Nous entrons dans l’ère des révolutions, par Jacques Chastaing

Nouvel article sur Arguments pour la lutte sociale

En période de krach boursier et de pandémie, bilan d’étape et perspectives d’un soulèvement social majeur commencé il y a quatre ans.

UNE CATASTROPHE MONDIALE AUX CONSÉQUENCES GIGANTESQUES IMPRÉVISIBLES

La pandémie de Covid-19, les krachs boursiers, la crise pétrolière, la crise économique mondiale de grande ampleur qu’ils ont générées et les risques d’une crise financière ont profondément modifié la situation.

Nous entrons peut-être dans une nouvelle ère de l’histoire mondiale.

La crise globale actuelle est une crise du système capitaliste dans son entier dont la pandémie n’est qu’un révélateur, qui mûrissait depuis des décennies. La classe capitaliste a réussi à reporter jusqu’à aujourd’hui cette crise par une expansion massive du crédit, c’est-à-dire en accumulant de la dette qui est maintenant devenue la source de nouvelles accélérations de la crise. La crise économique elle-même avait commencé courant 2019 avec une crise de surproduction notamment dans l’automobile, les équipements et les machines outils et la production industrielle en général dans plusieurs pays entraînant une récession dans nombre d’endroits.

Ceci dit, aujourd’hui, la forme de la crise vécue par les gens est d’abord celle d’une crise sanitaire, ce qui change beaucoup de choses du point de vue politique et social et notamment pour les révoltes populaires qui grondent aux quatre coins du monde et qui pourraient bien mettre la révolution pour un monde meilleur à l’ordre du jour dans la période qui vient.

Bien sûr, tout va dépendre de la durée de la pandémie.

La question fondamentale est là : tout peut être différent si elle dure un ou deux mois de plus, 6 mois ou un an ou plus encore.

On ne peut pas le savoir au stade actuel. Le plus probable si la crise sanitaire dure peu, c’est que la crise économique sera au niveau de 2008 et si elle dure plus longtemps au niveau de celle de 1929, dans un mélange actuel des deux à l’heure où j’écris, mais cependant dans un monde bien différent.

C’est imprédictible. Observons toutefois ce qui se fait et surtout l’évolution de la conscience populaire prometteuse pour l’avenir en émettant quelques hypothèses

GESTION POLICIÈRE DE LA CRISE SANITAIRE ET FINANCIÈRE DE LA CRISE ÉCONOMIQUE : LE CAPITALISME EN FAILLITE.

La crise économique est assurément devant nous. Son ampleur et sa forme – entre maintien des équilibres du monde actuel et leur dislocation – dépendront de la durée de la crise sanitaire.

Jusqu’à aujourd’hui, il y a eu des gestions variées de la crise sanitaire avec des conséquences non négligeables qui attirent actuellement toute l’attention avec notamment des différences importantes entre par exemple la Corée du Sud ou Taïwan d’un côté et la Grande Bretagne ou les USA à l’opposé, ou encore entre l’Allemagne et la France, avec des implications économiques qui pourront être importantes à l’avenir. Cependant, ces différences ne doivent pas nous empêcher de constater que la plupart des États dans l’ensemble se sont contentés d’une gestion policière de la crise sanitaire, baptisée « confinement », guère différente malgré les progrès technologiques de celle de la peste au XIVème siècle ou du choléra au XIXème siècle dans un contexte général d’impréparation totale, de dissimulation de la vérité, de déclarations contradictoires, de rumeurs et peurs incontrôlées, et de baisse globale des moyens de santé ces dernières décennies.

Au niveau économique, pour le moment, comme en 2008, la gestion de la crise économique a consisté à injecter des masses énormes de liquidités dans les circuits. Et globalement, la priorité financière a été donnée à la gestion de la crise économique bien avant celle de la crise sanitaire.

Pour le moment, sur le plan économique, la crise a provoqué une baisse massive de la production, des voyages et de la consommation (1) mettant en danger des branches entières de l’économie, le transport aérien et maritime en premier lieu, le gaz et pétrole de schiste américain, le tourisme, la restauration, l’hôtellerie, la culture, les loisirs, la presse imprimée et beaucoup de petites entreprises. Mais la durée de la crise sanitaire pourrait aggraver infiniment la situation.

En 2008, les capitalistes ont réussi à sortir de la crise d’une part en injectant des liquidités considérables dans l’économie, ce qui a repoussé les échéances mais gonflé aussi de nouvelles bulles spéculatives à plus grande échelle encore et d’autre part grâce à l’expansion considérable de l’économie chinoise qui a servi de locomotive au monde entier à partir de 2010.

En 1929, par delà le New Deal américain qui a été bien moins important qu’on le croit souvent pour les travailleurs et de toute façon à durée limitée, c’est l’industrie de guerre et la guerre qui ont sorti l’économie de la crise après que les articulations économiques mondiales des échanges se soient déboîtées dans un repli nationaliste sur chaque économie avec un rééquilibrage mondial accéléré autour des USA. Ce dernier avait commencé après la guerre de 14-18, il sera confirmé par la crise de 1929. Va-t-on assister si la crise continue à de tels rééquilibrages au profit d’un nouveau centre mondial asiatique, Chine, Corée du Sud, Taïwan, Singapour… commencés vers 2010 et fortifiés aujourd’hui (et au final un plan Marshall chinois pour une Europe décomposée, ce serait vraiment et littéralement le monde à l’envers ? ) qui, de manière symptomatique et peut-être prémonitoire, a jusqu’à aujourd’hui traité la crise du coronavirus de manière autrement efficace, technologique et « moderne » (2) que dans le vieux monde occidental « démocratique » et son confinement policier datant du temps de la peste ? Bien sûr, on ne peut imaginer de tels basculements avant de nouveaux équilibres économiques, sociaux et géo-politiques mondiaux sans des périodes extrêmement mouvementées, douloureuses, orageuses et socialement, politiquement, intellectuellement tumultueuses et éruptives.

Aujourd’hui, les mesures prises pour le moment par les banques centrales et les différents États développés sont variables suivant les pays mais globalement du même ordre qu’en 2008 : une injection considérable de liquidités, des plans d’assistance sociale très limités même si, ici ou là, il y a des tentatives – au moins en parole – de garantir les salaires, le paiement des loyers (un moment), des efforts sur le plan de la santé publique et des plans de relance économique avec des projets de nationalisation de certains secteurs comme l’aéronautique ou l’automobile un peu supérieurs à ce qu’ils ont été il y a 12 ans (Général Motors avait été nationalisé avec de nombreux licenciements, la fermeture de plusieurs sites, la destruction d’acquis sociaux et aujourd’hui la population n’a pas encore fini de payer tandis que GM dont l’État possède encore 30% va très bien maintenant ) pour autant qu’on puisse en juger pour l’instant ; le plus important pour le moment étant le plan Chinois avec 6 000 milliards d’euros et la construction de 22 000 infrastructures à peine supérieur à celui des années 2008 dans le cadre d’une économie chinoise qui tousse depuis quelques temps mais qui pourrait reprendre – et surtout au niveau asiatique – tandis que les autres s’effondreraient. Les USA annoncent pour leur part un plan de 2 à 4 000 milliards de dollars de soutien aux entreprises – toujours en discussion à l’heure où j’écris – et ce qui fait parler, 1 000 dollars par personne dans certaines conditions de revenus (3).

Bien sûr, tout est en pleine évolution et chaque jour apporte son lot de nouvelles, mais quasiment partout, pour le moment, la première réaction des pouvoirs a été l’aide aux banques et aux entreprises qui dépasse infiniment l’aide aux populations et aux services publics, notamment de santé, ce qui est particulièrement visible, choque et provoque mille indignations.

En conséquence, après un premier moment de solidarité nationale au moins en parole -avec en France des promesses d’interdiction des licenciements (non tenues) ou de plus ou moins garanties des salaires avec la prise en charge du chômage partiel pour les patrons par l’État et le paiement de 84% du salaire – , les mesures coercitives se multiplient pour obliger les travailleurs à retourner au travail le plus vite possible malgré les risques même là où ce n’est pas indispensable : suspension du droit de grève au Portugal, suspension durant 4 mois des contrats de travail et des salaires au Brésil, déclarations tonitruantes de Trump le 23 mars que tout le monde devrait reprendre le travail rapidement autour du 12 avril avant que la crise économique ne fasse plus de dégâts que la crise sanitaire, dénonciation du confinement de certaines villes par Bolsonaro pour pousser à la reprise du travail, mise en cause de la durée du temps de travail, des congés payés, des repos hebdomadaires et possibilité de semaines de 60 heures dans certains secteurs en France où le gouvernement et le patronat, soutenus par les directions syndicales et politiques de gauche et de droite, profitent du temps de confinement pour tenter d’écraser les résistances populaires qui se sont manifestées précédemment comme d’ailleurs un peu partout.

