Révélation. Conforama : un hold-up à 700 millions d’euros

Employe avec slogan sur sa chemise: "Steinhoff, rend l'argent". Plan de restructuration Conforama, syndicats, fermeture de magasins, licenciements, chomage, plan social Sujet: CCE, comite central d'entreprise, de Conforama 21/7/19 Crédit: Pascal SITTLER/REA

L’Humanité, 4 septembre 2019

Sous couvert de redressement, l’enseigne et ses créanciers ont conclu un accord qui permet à ces derniers de prendre le pouvoir. Ils menacent de faire main basse sur les actifs du groupe, au risque de nouvelles vagues de licenciements.

Conforama est une proie entre les griffes de ses créanciers. Le 22 juillet dernier, le Parisien-Aujourd’hui en France révélait que le détaillant de mobilier avait cédé ses filiales espagnole et portugaise pour un montant estimé à 300 millions d’euros. Cette somme, précisait le quotidien, devant servir à rembourser partiellement la dette du groupe mais surtout à verser 87 millions d’euros d’intérêts à ses détenteurs. « Un scandale » d’autant plus « insupportable » pour les syndicats CGT (majoritaire) et FO que, le 2 juillet dernier, Conforama avait annoncé la suppression de 1 900 postes (21 % de ses effectifs), la fermeture de 32 magasins de l’enseigne et 4 magasins Maison Dépôt. « Les licenciements financent les intérêts », dénonce le délégué syndical CGT Abdelaziz Boucherit. Mais ce scandale en cache un autre, et de plus grande taille. Sous couvert de financer son redressement, Conforama et certains de ses créanciers ont mis en place un mécanisme qui, s’il n’est pas stoppé, va conduire à son démantèlement.

Taux d’intérêt usuriers

Le 11 avril 2019, le tribunal de commerce de Meaux (Seine-et-Marne) a enregistré un protocole de conciliation conclu entre les deux parties le 3 avril. Dans un document publié le 15 du même mois, Conforama présente les modalités de cet apport supplémentaire de 316 millions d’euros par ses créanciers. D’une durée de quatre ans, le prêt est assorti de taux d’intérêt usuriers pouvant dépasser les 10 à 12 %. Mais, surtout, le montage retenu consacre une prise de pouvoir des créanciers et va leur permettre de faire main basse sur les actifs du détaillant de meubles. Le protocole prévoit en effet que leur soit octroyé « un privilège » de paiement dit « new money » (voir ci-contre). Cette disposition permet à ses bénéficiaires d’accéder à un rang privilégié pour le remboursement de créance, juste derrière celui détenu par les salariés, toujours prioritaires en cas de liquidation judiciaire, par exemple. Pour Conforama, ce privilège a été complété par la création de « fiducies de sûreté ». Ces contrats permettent de transférer la propriété d’un bien aux créanciers qui devront le restituer quand le débiteur aura remboursé sa dette. Dans le cas où ce dernier n’y parvient pas, les créanciers empochent la mise. Dans le cas de Conforama, des documents que nous avons pu consulter font apparaître que 85 actifs dont 71 magasins ont été placés sous fiducie. Curieusement dépréciée comptablement il y a peu, la valeur réelle de ces biens immobiliers atteindrait entre 650 et 700 millions d’euros, soit plus du double des 316 millions prêtés. Les créanciers, selon nos informations, neuf fonds spéculatifs (Attestor, Baupost, Centerbridge, Davidson Kempner, Farrallon, KKR, Monarch, Oz Management et Silver Point), ont donc tout intérêt à ce que Conforama ne respecte pas ses obligations. Or celles-ci sont draconiennes, non seulement le groupe doit rembourser mais il doit aussi améliorer ses ratios financiers dans des proportions importantes. Le document publié par Conforama le 15 avril dernier fixe par exemple pour objectifs de faire passer l’Ebitda (excédent brut d’exploitation) de 54 millions d’euros en 2018 à 221 millions d’euros en 2021 et la trésorerie de – 196,9 millions d’euros en 2018 à 129,9 millions en 2021. Selon nos informations, des objectifs intermédiaires, parfois trimestriels, ont été fixés pour les exercices 2019 et 2020. S’ils ne sont pas atteints, ils entraîneront la spoliation immédiate du groupe par ses créanciers. « On voit mal comment Conforama peut tenir ses engagements, surtout en commençant par céder les filiales rentables d’Espagne et du Portugal », commente notre source. Lesdites filiales généraient en effet 450 millions de chiffre d’affaires, soit 11 % de celui du groupe, et contribuaient à limiter son déficit.

