller, à l’unisson, dans J’veux du soleil ! Et au bout du compte, c’est le ferme espoir, un altruisme de fer, qui l’emportent quand les applaudissements rythment le générique final.
Le débat qui suit ne nous fait pas redescendre sur terre puisque nous y étions, plus que jamais, dans une France prête à se transformer en zone à défendre. Cependant, la tension n’est plus la même quand les « camarades » de la CGT ou d’Attac prennent la parole. On écoute une citoyenne voulant nous entraîner dans sa lutte acharnée contre les frais bancaires (« J’irai jusqu’au bout et tôt ou tard nous les ferons sauter ! »). On écoute un citoyen comptable chez L’Oréal : « Nous sommes visibles tous les samedis. Et si nous mettions un drapeau jaune à nos fenêtres ? Il n’y a pas qu’au cinéma que nous pouvons nous rencontrer ! » On écoute la harangue d’un militant de Lutte ouvrière sur la classe ouvrière. Et puis on s’en va, pour que J’veux du soleil ! continue de rayonner, in petto.
Une jeune femme de Pontoise, qui militait voilà un an, alors qu’elle était au RSA, dans « La Commune libre de Tolbiac », quitte l’Utopia au même moment. Elle conduit le journaliste de Mediapart jusqu’à un « bus de remplacement », qui mettra deux heures tournicotantes à rallier la capitale : « Eh oui, c’est ça aussi la grande banlieue… »L’accompagnatrice improvisée se montre plus critique que le critique patenté : « Après Merci patron !, j’attendais de François Ruffin moins d’exclamation et davantage d’explication, moins de communion et plus de discussion. C’est tout de même dans l’inconfort intellectuel et la dissension que nous devenons plus intelligents et que nous progressons, non ? »
Peut-être, mais rien ne vaut cette expérience sensible et politique, à rebours des télévisions démobilisatrices et crétinisantes : un cinéma de vérité, de confrontation, de conquête. Un cinéma qui couronne une révolution, qui fait allégeance à une insubordination, qui acquiesce à la contestation, qui ne cherche point querelle au charivari. Un cinéma en accord. Un cinéma raccord…
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