Après le panache de fumée, la colère noire des citoyens

[ad_1] 2019-10-02  Reporterre

  • Rouen (Seine-Maritime), reportage­

Mardi 1er octobre, des milliers de citoyens se sont réunis, à Rouen, pour exiger une plus grande transparence des autorités à propos de l’incendie de l’usine chimique Lubrizol. Jeudi 26 septembre, ce site « Seveso seuil haut » s’était embrasé, dégageant un gigantesque panache de fumée noirâtre. Riverains, parents d’élèves, médecins, agriculteurs, associations écologistes et syndicats craignent la toxicité des substances qui se sont échappées de l’usine, qui fabrique et conditionne des additifs pour l’huile. Ils ont manifesté dans le centre-ville, entre le palais de justice et la préfecture de Seine-Maritime.

Le mardi 1er octobre, six jours après l’incendie, le périmètre autour de l’usine Lubrizol était toujours bouclé. Les agents de sécurité portaient des masques à gaz. Une forte odeur d’hydrocarbures soufrés, étourdissante, émanait dans l’air. Des pompiers en combinaison ont arrosé les vestiges du site, et des pompeuses ont aspiré les nappes d’hydrocarbures, d’huile, de mousse et d’eau répandues sur le sol.

A quelques encablures du site Seveso, dans le centre-ville de Rouen, des centaines de personnes se sont rassemblées devant le Palais de justice, sur les coups de 18 heures. Le ciel était maussade, les parapluies et les imperméables étaient de mise. De nombreux manifestants se bouchaient le nez et se couvraient les lèvres, incommodées par les relents nauséabonds d’hydrocarbures. Ils ont réclamé « la vérité sur Lubrizol », sur l’origine de l’incendie et ses conséquences sur la santé humaine, l’air, l’eau et les écosystèmes attenants.


« Une usine chimique qui brûle sans toxicité, c’est comme une tarte aux fraises sans les fraises », a ironisé Salah sur sa pancarte, en réponse aux déclarations de la préfecture de Seine-Maritime vendredi dernier (« Les suies contiennent les mêmes substances que la fumée noire, donc pas de toxicité aiguë »). Cet éducateur spécialisé habite à 900 mètres du site de Lubrizol. Dans la nuit de mercredi 25 au jeudi 26 septembre, il s’est réveillé en sursaut. « A 3 heures du matin, nous avons entendu des explosions et, dès 4 heures, l’odeur est devenue exécrable, s’est-il souvenu. J’ai quatre enfants, alors mon inquiétude est multipliée par quatre. La préfecture a beau déclarer qu’il n’y a pas de toxicité aiguë, on a du mal à lui faire confiance vu les produits manipulés dans cette usine. On demande la plus grande transparence sur les risques qui pèsent sur notre santé pour les prochaines années. »

Ombeline est enseignante au collège Fernand Léger de Petit-Quevilly, à 700 mètres des décombres de Lubrizol. Certains de ses collègues ont fui Rouen, en fin de semaine, pour protéger leurs propres enfants. « L’établissement n’a même pas été fermé officiellement jeudi et vendredi ! s’est-elle insurgée. Lundi et mardi, nous avons exercé notre droit de retrait. La toiture de l’usine, pleine d’amiante, a brûlé. Il y avait aussi du plomb et du benzène sur le site, et je ne sais quoi d’autre. Nous ne pouvons pas encourager nos élèves à venir sans savoir à quoi ils s’exposent. Nous voulons des analyses fines. » Dans la journée de mardi, des élèves d’une école de Bihorel ont été atteints de vomissements et de migraines, et ont dû être évacués.

Alain était venu spécialement de Dieppe, à une heure de Rouen, pour participer à la manifestation. Il s’inquiétait notamment pour la santé de ses enfants, étudiants dans la ville. « Depuis Tchernobyl, on n’a pas beaucoup avancé dans l’information, qui est pourtant un droit élémentaire, a-t-il regretté. Les dirigeants déclarent trop vite l’innocuité de la situation, avant même d’avoir tous les éléments. C’est aberrant. A l’image de la Nouvelle-Orléans au moment du passage de l’ouragan Katrina, en 2005, Rouen aurait dû être évacuée par précaution et dans l’attente d’études sérieuses. » Sur sa pancarte, il a détourné le titre d’un article du journal 20 minutes, qu’il a trouvé « abracadabrantesque » : « Un nuage de fumée un peu toxique mais pas trop traverse les Hauts-de-France » (le titre de cet article a été, depuis, corrigé).