Il est donc possible ou probable qu’on entre dans une période de licenciements et de chômage encore plus massif (4).

En Espagne, les chaînes hôtelières de la côte, telles que Meliá, les compagnies aériennes Air Europa, Vueling, Ryanair, les sociétés Nissan, Seat, Ford, Opel, Fujitsu, Kostal Eléctrica, Cortefiel et Inditex, ainsi que de nombreux contrats dérivés ou indirectement liés aux départements de l’éducation à Madrid et au Pays Basque (services de cantine, personnel d’encadrement, de nettoyage, conseiller.e.s en langue des signes, traducteurs et interprètes ) ont d’ores et déjà annoncé des dizaines de milliers de licenciements. Au Portugal, aussitôt après l’annonce par le gouvernement de gauche de la suspension du droit de grève, des milliers de licenciements ont été annoncés.

La crise sera l’occasion pour demander de plus en plus de sacrifices aux classes populaires dans l’intérêt de la classe dirigeante ; et pour les imposer, de nouvelles mesures politiques encore plus martiales seront prises contre les travailleurs et la démocratie. En France, avec l’ensemble des mesures prises, le gouvernement est allé plus loin que jamais. Mais Macron, Trump et les autres… ou des successeurs encore plus radicaux, pourraient bien tenter de s’octroyer tous les pouvoirs au prétexte de faire face à l’émeute et la révolution.

Déjà en 2008, les États en donnant des chèques en blanc aux banques, qui ont coûté plusieurs milliers de milliards d’euros et de vastes programmes d’austérité économique, de réductions des services sociaux et publics, ont par la suite en saisissant toutes les occasions, limité les droits démocratiques avec des formes variées de plans d’urgences ou de politiques facilitant l’arrivée au pouvoir de psychopathes du type de Trump, Macron ou Johnson…

Ce pourrait être pire aujourd’hui à condition que les policiers eux-mêmes, frappés par le coronavirus, ne tombent pas comme des mouches, comme cela semble être déjà un peu le cas en France et de la même manière pour l’armée, ce qui pourrait aussi changer la situation.

DANS CE CONTEXTE DE CRISE SANITAIRE ET ÉCONOMIQUE MELANGEES, LA LÉGENDE DE L’EGALITE HUMAINE FACE AUX MALADIES INFECTIEUSES A FAIT LONG FEU

Il existe un mythe commode selon lequel les maladies infectieuses ne reconnaissent pas les barrières et les frontières sociales.

Il est vrai que dans les épidémies du choléra au XIXe siècle, le franchissement des barrières de classe a été suffisamment dramatique pour engendrer la naissance d’un mouvement public hygiéniste d’assainissement et de santé qui s’est ensuite professionnalisé et étatisé et a perduré jusqu’à nos jours. Ce mouvement était dominé par les préjugés des classes riches et moyennes. Son but était de les protéger plus que les autres, mais, sous l’effet des révoltes et révolutions ouvrières incessantes, des luttes de classes au quotidien, de l’essor du mouvement ouvrier et des mouvements socialistes ainsi que de leur prise en main d’un certain nombre de municipalités et ses services, cela a conduit les classes dirigeantes à de multiples concessions dont les droits ouvriers, les protections sociales, les services publics et l’extension des protections sanitaires à toute la société.

Mais aujourd’hui, globalement nous connaissons un mouvement inverse.

Le grignotage ou la démolition progressive des protections sociales, éducatives et sanitaires, des services publics, des protections contre le chômage, l’âge ou la maladie depuis une quarantaine d’années, frappe en premier lieu les classes les plus pauvres. Cependant, pour un certain nombre de questions et notamment sanitaires ou démocratiques, la porosité des frontières de classe se manifeste lorsque de grands médecins, chefs de services, journalistes, magistrats, avocats sont eux-mêmes victimes du virus et des remises en causes démocratiques et qu’alors, certains élèvent la voix contre le manque de moyens mis en œuvre contre l’épidémie.

Cet abandon de classe se voit également à la main-d’œuvre de ces secteurs qui est essentiellement féminine (90% du personnel soignant dans le Hubei en Chine, 78% en France mais 90% pour infirmières et aides-soignantes ), main-d’œuvre qui plus est de personnes racialisées ou ethnicisées dans la plupart des régions du monde. Cette « nouvelle classe ouvrière » est à l’avant-garde des luttes de ces dernières années. Elle porte également le poids d’être tout à la fois, en tant que femmes, la partie la moins touchée par le virus et, en même temps par son emploi, la plus à même de risquer de contracter le virus. Il y a aussi là une différenciation de classe. Les travailleuses sont particulièrement exposées aux épidémies parce qu’elles sont largement sollicitées pour prendre soin des malades, pour distribuer l’alimentation et pour gérer les familles. Elles sont la main d’œuvre la plus précaire en CDD ou intérim dans les Ehpad, les hôpitaux, le nettoyage, la restauration, l’aide à domicile, la culture, la grande distribution, l’école, le para-médical. Elle sont donc la partie de la classe ouvrière la plus susceptible d’être victime de la crise économique, d’être licenciée sans ressources en raison du ralentissement économique, d’une part par sa situation dans les emplois les plus fragiles et d’autre part, parce que s’il faut sacrifier un emploi dans la famille pour garder les enfants, ce sera probablement celui des femmes, plus souvent en charge de l’éducation des enfants et moins rémunérées.

Comme les travailleuses et les femmes ont joué un rôle central dans les luttes de ces dernières années, depuis les luttes des travailleurs migrants en 2016 et avant, celles de l’hôtellerie et du nettoyage en 2017, des Ehpad en 2018, des Gilets Jaunes en 2019, ces travailleuses et ces femmes – souvent originaires d’Afrique ou des Antilles – pourraient être à nouveau, et encore davantage demain, au centre de la riposte populaire avec la pandémie.

Mais regardons plus loin sur l’inégalité des situations face au virus.

Imaginons un instant pour l’ampleur de la crise et ses désastres, que le virus atteigne – si ce n’est pas déjà fait, des cas sont signalés à Gaza – les habitants des bidonvilles gigantesques du Caire, les favelas de l’Amérique Latine ou de bien d’autres mégalopoles de pays « émergents », soit au total environ 1,5 milliard de personnes. Imaginons encore qu’elle touche aussi aussi les déplacés et réfugiés qui sont respectivement 68 et 22 millions dont la plus grande partie vit dans des camps en Afrique, au Moyen-Orient, dans le sous-continent indien dont les dimensions en habitants atteignent celles de grandes villes comptant jusqu’à 800 000 habitants, où il y a peu ou pas de système sanitaire, pas d’eau courante, pas de savon pour se laver les mains (5) et les victimes de la guerre comme ceux du sida. Déjà à l’heure actuelle, 320 millions d’écoliers à travers le monde sont privés de cantine en raison de la fermeture d’écoles, notamment en Afrique où l’école assure souvent l’unique repas de la journée.

Il ne faut pas oublier bien sûr que la destruction des systèmes de santé dans les pays riches a concerné aussi les pays les plus pauvres.

Il ne faut pas oublier non plus le nombre très important des pauvres dans les pays riches.

Ainsi 89 millions d’américains n’ont pas de véritable couverture santé ce qui fait que certains estiment à 2,5 millions, le nombre de morts qu’il pourrait y avoir aux USA surtout chez les plus pauvres et les noirs, qui sont très nombreux à ne pas avoir de protection santé, qui sont obligés de travailler car sans possibilité de se mettre en arrêt maladie, entassés dans des logements urbains exigus, sans confort, mais aussi qui sont plus fragiles parce qu’ils sont exposés aux maladies pulmonaires chroniques peu ou mal soignées dues à la pollution atmosphérique des grandes villes et leurs quartiers les plus industriels. Et puis, il y a les 10 millions de personnes qui passent par les prisons chaque année et les 500 000 qui passent par des centres de rétention où ils sont entassés sans aucune distance sanitaire et enfin les 500 000 sans domicile fixe.

