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Mardi 16 avril 2019 /
Lorsque d’aventure plusieurs commentateurs et commentatrices dans les médias et bon nombre de responsables politiques traitent du phénomène de la « pauvreté », ils le réduisent spontanément le plus souvent à celui de l’itinérance, qui en représente la forme la plus extrême. Ils y vont de diverses suggestions pour réduire et faire disparaître cette illustration trop gênante d’inégalités sociales cruelles. Un discours enrobé de sentimentalisme leur tient souvent lieu d’analyse impartiale, laquelle condamnerait nécessairement les politiques à l’origine de ce problème aigu.
Bien entendu et c’est compréhensible, les organismes d’aide aux sans-abris se réjouissent de cet appui, même s’il est plutôt verbal et qu’il ne parvient pas à éliminer cette plaie.
La question de l’itinérance ne constitue que la pointe de la banquise pour reprendre une comparaison usée mais toujours pertinente : elle renvoie à la partie immergée de la pauvreté en général.
Il existe une large zone grise entre un employé convenablement rémunéré (que ce soit dans le secteur public, parapublic ou privé) et un ou une sans-abri. La différence devient abyssale entre un Pierre-Karl Péladeau par exemple et un pauvre hère anonyme à la dérive, si l’on peut dire. Dans son cas, on peut parler carrément de misère.
Mais la pauvreté ne se réduit pas aux seuls itinérants et itinérantes ; elle comprend surtout un grand groupe de travailleurs et travailleuses au salaire minimum, de multiples précaires (travailleurs et travailleuses à temps partiel, à la pige, à contrat, etc) et les sans-emplois (chômeurs et assistés sociaux aptes au travail). Ceux-ci sont fréquemment des premiers ayant épuisé leur période d’admissibilité aux prestations d’indemnisation du chômage. Ils et elles n’ont pas réussi à se dégoter un boulot, convenable ou non.
Or cette masse de sans emplois fluctue au gré de la conjoncture économique mais le taux réel de chômage (calculé par le nombre de chômeurs et de chômeuses à la recherche active d’un emploi) se maintient à un niveau assez élevé depuis 1974, avec des hausses brutales lors des récessions majeures qui ont secoué cette longue période (1982-1984, 1990-1992, 2007-2008, à quand la prochaine ?). La précarisation poussée de l’emploi accentue la vulnérabilité des travailleurs et travailleuses en général. Il n’y a rien de bien original à le faire remarquer, mais on est bien obligé d’y revenir vu la persistance des classes politique, des financiers et des employeurs à maintenir ce type de gestion du monde de l’emploi qui leur rapporte des profits fabuleux.
Le nombre d’exclus et d’exclues du monde du travail est donc appelé à augmenter vertigineusement lors du ralentissement économique qui nous pend au bout du nez, et ce d’autant plus que les programmes d’indemnisation du chômage ont subi d’importants reculs depuis les années 1980 ; ceux d’aide de dernier recours (le « BS ») ne donnent toujours que des prestations maigrelettes. On peut par conséquent se demander si certains prestataires ne basculeront à leur tour dans l’itinérance, vu le très faible nombre de logements à loyer abordable disponibles à Montréal en ce moment. La « condoïsation » y fait des ravages, en particulier dans les quartiers centraux.
Tous ces phénomènes sociaux fonctionnent sur le principe des vases communicants.
Le problème des inégalités sociales ne se réduit donc pas à celui du nombre de sans-abris, il est bien plus large. Les classes politiques dans leur ensemble (à certaines exceptions près) ont tout intérêt à concentrer l’attention du public sur l’itinérance au détriment de celui des sans emplois en général. Ce n’est pas un hasard.
Cette stratégie renvoie à la vieille (et odieuse) distinction entre les « bons pauvres » (les sans-abris) et les « mauvais pauvres », lesquels porteraient la responsabilité de leurs déboires personnels. Bien sûr, les choses ne sont pas énoncées aussi crûment mais derrière le silence intéressé de la plupart des politiciens et politiciennes, commentateurs et commentatrices médiatiques au sujet du déclassement professionnel et social d’une large tranche de travailleurs et de travailleuses, on peut aisément discerner une forme insidieuse de censure à l’endroit des multiples victimes d’un système socio-économique qui engendre de telles inégalités. Qui ne dit mot consent…
Jean-François Delisle
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