Patrick, 67 ans, est apiculteur amateur depuis une quinzaine d’années et possède une vingtaine de ruches à 15 kilomètres de Rouen. Il s’est dit très inquiet pour les abeilles. « J’ai retrouvé de la suie sur le toit des ruches, ainsi que sur les planches d’envol, a-t-il raconté. J’ai peur de la toxicité de ces substances pour les abeilles. On constatera l’ampleur des dégâts en sortie d’hiver… J’aimerais savoir à quoi elles sont exposées, connaître les risques qui pèsent sur elles. »


Les manifestants ont battu le pavé rue Jeanne-d’Arc, avant de bifurquer rue du Général-Giraud. Alexiane et Marion, 22 ans chacune, sont étudiantes à l’université de Mont-Saint-Aignan, sur les hauteurs de Rouen. Le panache de fumée est passé non loin de leurs chambres. « L’odeur est tenace dans nos appartements, expliquent-elles. Dès que nous ouvrons nos fenêtres, nous avons des maux de têtes ou des problèmes respiratoires. On essaie de continuer nos vies comme avant, de faire comme si de rien n’était. Mais ce n’est pas possible, pas quand on se dit que l’air qu’on respire est peut-être empoisonné. »


Le cortège a rallié la place de la Madeleine peu après 19 heures. Perçant le ciel gris, les rayons du soleil illuminaient la façade de la Préfecture de Seine-Maritime. L’entrée était gardée par une douzaine de policiers. « Assez, assez, assez de cette société, qui bousille la planète et détruit la santé », se sont époumonés les manifestants. Ou encore « Lubrizol pollueur, Etat complice ». « La préfecture joue de la flûte, c’est ici qu’on nous endort », s’est écriée une manifestante en colère.


Sur le parvis de la Préfecture, Dittmar a exhibé une bouteille remplie d’eau noire. Ce retraité possède deux hectares de terres sur la commune de Neufbosc, à une trentaine de kilomètres de Rouen. Il y élève ses bêtes, pratique l’apiculture, récolte ses pommes et son raisin. « J’ai trouvé de la bouillie noire dans les regards pluviaux de ma citerne, a-t-il expliqué dans un sourire écœuré. Ça me fout les boules (sic), ça fait mal au cœur de voir 30 ans de travail pollué, quand on fait par ailleurs très attention. »


Nathanaël de Youth for Climate Rouen, a pris la parole : « En 2002, Jacques Chirac disait « Notre planète brûle, et nous regardons ailleurs ». Le jour de sa mort, Rouen brûlait et nous regardions ailleurs. » A quelques pas, un fumigène a été craqué et porté devant les policiers, dégageant un panache de fumée noire. « Ça ne pollue pas, ne vous inquiétez pas, ce n’est pas toxique non plus », se sont amusés les manifestants.


5.250 TONNES DE PRODUITS CHIMIQUES ONT BRÛLÉ, SELON LA PRÉFECTURE

Alors que la mobilisation touchait à son terme, la préfecture de Seine-Maritime a publié mardi soir une série de documents, dont la liste des produits chimiques incendiés, et annoncé que plus de 5.250 tonnes de produits chimiques avaient brûlé dans le sinistre. « Tous les produits ne sont pas dangereux. La dangerosité dépend de la quantité présente, du devenir des molécules après avoir brûlé et de la manière dont on est exposé (contact cutané, inhalation, ingestion) », avance l’un des documents publiés. Le préfet de Normandie, Pierre-André Durand, a notamment affirmé, en s’appuyant sur « la première série de relevés » effectués vendredi, qu’il n’y avait pas de risque « avéré » lié à l’amiante. Le préfet a aussi précisé qu’il restait sur le site « de l’ordre de 1.000 fûts, dont 160 en état délicat, pour lesquels un protocole d’intervention est en cours de finalisation ».

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