S’il semble y avoir une différence de mortalité en fonction des fragilités dues à l’âge que soulignent les médias, il y en a une bien plus grande en fonction des différences de classe y compris dans l’âge. Mais bien sûr, pour forcer les travailleurs à continuer à travailler malgré les risques et ne pas soulever l’indignation des pauvres, il n’y a pas ou guère de statistiques de mortalité en fonction de la richesse ou de la pauvreté.

Bien sûr, on ne sait pas comment va évoluer le virus ni même la pandémie, mais le nombre de morts, surtout chez les plus pauvres, pourrait se compter rapidement en dizaines de millions voire plus.

Voilà les conséquences sur le monde que pourraient avoir la destruction des systèmes de santé en général et l’absence de mesures sanitaires suffisantes ou trop tardives dans nombre de pays développés.

TENTATIVES D’UNIONS NATIONALES FACE AUX VIRUS DANS L’HISTOIRE ET QUELQUES LEÇONS POUR AUJOURD’HUI

La grippe dite espagnole issue de la guerre de 14-18 avait provoqué de 50 à 100 millions de morts entre 1917 et 1920 mais un désastre qui, psychologiquement, n’a pas été séparé des autres désastres de la guerre elle-même, ni des ébranlements sociaux et révolutions qui l’ont suivie.

Aujourd’hui, contrairement à cela, la crise sanitaire s’est d’abord imposée dans les esprits avant même la crise économique et de ce fait la résistance populaire a été plus immédiate et doté d’un caractère sociétal et politique global plus manifeste.

Ainsi les vagues dévastatrices actuelles et à venir dans des pays très différents de ce qu’ils étaient en 1918 au vu de l’interconnexion économique et sociale du globe ne pourront avoir que des effets géants sur le monde tel que nous le connaissons depuis la seconde guerre mondiale, peut-être sa dislocation mais plus probablement encore l’irruption de soulèvements populaires immenses.

La crise sanitaire du choléra de 1852-1854 (5 000 morts à Paris en 1853 ) avait permis à Napoléon III peu après son coup d’État de 1851 et l’écrasement de la révolution ouvrière de juin 1848 par les démocrates, de conforter son pouvoir personnel au nom de l’intérêt général en liquidant les foyers de résistance du Paris Populaire (comme à Marseille et dans le Sud Est) au prétexte d’une politique hygiénique qui amena par l’Hausmanisation de la capitale, la liquidation physique des quartiers populaires où les insurgés vivaient et se retrouvaient.

C’est encore à la suite d’une crise économique des années 1880 et dans sa foulée d’une épidémie de choléra dans le sud de la France en 1884 et les mesures sanitaires radicales à prendre contre elle que Clémenceau fonda sa réputation de « radicalisme » et son succès électoral contre la république « opportuniste », ce qui lui permit de soutenir la tentative bonapartiste du général Boulanger associant autour de lui une union nationale allant de l’extrême droite à l’extrême gauche.

De même, de 1821 à 1823, la « fièvre jaune » en Espagne permet à Louis XVIII, ramené au pouvoir après les Cent-Jours, de faire un amalgame politico-sanitaire et religieux à caractère national entre la fièvre jaune, pour beaucoup une évidente punition de Dieu, et ce pays malsain de libéralisme à notre frontière qu’était à ce moment l’Espagne de la constitution de Cadix en mettant à la frontière 100 000 soldats pour bloquer l’épidémie (!) mais surtout en 1823 pour envahir le pays insurgé pour rétablir l’absolutisme.

Mais Napoléon III, comme défenseur du suffrage universel, avait un large soutien populaire au début de son régime, Boulanger bénéficiait également d’un large soutien populaire quand en pleine crise économique et montée ouvrière des années 1880, il avait publiquement dénoncé l’utilisation de l’armée contre les grévistes et enfin Louis XVIII bénéficiait pour sa part, avec l’effondrement du régime de Napoléon Ier, d’une période de fort recul de la révolution.

Aujourd’hui, avec Trump, Macron, Johnson ou d’autres aux profils semblables, on ne voit pas du tout se mettre en place de telles configurations.

L’amalgame politico-sanitaire où toutes les classes seraient touchées par le même mal qui permettrait alors l’unité nationale autour d’un Bonaparte, Macron par exemple au dessus des factions et des partis, n’a jamais eu lieu aujourd’hui même aux premiers jours de la pandémie du Covid-19.

L’élan populaire national de lutte contre le virus s’est fait contre Macron ou malgré lui.

Il y a certes bien une unité nationale par exemple en France avec un texte commun signé par les organisations patronales et les grandes organisations syndicales ouvrières à l’exception de Solidaires de même que le vote de la loi de finances rectificative du 21 mars 2020 par les partis de gauche jusqu’au PCF ou la France Insoumise, qui cautionne la politique du gouvernement, mais il n’y a aucune adhésion populaire à cette union.

Macron n’est pas l’émanation du peuple contre les partis et le « système » mais bien au contraire l’expression du système contre le peuple.

Pour le moment, la fermeture des frontières et le repli derrière l’esprit national ne prend pas comme en cas de guerre ou de crise économique comme au XXème siècle. Tout le monde comprend que la pandémie a été immédiatement mondiale. On assiste au contraire en Europe aux mêmes élans de solidarité des peuples confinés, le soir par des chants ou des gestes de solidarité à l’égard des soignants ou bien des concerts de casseroles, en Espagne par exemple pour exiger que le roi donne aux hôpitaux publics (seulement 45% du total des hôpitaux en Espagne) les 100 millions d’euros qu’il a dissimulés dans des paradis fiscaux.

Enfin, globalement et principalement, la crise est d’abord vécue par la population par ses effets sanitaires alors que les gouvernements prennent avant tout des mesures financières pour les banques et entreprises face à la crise économique qui vient. Les déclarations contradictoires des ministres tiraillés entre la démagogie sanitaire du confinement et la pression pour forcer les salariés à continuer à travailler au risque d’amplifier la propagation du virus, sont d’autant plus visibles que les salariés prenant au sérieux le confinement arrêtent le travail là où il n’est pas indispensable ou appellent à la grève générale en Italie tandis que les ministres se relaient dans les médias pour pousser au travail.

Cette gestion financière d’une crise sanitaire passe ainsi encore bien moins que la seule gestion de la crise financiaro-économique de 2008. Elle heurte d’autant plus que face aux milliers de milliards immédiatement libérés pour la finance, il n’y a que des miettes pour le secteur de la santé, pas de masques, tests de dépistage, gels hydroalcooliques, respirateurs, ouvertures de lits, pas d’embauches de personnel et de structures de santé… Tout le discours gouvernemental national «guerrier» est dévalorisé. Alors qu’il est question de nationaliser tout ou partie du secteur aéronautique, il n’est pas du tout prévu de nationaliser les cliniques privées ou le secteur privé de la santé à commencer par l’industrie pharmaceutique. Les nationalisations sont ainsi comprises elles-mêmes comme une socialisation des pertes tandis que continue la privatisation des profits du secteur privé de santé au détriment de la santé « nationale » de tous. Le nationalisme lui-même dévoile ainsi ses motivations sordides de classe. La « nationalisation » au nom d’un peuple fictif laisse plutôt la place à l’idée d’expropriation sans indemnités ni rachat.

LE MOMENT DE SIDÉRATION EST DÉJÀ PASSE

Bien sûr, comme on l’a vu aussi, dans les premiers jours de cette crise -comme dans toute crise – les gens, inquiets, ont tendance à se concentrer en premier lieu sur les urgences quotidiennes pour y survivre, aidés en cela par les discours moralistes incessants accusant les gens eux-mêmes de la situation et ceux d’union nationale pour éviter des paroles trop discordantes et des critiques trop éclairantes. Ce ne serait pas le moment de polémiquer mais de se concentrer sur sa survie, comme si l’absence de débat pouvait y aider !

En ce sens, la lutte contre le virus a été traitée de manière à maximiser la confusion et à minimiser la protection.