« C’est pour atteindre les objectifs financiers des créanciers que Conforama lance le PSE », accuse Abdelaziz Boucherit. Selon nos informations, ce dernier devrait permettre 100 millions d’euros d’économies d’ici à 2020 et améliorer d’autant l’excédent brut d’exploitation. Mais dans un second temps, alerte le délégué syndical CGT, « la fermeture de 34 magasins dont beaucoup pouvaient devenir rapidement rentables va provoquer une chute du chiffre d’affaires », au risque de ne pas atteindre les objectifs fixés « sauf à procéder à une nouvelle vague de suppressions d’emplois et de fermetures de magasins ».

Pourquoi Conforama a-t-il accepté un protocole de conciliation aussi défavorable ? La réponse est à chercher du côté de son propriétaire, le groupe sud-africain Steinhoff. Depuis décembre 2017, la multinationale est au cœur d’un gigantesque scandale financier. Ses anciens dirigeants sont accusés d’avoir falsifié les comptes à très grande échelle. Selon une enquête interne réalisée par le cabinet PwC, la fraude aurait gonflé artificiellement de 6,5 milliards d’euros les bénéfices du groupe. Après audit, le montant des actifs du groupe a été divisé par deux, à 16,4 milliards d’euros, les fonds propres ont reculé de 15 milliards d’euros, à seulement 641 millions d’euros fin 2018. La valeur en Bourse de Steinhoff a reculé de 14 milliards, avant la crise, à 490 millions d’euros. Quant à l’endettement, il atteignait plus de 10 milliards d’euros en 2017 dont 8,5 milliards d’euros en Europe. « Steinhoff est en situation de faillite. Le groupe est pris à la gorge par ses créanciers et n’a pas vraiment d’autre choix que de leur céder », commente notre source. Cela explique le sort fait aujourd’hui à Conforama et ses salariés, mais pas seulement. Selon les documents que nous avons consultés, les malversations du groupe Steinhoff auraient pu toucher le distributeur de meubles chez qui des gonflements d’actifs auraient été mis au jour. Difficile à vérifier, « Conforama n’a pas encore communiqué ses comptes 2016-2017 et 2017-2018 au CCE », explique Abdelaziz Boucherit. Le cabinet d’expertise Apex, qui accompagne le CCE, devrait y accéder dans le cadre du PSE.

La stratégie poursuivie par Conforama, qui enregistre des pertes chaque année depuis son rachat en 2011 par la multinationale sud-africaine, questionne également. « Entre 2011 et 2018, Conforama s’est lancé dans une politique de création ou de rachat d’enseignes qui ont mobilisé beaucoup de moyens et ne se sont pas avérés payants », rappelle notre source. Dernier exemple en date, en janvier, le groupe a revendu 79 millions d’euros à Carrefour le site de vente en ligne Showroomprivé. Il l’avait acquis à plus de 157 millions d’euros quelques mois plus tôt.

Les conditions mêmes du rachat du détaillant de meubles pour 1,2 milliard d’euros en 2011 continuent de peser sur ses comptes. « Steinhoff a fait payer la facture à Conforama, qui s’est endetté. Mais depuis, chaque année, il n’a pu rembourser que les intérêts », précise notre source. Résultat, le rachat constitue encore l’essentiel de son 1,7 milliard de dette. Jointe par l’Humanité, la direction, qui se défend de « projet de démantèlement », a démenti chacune de nos informations sans toutefois apporter de preuves de ses dénégations.

L’importance du scandale financier Steinhoff tranche avec l’inaction du gouvernement. Après les révélations du Parisien, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, avait assuré qu’elle attendait avec Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des réponses claires sur la stratégie de restructuration. Étonnante déclaration alors que le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), placé sous l’autorité de Bercy, a validé le montage par lequel les créanciers sont en train de spolier Conforama. Contacté par l’Humanité, Bercy n’a pas donné suite. Le député FI d’Ariège Michel Larive attend toujours, lui, la réponse à la question écrite qu’il a adressée le 6 août dernier à Bruno Le Maire à propos du sort de l’enseigne et de ses salariés. « 9 000 emplois menacés, un scandale financier d’ampleur internationale, et le gouvernement reste l’arme au pied. »

Pierre-Henri Lab
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