Les bourgeois responsables de la crise boursière et de l’état de délabrement du système de santé rejettent la responsabilité de la crise économique sur le dos du virus et la mortalité du virus sur les comportements irresponsables des gens voire sur les pays « étrangers » qui n’auraient pas pris de mesures suffisantes.

La peur est un moyen éprouvé depuis longtemps pour intoxiquer et manipuler les masses et faire passer des mesures provisoires d’urgence contre les protections sociales et les droits démocratiques pour les faire durer ensuite.

Mais une fois passé le moment de sidération, la pensée par soi-même revient d’autant plus vite et plus fort qu’elle a été instruite des manipulations antérieures dans les combats précédents.

Et elle revient d’autant plus vite aujourd’hui que l’ampleur mondiale grandissante des combats pour le climat, contre l’agriculture industrielle, la déforestation, la destruction de la biodiversité, les incendies géants récents et le développement de plus en plus fréquent des épidémies dans un monde de plus en plus urbanisé avec une accélération de la circulation humaine par avion dans une économie mondialisée a accru la conscience de la dangerosité pathogène du capitalisme.

Du coup, ce qui est frappant aujourd’hui, c’est combien la pensée critique revient très, très vite. Le choc de conscience que voudraient utiliser les pouvoirs contre les peuples est en fait un choc de conscience contre les dirigeants et au mieux, leur incapacité, mais plus souvent encore contre le cynisme conscient qui leur fait entraver la lutte contre l’épidémie au profit de la défense du capitalisme.

Hollande n’avait déjà tiré aucun profit des mises en scène et de l’état d’urgence instaurés après les attentats de janvier et novembre 2015.

Le mouvement des indignés islandais, portugais, grecs, américains, israéliens et espagnols entre 2008 et 2011 sont des conséquences directe de la crise de 2008/2009 et/ou des révolutions arabes de 2010/2011 elles-mêmes très liées – entre autres – aux difficultés économiques graves causées dans les pays arabes par la crise mondiale de 2008/2009.

Les soulèvements sociaux qu’annoncent la crise et les prises de conscience actuelles seront probablement d’une toute autre ampleur.

Macron – et bien d’autres – risquent bien de succomber à leur gestion cynique de la crise sanitaire et aux mesures qu’il tente de prendre aujourd’hui contre les congés payés, les repos hebdomadaires, les RTT, la durée du travail, le travail le dimanche… au prétexte de la pandémie.

Plus que ça, c’est le capitalisme lui-même qui pourrait bien être visé par ces soulèvements.

En même temps, la dimension « socialiste » de la révolution à venir qu’on devine à la faveur de cette crise, va éclairer tout autrement l’évolution des régimes actuels glissant de plus en plus vers un autoritarisme sans voile.

Les bonapartismes de Macron, Trump, Johnson et les autres ne sont que des pâles copies des premiers bonapartismes décrits plus haut. Toutefois, ils arrivaient à s’imposer malgré mille et unes oppositions du fait que ces oppositions politiques et syndicales elles-mêmes – et pas que les directions de ces oppositions , ce qui se décelait à l’absence d’auto-organisation forte – n’avaient pas pris la dimension de la contre-révolution en cours qu’incarnaient ces dirigeants. De ce fait, elles menaient la lutte à la petite journée un peu comme si on était encore dans la période démocratique passée. Pour ces oppositions, les fondements de ces régimes n’étaient pas clairs et leurs dynamiques non plus. Ce qui fait que la force mystérieuse des Macron, Trump et Johnson qui assurait leurs succès va disparaître. Leur force jusque là, c’est qu’ils menaient en effet une contre-révolution sociale face à des opposants impuissants parce qu’ils conduisaient pour leur part un combat « réformiste » et « revendicatif » à reculons de maintien corporatiste des acquis passés, retraite, chômage, etc… Il y avait des militants mais encore isolés et les Gilets Jaunes en France et bien des soulèvements ailleurs qui marquaient une transformation de la lutte vers le radicalisme, parfois avec l’objectif du renversement politique du pouvoir comme en Algérie, à Hong Kong ou en France, mais encore inaboutis sur le plan du programme et de l’objectif d’une autre société. Or cet objectif d’une autre société avec la crise sanitaire, boursière et économique gagne maintenant beaucoup d’esprits bien au delà des seuls militants. Ce nouvel état d’esprit va non seulement dévoiler leur absence de soutien populaire mais qu’on ne peut pas se débarrasser d’eux par des moyens traditionnels et notamment les élections mais par la grève générale et la révolution avec l’objectif d’une autre société.

Or, cette prise de conscience, et le nouveau type de résistance révolutionnaire qu’elle entraînera, montrera un Macron dans toute sa nudité, très fragile, sans appui populaire, sans même le soutien idéologique des classes moyennes et leurs élites voire une partie de l’appareil d’État, provoquant encore plus de divisions et aggravant la crise politique au sommet.

C’est pourquoi, il me paraît important de décrire dans les lignes qui suivent ce qu’est le bonapartisme de Macron comme sa genèse pour mieux illustrer toutes ses fragilités.

LE DOUBLE CRIME DE MACRON LE PETIT

Macron a commis une première erreur fatale, vouloir accomplir une contre-révolution néolibérale en passage en force de 2017 à 2019 au moment même où depuis quelques années montait des tréfonds des classes populaires françaises et au delà, un profond mouvement pour la défense des conquêtes sociales et démocratiques contre la marchandisation des services publics, des protections sociales, des solidarités humaines, de la défense de l’environnement.

Sa deuxième erreur est d’avoir voulu utiliser avec le plus grand cynisme en 2020 l’épidémie du coronavirus alors que son crédit politique était à quasi zéro pour tenter d’accélérer la destruction des acquis sociaux et des libertés démocratiques alors qu’il ne faisait rien contre le virus et, au contraire, entravait l’action de la population dans ses tentatives d’autodéfense sanitaires et sociales, ce qu’on ne peut pas séparer. Macron étend l’idée que pour se défendre, il faut se débarrasser de Macron et du capitalisme.

Cela confirme ce qui grandissait dans les esprits de beaucoup, la déroute morale, économique, politique et sociale de ce gouvernement mais beaucoup plus encore, du système de libre concurrence de tous contre tous, de l’égoïsme, du profit au détriment des hommes et de la nature, bref du capitalisme.

Cette large prise de conscience actuelle ne sort pas tout d’un coup, là, soudain, des événements du moment. Macron et d’autres de son acabit, comme ceux qui les ont mis au pouvoir, le grand patronat, n’ont pas vraiment les coudées franches pour faire tout ce qu’ils veulent aujourd’hui malgré le confinement qui interdit les manifestations parce qu’ils constatent tous les jours la méfiance des travailleurs au travers de leurs multiples droits de retrait et d’une grande partie de la population au travers de ses mille critiques de leur gestion de la crise qui s’expriment au quotidien de très nombreuses manières. Olivier Véran a lâché le morceau en disant que le gouvernement organiserait des tests de dépistage à l’issue de l’épidémie avant de mettre fin au confinement alors qu’ils se refusent à en faire maintenant, ce qui serait pourtant infiniment plus efficace. Le but est clairement de maintenir le plus possible le confinement de la protestation tout en obligeant à aller au travail. Ils ont une peur bleue des droits de retrait actuels et de ce qu’ils annoncent dans la rue pour demain.

Or, toute cette résistance s’est construite au cours des luttes des années passées et pas qu’en France.

C’est à partir de cette histoire et ses étapes que se bâtit l’étape actuelle et que nous pouvons imaginer les tâches à accomplir pour aujourd’hui et demain. Si un parti, comme le disait Trotsky, est la compréhension commune d’une période et des tâches qui en découlent, essayons de comprendre cette période pour envisager les tâches possibles dans les moments à venir.

Essayons de comprendre les limites des luttes passées et ce que peut apporter de plus l’étape actuelle.

Pourquoi malgré sa faiblesse et sa nullité, le régime Macron ne s’est-il pas encore effondré ?

La première chose qui peut surprendre, c’est la capacité de Macron à durer. Il dure bien qu’il ait été mal élu, malgré son isolement dans le pays, son rejet par l’opinion, la haine populaire à son encontre non seulement dans le monde ouvrier mais aussi dans la petite bourgeoisie, médecins, avocats, artistes.Il dure encore malgré les scandales à répétition qui frappent son gouvernement, l’amateurisme des réformes qu’il met en route, ses gaffes perpétuelles, l’incompétence de ses députés et partisans, une bande de fonds de cuve, représentants ultimes et en grande partie dépravés de l’ancien monde qui lui sert de partisans. Il dure encore malgré aussi la fronde avérée contre lui dans certaines hautes sphères de l’État à l’encontre de son gouvernement, Sénat, chefs de l’armée, Conseil Constitutionnel, Cour des Comptes, Conseil d’État, et même en partie le Medef. Et puis surtout il dure malgré la constance et l’ampleur des mouvements sociaux depuis qu’il est au pouvoir alors que ces mêmes mouvements sont à l’origine des divisions au sommet de l’État et de la crise permanente dans lequel se trouve le pouvoir quasiment depuis le début de son mandat.

Il a pris une claque au premier tour des élections municipales, il n’est même pas sûr d’être présent au second tour des prochaines présidentielles et pourtant rien ne semble pouvoir l’arrêter.

Ses contre-réformes se succèdent à un rythme effréné voire sont même menées de front y compris durant l’épidémie du coronavirus en utilisant cyniquement la maladie et le confinement pour attaquer encore les acquis sociaux, au risque de se discréditer encore plus.

En fait Macron échappe en grande partie aux logiques des partis et du système électoral traditionnels qui prévalaient depuis des décennies. C’est sa force mais aussi sa faiblesse.

Macron le « nettoyeur »

Pour comprendre ce phénomène, il faut d’abord voir que l’objectif de Macron avec ses multiples attaques en peu de temps contre l’essentiel des conquêtes ouvrières est plus politique qu’économique.

Bien sûr, ses attaques contre le droit au chômage, à la retraite, à la protection maladie, contre le code du travail, les congés, les services publics de l’éducation, de la santé, des transports, du logement conquis depuis 1936, puis dans l’après guerre et enfin après 1968, ont et surtout auront d’ici peu des conséquences économiques et sociales dramatiques. On le mesure déjà avec l’effondrement du système de santé face au virus.

Mais son objectif est d’abord et avant tout de casser le mouvement ouvrier, ses résistances et sa morale de solidarité. Il ne peut obtenir de résultats que si le moral des travailleurs est cassé, que si la population a fait sienne ses valeurs de lutte de tous contre tous. Ce qui fait de la situation actuelle d’épidémie, on le comprend, le développement d’une conscience allant à l’envers de ses objectifs.

L’économique est indissociable du politique, et à terme, il y a une volonté économique du grand patronat et des partisans du néo-libéralisme dans l’appareil d’État d’avoir un État entièrement au service des puissances d’argent qui coûte le moins cher possible à ces dernières (des retraites, une protection sociale et chômage, des services publics, un État social ) qui ne leur coûtent pas cher pour être à même de rejoindre rapidement les autres grandes puissances capitalistes dans le maelström mondial du libéralisme le plus sauvage. Mais pour ça, il faut un salariat totalement soumis et doté du moins de règles protectrices imaginables, une population globalement reprenant à son compte ses propres valeurs de « réussite » individuelle contre celles de la solidarité.

L’essentiel, pour arriver à ce but, est d’abord de briser les résistances et les solidarités ouvrières. C’est pour cela que la méthode de Macron est la Blitzkrieg, la guerre sociale éclair qui vise à sidérer l’adversaire quitte à ce que les lois soient mal ficelées comme celle des retraites en laissant à plus tard et peut-être à d’autres, la véritable construction législative. Pour cela, il veut défaire les secteurs du mouvement ouvrier les plus organisés, à commencer par les cheminots, en espérant à partir de là démoraliser l’ensemble des travailleurs comme l’a réussi Thatcher avec les mineurs en son temps.

C’est pourquoi, on compare souvent Macron à un « nettoyeur », comme ces cadres qu’on trouve dans ces cabinets conseils en optimisation des coûts chargés de traquer les coûts et de « dégraisser » massivement. On les embauche pour un an ou deux, ils licencient, aggravent considérablement les conditions de travail des salariés, provoquent drames et suicides, puis s’en vont, une fois fait leur sale boulot.

Macron peut s’apparenter par sa fonction comme par sa mentalité à Carlos Ghosn, le « nettoyeur » de Renault. Je fais le « job » puis je pars en piquant au passage une partie de la caisse.

Désireux de casser les baronnies, les « nettoyeurs » lancent des groupes transverses, des groupes pluridisciplinaires travaillant hors hiérarchie. Ils s’entourent d’équipes à leur solde, d’aventuriers en tous genres sans scrupules à l’image pour Macron de toutes sortes de Benalla sans foi ni loi.

Les « nettoyeurs » n’appartiennent à pas l’entreprise ou à « l’establishment » et n’envisagent pas d’y faire carrière. Leur mission est à durée limitée. Ils savent qu’ils seront haïs, et pour Macron pas ré-élu, ce n’est pas grave, il aura fait le « job », faire basculer le pays dans le système et l’esprit néolibéral, la dictature de la concurrence non faussée, la lutte de tous contre tous.

Macron n’a pas vraiment de parti ni d’élus cherchant à faire carrière et dépendant de leurs clientèles électorales. Il n’en veut pas. Il ne dépend que de l’appareil d’État et de ses mandants, le grand patronat.

Il n’a pas de plan de carrière politique au sens traditionnel électoral du terme, pas plus que la plupart de ses députés. Ce sont des aventuriers qui ne sont là peut-être que pour quelques années – ils s’en fichent – afin de juste répondre à la mission que le Medef leur a confiée et que les grands partis traditionnels n’arrivaient pas à remplir suffisamment rapidement.

Il a été choisi pour ça : un inconnu sans parti fabriqué par la machine médiatique, qui pourrait « trancher dans le vif » sans problème afin de liquider les conquêtes sociales que la droite et la gauche s’emploient à grignoter depuis des décennies mais à un rythme beaucoup trop lent pour le grand patronat français subissant la concurrence exacerbée d’un monde en crise.

C’est pourquoi, Macron est – ou paraît – insensible à l’opinion.

Macron, plus qu’un « nettoyeur », un Bonaparte

Mais à la différence des entreprises, dans le monde politique, ces « nettoyeurs » dépendent quand même en partie de l’opinion car il y a encore des scrutins ; plus que des « nettoyeurs », ce sont des Bonaparte.

Un « nettoyeur » dans une entreprise peut être haï par le personnel, il s’en fiche parce qu’il tient les commandes d’un conseil d ‘administration, d’un appareil dictatorial non élu.

Macron n’a certes pas besoin non plus d’être majoritaire dans le pays pour faire son sale boulot, il le prouve chaque jour et les institutions de la Vème république centralisées autoritairement autour du Président de la République l’aident à cela.

Par contre, parce qu’il n’est pas qu’un « nettoyeur » d’une entreprise, mais celui de la « start-up Nation » qu’il voudrait faire de la France, qu’il est donc élu, il dépend quand même des « salariés-électeurs ». tant qu’il n’a pas imposé totalement un régime dictatorial personnel.

Imaginons un instant que l’action du « nettoyeur » de l’entreprise soit soumise à un vote du personnel qui le désavoue à 75% ou plus. On voit bien que même si ce vote n’est qu’indicatif, si le « nettoyeur » se fiche d’être viré ou pas, le danger n’est pas dans la réélection de Macron ou pas, mais dans le fait que ce vote pourrait facilement faire prendre conscience aux salariés de leur nombre et de leur force et les engager dans une grève pour « nettoyer » le « nettoyeur » lui-même.

Le « nettoyeur » présidentiel se fiche d’être réélu ou pas, mais parce que pour le moment il est encore tenu de se soumettre au scrutin, s’il est fortement désavoué par le suffrage électoral comme cela est apparu au premier tour des municipales en mars 2020, le côté insupportable de sa dictature, l’illégitimité de son action, son isolement seront plus flagrants et renforceront le courant d’opposition qui s’exprime déjà dans la rue. C’est pourquoi Castaner a voulu non pas fausser les résultats des municipales mais fausser l’impression politique qui pourrait s’en dégager en limitant l’expression politique de ces résultats aux communes de plus de 9 000 habitants, éliminant les petites communes où l’électorat est a priori le plus hostile à Macron.

Traditionnellement les Bonaparte, comme les « nettoyeurs » imposent leur propre personnel au sommet de l’entreprise ou de l’État. Ils imposent – leur « Société du Dix-Décembre » (6) comme se nommait l’organisation de voyous qui favorisa la mise en place du régime de Napoléon III – puis « bénallisent » peu à peu l’appareil d’État et imposent ainsi leur dictature policière de filous, parasites et voyous à toute la société, devenant ainsi souvent dans l’entre-deux guerres l’antichambre du fascisme. Macron et la majeure partie des députés de sa « Société du Dix-Décembre », la LREM, n’ont pas de plan de carrière électoral démocratique traditionnel (à part ceux qui sont issus LR et du PS, notamment les quelques maires de grandes villes) et s’en fichent d’être éjectés dans deux ans.

Par contre, ces Bonaparte d’une part par la logique de leur action qui ne repose que sur les forces de répression, qu’ils entraînent avec eux assez loin dans l’ignominie et hors des cadres moraux ou légaux traditionnels, qu’ils bénallisent, et d’autre part donc aussi parce qu’ils peuvent finir en prison en cas de retournement de situation, même secondaire, ils finissent par avoir un plan de carrière politique qui se résume dans le renforcement de leur autoritarisme répressif et du pouvoir personnel, promettant monts et merveilles à leurs partisans menacés par ailleurs.

Macron a montré plus d’une fois cette tendance, notamment lors de sa tentative de réforme constitutionnelle à l’été 2018 où il a voulu renforcer ses pouvoirs personnels. Cependant à l’époque, le MEDEF, les directions syndicales, les grands partis et la grande presse avaient fait front commun contre ce projet et lui avaient jeté l’affaire Benalla dans les jambes pour le freiner. Mais ce n’est peut-être que partie remise. Et on voit qu’il tente de se saisir de la crise actuelle pour renforcer ses pouvoirs en se servant du prétexte de l’unité nationale contre le danger viral.

Macron, un tout petit Bonaparte

Macron cependant, a déjà reculé à renforcer son pouvoir personnel. Ce n’est pas faute d’ambition mais certainement qu’il a mesuré qu’il n’était pas en situation de se lancer dans un coup d’État sans grandement risquer la révolution. Et il n’est pas dit que ses tentatives actuelles, s’il les pousse trop loin, n’aient pas cet effet à l’issue de la crise sanitaire.

Contrairement à ses prédécesseurs, Macron n’a pas commencé son mandat avec le même soutien populaire que De Gaulle qui l’a précédé dans ce rôle et lui a laissé ses institutions.

De Gaulle a eu le soutien de l’opinion en résolvant la question algérienne qui divisait le pays et l’appareil d’État en deux.

Macron n’a eu que le seul « mérite » d’empêcher l’accession de Marine Le Pen au pouvoir en captant un vote par défaut.

Quasiment dés le début, le bonapartisme de Macron s’est résumé à ce qui fait en général la phase deux du bonapartisme, une fois les illusions envolées, le seul appui des forces policières et le soutien d’une fraction des hauts-fonctionnaires de l’appareil d’État convaincus par l’ultra-libéralisme offensif. Macron n’a pas connu la phase montante du bonapartisme mais seulement sa phase descendante dont l’issue est le plus souvent catastrophique pour eux, Napoléon III en prison, Boulanger s’est suicidé et De Gaulle a démissionné.

Macron a bien les grands médias à son service mais dans un contexte général de désaffection idéologique par rapport aux valeurs libérales où ceux-ci ne peuvent donc s’appuyer sur rien en positif, sur aucun projet crédible… et peuvent aussi le lâcher du jour au lendemain.

Il n’a pas réussi non plus à substituer aux scrutins traditionnels ses propres scrutins taillés à sa guise que pourraient être les référendum sur les sujets qu’il aurait choisis à sa convenance de manière à instaurer un rapport direct au peuple par dessus les institutions, les partis et les élections. Il l’a tenté de manière détournée avec les Grands Débats mais ça a été un échec retentissant résumé au fait surtout que ce n’était pas lui qui en choisissait le thème mais la colère populaire.

Du coup, sachant que son temps était compté et la situation guère favorable, il a voulu aller trop vite -mais c’était sa mission – alors qu’en politique qui est l’art de saisir les occasions, le temps est tout.

Ses chances à jouer au Bonaparte au dessus de la mêlée, y compris avec le coronavirus, sont totalement compromises avec déjà trois ans de mandat où il est apparu clairement comme le président des riches jusque dans un mépris de classe revendiqué, les « rien », « fainéants », « traverser la rue »…. et l’homme du chaos mettant à feu et à sang le pays et non plus comme un homme jeune qui voulait moderniser la société par dessus les querelles des clans et des partis, les oppositions de la gauche et de la droite, réconciliant riches et pauvres dans le même élan national, comme il cherchait à le faire croire au début de son mandat.

Ainsi, plus il avance dans le temps, plus le caractère purement politique de ses décisions apparaît au grand jour : techniquement, sa réforme des retraites est « du grand n’importe quoi » y compris du point de vue du Medef, et sa gestion de la crise sanitaire encore plus.

C’est pourquoi, alors qu’il a la majorité absolue au Parlement et que son camp parlementaire n’est fissuré qu’à la marge, il a eu recours quand même au 49.3 pour tenter de dissimuler la totale improvisation de sa réforme des retraites qui n’est aboutie en rien et qui n’est qu’un blanc seing pour liquider la retraite par répartition : il ne s’agit pas d’une réforme des retraites mais d’une attaque frontale contre les acquis de la solidarité ouvrière. Sa loi d’urgence sanitaire n’a rien d’une loi pour la santé mais tout d’une loi pour le capital et contre les acquis sociaux et les solidarités populaires.

Sa volonté politique de casser le mouvement ouvrier transparaissait de plus en plus clairement aux yeux du plus grand nombre et politisait en retour la lutte économique. En retour de son agressivité, il unifiait toutes les résistances corporatistes économiques dans un « il faut dégager Macron » général et grandissant, commun à tous. La crise sanitaire actuelle et sa gestion financière va ajouter au « dégageons Macron », un « dégageons le capitalisme ».

Le mouvement social s’est politisé ainsi à grande vitesse ces dernières années, la grève économique se rapprochant de la grève politique, c’est-à-dire de la grève générale. Cette prise de conscience de l’opinion est d’autant plus dangereuse pour le pouvoir des classes dominantes que la question sociale centrale actuelle devient la question politique de dégager Macron y compris au travers des scrutins parce que le vote sur le « nettoyage » des « nettoyeurs » se place dans le processus en cours d’une grève générale qui se cherche dans des luttes continues depuis février 2016.

Or, l’élément manquant à la cristallisation d’une grève en masse est la prise de confiance en elles-mêmes des classes populaires les plus larges et de leur capacité à faire mieux. Cette prise de confiance ne peut se faire qu’avec du temps et au travers d’événements marquants comme ceux d’aujourd’hui, la crise sanitaire du Covid-19 et les krachs boursiers qui l’ont accompagnée et la crise économique qui suit.

Mai 1968 est déjà sorti d’une tentative bonapartiste

Nous marchons vers un mai 68 à la puissance dix

Même De Gaulle, au prestige pourtant infiniment plus grand que celui de Macron, s’est cassé les dents dans ses ambitions de nettoyeur bonapartiste et a généré la construction de 1963 à 1967 de la grève générale éclatant largement en mai 68.

Aujourd’hui, nous sommes dans un processus semblable et marchons probablement vers un mai 68 à la puissance dix (voir mon article de mai 2018 sur comment s’est formé mai 1968 dans les très nombreuses luttes des années 1963-1967 : « Sous les pavés la rage », https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/030218/mai-2018-sous-les-paves-la-rage-par-jacques-chastaing).

Pour mater le soulèvement du corps des Officiers en Algérie, sur fond de décomposition de la IV° République et de lâcheté des socialistes de Guy Mollet et des parlementaires, De Gaulle accède au pouvoir par un coup d’État le 1er juin 1958. Il se donnera avec l’article 16 des pouvoirs dictatoriaux en avril 1961, soutenu par les partis ouvriers contre la tentative de putsch de l’armée d’Algérie.

De Gaulle s’était hissé au pouvoir comme l’incarnation de l’intérêt national au-dessus des  » partis ” et des classes, mettant en place la constitution de la V° République consacrant la prééminence de l’État, du pouvoir exécutif que le président de la République incarne contre le législatif. Mais contrairement à Macron, il était l’homme providentiel, sauveur de l’unité nationale face à la division de la guerre d’Algérie qui avait scindé l’ensemble de la société et de l’appareil d’État en deux camps. Les coloniaux, toute une partie du capital financier, de l’armée, de l’appareil d’État, étaient liés à la colonisation directe et la défendaient alors que la majorité de la population était sur des positions inverses.

Pour assurer son pouvoir en communication directe avec le peuple par dessus Parlement et partis, De Gaulle multiplie les référendums. Il fait plébisciter la Constitution (28 septembre 1958), sa politique par rapport à l’Algérie (8 janvier 1961), les accords d’Evian (8 avril 1962) avec 90,7% des suffrages grâce à l’appui des partis ouvriers, l’élection du président de la République au suffrage universel le 28 octobre (62,25 % de oui). Et lors du mois de novembre 1962, une majorité de députés inconditionnels (les godillots) est élue lors des élections législatives.

Mais, une fois réglé le problème de l’Algérie, le régime bonapartiste réalise le programme qui le justifie aux yeux du grand capital : procéder à de profondes modifications structurelles de l’économie et la société française en détruisant le mouvement ouvrier organisé, syndicats et partis, en broyant la classe ouvrière, afin d’intégrer l’économie coloniale française repliée sur elle-même au marché européen et mondial.

Pour soumettre le Travail au Capital dans une soit disant «association», De Gaulle doit constituer l’ »État fort”. De Gaulle, comme Thatcher plus tard, tente de briser la classe ouvrière en écrasant la grève des mineurs de 1963.

Malgré son succès contre les mineurs, la classe ouvrière toute entière a montré une énorme solidarité et a fait échoué moralement De Gaulle. Le pouvoir fort a été défié et n’apparaît pas si fort.

Poussé par les nécessités, accepté malgré tout par le grand patronat après cet échec, faute de mieux, il poursuivra pourtant ses attaques, mais fortement affaibli… et du coup, récoltera la grève générale de mai 1968.

La liste des  » réformes ”, contre-réformes pour l’essentiel que de Gaulle entreprend entre 1963 et 1968 est impressionnante, notamment à l’occasion de pouvoirs spéciaux obtenus au lendemain des législatives de 1967.

Cette liste s’apparente par son ampleur à ce que fait aujourd’hui Macron : lois anti-grève de juillet 1963 qui vont permettre de « criminaliser » (déjà) les grèves, grévistes et syndicalistes en imposant des préavis de grève par les structures syndicales ; création de l’ANPE pour accroître la mobilité d’une main-d’œuvre soumise aux besoins du grand patronat ; ordonnances sur l’emploi et l’intéressement pour faire participer les travailleurs à leur propre surexploitation ; allègements fiscaux pour les entreprises qui se modernisent ; réorganisation de l’armée conçue dès lors comme force de défense opérationnelle du territoire (DOT) en vue du quadrillage policier du pays ; réorganisation du contrôle intérieur dans une perspective contre-subversive ; institution du service de défense ; renforcement de l’appareil policier, CRS, polices urbaines, gardes mobiles, réorganisation du ministère de l’Intérieur ; quasi-suppression de toute garantie d’indépendance pour les juges du parquet, réforme de la procédure de l’instruction, ou allongement du délai de garde à vue ; tentative de destruction de la Sécu ; réforme administrative ; élargissement du réseau des organismes du plan ; comité d’étude des coûts et des revenus ; lois sur la formation professionnelle, sur la réforme des comités d’entreprise, sur la réforme de l’enseignement (plan Fouchet, espèce de ParcourSup du moment)…

Il n’y a pratiquement aucun domaine des libertés publiques et individuelles qui n’ait gravement été entamé dans cette période. On parle alors souvent de « dictature » pour ne pas parler de « roi » et de sa cour, comme le fait chaque semaine le Canard Enchaîné.

Ainsi le Gaullisme a représenté une défaite ouvrière importante du point de vue social et démocratique avec la tactique constante et débilitante des directions syndicales de grèves tournantes, épuisantes et disloquantes comme aujourd’hui mais aussi comme aujourd’hui sans pour autant que les luttes ne cessent durant toute la période 1963-1967 et que ces luttes soient vécues comme autant d’étapes vers la nécessité du tous ensemble et de la grève générale. Toute la période de 1963 à 1968 sera la préparation de la grève générale contre le pouvoir fort de De Gaulle paraissant indéboulonnable et contre la tactique des grèves tournantes incessantes des organisations ouvrières.

L’étincelle étudiante et lycéenne de mai 68 mettra le feu à une plaine déjà très préparée, inflammable à tout moment, cherchant seulement le moment, l’occasion de la généralisation.

Le terrain est autrement préparé aujourd’hui par les multiples luttes depuis 2016 au moins.

Macron est arrivé trop tard, loin après Thatcher, Reagan, Schröder pour espérer gagner.

De la lutte sociale à la guerre sociale, des mouvements au soulèvement, du soulèvement à la révolution.

En même temps que la Grande Bretagne et les USA des Thatcher et Reagan des années 1980 puis l’Allemagne des années 2000 de Schröder, les tentatives n’ont pas manqué pour faire prendre à la France un virage néolibéral équivalent.

Mitterrand, a ouvert le bal en 1983 avec le tournant de la rigueur, Chirac, Sarkozy et Hollande ont suivi en tentant d’accélérer la mise en place de plans d’austérité, de privatisations successives, de restrictions de droits sociaux et de diminution de la protection sociale et des droits ouvriers, tout en maintenant un taux élevé de chômage, en développant précarité et pauvreté et en cultivant le poison du racisme incarné par les Le Pen, afin de diviser le monde ouvrier.

Mais en France, à chaque tentative, les résistances sociales furent fortes et bien que presque toujours défaites, notamment lors des luttes contre les réformes des retraites, elles exprimèrent la résistance des travailleurs et de la population française contre la voie néolibérale, se faisant craindre et par là ralentissant la destruction des conquêtes sociales.

De plus, toutes ces luttes des années 1980 aux années 2010 ont peu à peu contribué à l’effondrement de l’idéologie du grand patronat héritée de la période précédente et qui dominait largement dans ces décennies, ce qui avait facilité à l’époque les passages en force de Thatcher, Reagan ou Schröder.

Ainsi trois des éléments idéologiques essentiels sur lesquels le grand patronat a fondé sa domination des années 1980 à maintenant, contre l’émancipation que les travailleurs avaient gagnée après 1968 et auparavant, ont perdu progressivement leur efficacité d’abord en partie voire quasi totalement.

Il s’agit de la peur de la crise, de la supériorité du privé sur le public et de l’efficacité du dialogue social.

Après 1968, le grand patronat à l’échelle mondiale a échafaudé tout un endoctrinement de la pensée autour de la « crise » dont ses journalistes, ses penseurs, ses économistes et ses hommes politiques de gauche et de droite, ont submergé les esprits et par là généré une peur qui faisait tout accepter. La crise était une fatalité, il fallait s’y plier. La crise fermait les entreprises, la crise licenciait, la crise bloquait les salaires, la crise obligeait à l’austérité, etc, etc…

Grâce à cette peur, le grand patronat a pu déplier en long et en large la solution du secteur « privé » censée être bien plus efficace que tout ce qui est « public » par son prétendu esprit d’innovation, son soit-disant goût du travail, son fumeux « esprit d’entreprise ». Pour associer et enchaîner les salariés à cet esprit, il a donné une place centrale au « dialogue social » et aux directions syndicales pour faire croire qu’il était possible d’ »améliorer la situation » par ce biais tout en faisant disparaître les statistiques des conflits du travail pour les remplacer par le chiffrage des accords patrons-ouvriers pour faire croire à la participation ouvrière à cette comédie. Et les directions syndicales laissaient dire tout en justifiant leur pratique du « dialogue social » par cette soit-disant disparition des luttes… qu’elles ne recensaient plus elles-mêmes.

Or, le temps passant et les attaques s’aggravant, tout le monde constatait d’expérience que le néo-libéralisme n’apportait pas un mieux mais à l’inverse une destruction continue de tous les acquis sociaux tandis que les dirigeants d’entreprises, les banquiers, les riches s’enrichissaient comme jamais. Les bénéfices et les dividendes explosaient en même temps que le patronat licenciait en masse au nom de la « crise », tandis que les PDG s’offraient des salaires mirobolants et que les riches échappaient à l’impôt par une extension considérable de la fraude fiscale. L’État finançait à milliards le grand patronat tandis qu’il pressurait la population et détruisait les services publics.

La crise n’était visiblement pas pour tout le monde. Ce n’était pas « la crise » qui licenciait comme une fatalité mais bien des capitalistes en chair et en os qui s’empiffraient visiblement en tondant la laine sur le dos des plus pauvres.

La crise est apparue dès lors comme un masque servant à faire passer une exploitation accrue du grand nombre au profit d’une minorité. La crise des subprimes de 2008 accéléra cette prise de conscience avec ses conséquences désastreuses en Grèce et ce fut déjà un premier tournant, une première prise de conscience.

De la même manière, la prétendue supériorité du privé sur le public qui a gangrené les esprits depuis les années 1980 est apparue de plus en plus comme le masque de l’égoïsme patronal.

La défense grandissante par les salariés et les usagers des hôpitaux de proximité, des maternités, des services d’urgence, des écoles, des gares, de l’université, de tous les services publics au fur et à mesure qu’ils sont sabordés par le pouvoir a eu raison de ce mythe de la supériorité du privé.

A la gloire de la réussite personnelle de l’entrepreneur privé se substitue alors peu à peu dans les consciences, l’éloge des solidarités qui se maintiennent encore même de manière déformée au travers des services publics et surtout par l’esprit de service public, un pas vers une autre société.. De sauveurs de la société en crise dans les années 1980, les grands entrepreneurs privés ont glissé insensiblement jusqu’à aujourd’hui au statut de gangsters parasitant et volant l’humanité honnête qui travaille.

Dans la foulée de cette prise de conscience de l’inefficacité du privé et du vol qu’il représente – « le privé c’est le vol« , pour paraphraser une formule célèbre- , le prétendu « dialogue social » entre patronat, gouvernement et syndicats devenu totalement inefficace face aux reculs incessants fait long feu. Du coup, les directions syndicales perdent encore un peu plus de leur ascendant gagné par leurs militants de base dans les conflits locaux et paraissent à certains guère utiles pour les problèmes généraux que pose la période.

De plus, alors que les statistiques truquées constataient une soit-disant absence de luttes (une étude du CNRS révélait qu’environ 80% des conflits échappait aux statistiques du ministère du travail ) et donc une prétendue acceptation de la situation par les exploités, jamais autant de conflits n’ont éclaté durant ces années (7). Cependant, ils sont restés invisibles à une échelle générale mais fortement vécus à une échelle locale et personnelle notamment dans les nombreuses luttes contre des fermetures d’entreprises ou de services, façonnant ainsi un décalage de perception entre ceux qui vivaient ces luttes ou tentaient tant bien que mal de les recenser et bien des militants, des commentateurs ou des analystes qui ne les voyaient plus dans la presse ou les comptes-rendus syndicaux. Ainsi, en même temps que la conflictualité augmentait, l’argument des directions syndicales engagées dans le « dialogue social » sous le prétexte que les gens ne se battaient pas et qu’on ne pouvait donc rien faire, gagnait en autorité sur les militants. Dans ce sillage inconscient de légitimation de la politique de « dialogue social » des directions syndicales, beaucoup en venaient à idéaliser un « avant » mythique où les organisations étaient plus fortes et donc où les luttes auraient été plus nombreuses.

Au fur et à mesure qu’en bas, la peur de la crise était remplacée par la haine des profiteurs et du « privé », peu à peu, un esprit de guerre de classe s’imposait à la base tandis que le dialogue des classes continuait au sommet et était légitimé ou subi dans les organisations ouvrières.

Les conflits se multipliaient dans les services publics qui étaient particulièrement attaqués par les gouvernements de Sarkozy et Hollande. La défense du service public conçue comme solidaire et responsable devenait le drapeau d’une autre société plus bienveillante notamment avec les plus faibles, seniors, malades, SDF, handicapés, jeunes… L’image du fonctionnaire fainéant et inefficace cédait ainsi peu à peu la place à celle de l’infirmière dévouée, du pompier courageux, de l’agent de nettoyage utile… L’idéologie de la réussite personnelle prenait de même un coup dans l’aile en proportion de la montée du sentiment que les générations futures vivront moins bien que les générations passées, appuyé par celui du sentiment grandissant du risque de destruction de notre planète par la pollution et l’irresponsabilité capitalistes.

Dans le même moment, un quatrième dogme du système idéologique patronal et de la démocratie représentative bourgeoise s’écroulait, celui qui séparait le politique du social, qui vouait le premier aux élections et le second aux grèves, donnant le vote comme débouché politique aux mouvements sociaux. Les politiques de Sarkozy, Hollande et Macron permettaient de constater que la gauche et la droite mènent, de fait, la même politique au service des riches. Le mouvement social lui-même devenait alors peu à peu son propre débouché politique en même temps qu’il tendait à chercher sa généralisation.

Ainsi les élections paraissaient de moins en moins comme l’issue aux luttes sociales. L’abstention grandissait au prorata de ce sentiment. C’est la lutte sociale généralisée, la grève générale qui devient peu à peu la solution tandis que les élections tendent elles pour leur part à s’inscrire dans cette logique et ne devenir qu’un moment de ce processus de montée vers la grève générale.

L’abstention devenait de loin le premier parti dans les quartiers populaires, loin devant tous les autres, y compris celui de Le Pen.

Or insensiblement, l’abstention qui était la traduction d’un découragement social certain, s’est complétée dans un premier moment sur les marges, dans une certaine jeunesse, chez bien des écologistes, dans le courant municipaliste, dans les ZAD, en gros par l’idée « d’abstention » de ce système, de cette société, de ses modes de consommation, de ses modes de démocratie, en cherchant en positif une autre société associée à une autre démocratie plus directe comme on a pu le voir à « Nuit Debout » et avant que le RIC qui surgira avec les Gilets Jaunes proposait une tentative de démocratie plus directe pour tous, donnant une idée du travail souterrain qui s’était fait.

Aux dernières élections européennes du printemps 2019, l’abstention baissait en même temps que le scrutin n’était pas tant utilisé pour lui-même, avoir des députés européens, mais pour sanctionner ou défendre Macron dans le cadre général du mouvement social qui se développait contre ses mesures. L’inversion du politique et du social était faite en même temps que la conscience populaire ressentait qu’on était en train de passer de simples mouvements sociaux traditionnels pour défendre un emploi, un salaire, des conditions de travail à une véritable guerre sociale pour défendre un autre modèle de démocratie et un autre modèle de société.

Tout le mouvement de luttes sociales qui n’a pas cessé depuis 4 ans, de février 2016 contre la loi El Khomry jusqu’à la réforme des retraites, allait peu à peu rendre de plus en plus publiquement et largement ce qui travaillait souterrainement les classe populaires depuis les années 2010. Les Gilets Jaunes ont cristallisé spectaculairement dans leur soulèvement ce constat de faillite de l’idéologie bourgeoise jusqu’y compris dans leurs méthodes de luttes irrespectueuses des règles traditionnelles et dans leur obstination à une démocratie horizontale voulant renverser Macron tandis que les courants de lutte plus traditionnels s’attachaient à la défense des services publics, du bien public et des solidarités qu’ils incarnent. .

Décalage croissant entre les élites et les classes populaires

La renaissance d’une conscience de classe jusqu’au bout

Or, c’est dans le déroulement même de ce processus de remise en cause de l’idéologie patronale et de la démocratie bourgeoise, certes lent mais profond, que Macron a fait son discours sur la France start-up, sur l’autoentrepreneur qui peut devenir milliardaire, sur le renvoi à chaque individu de la responsabilité de son sort, hors de tout encadrement social, sur l’État fort entièrement au service du capital afin que les droits démocratiques et sociaux populaires ne touchent pas au fonctionnement du marché.

Le discours de Macron n’était pourtant pas complètement hors sol.

En effet, si les classes populaires s’éloignaient du modèle libéral, les « élites » bourgeoises de l’économie et au sommet de l’État se radicalisaient en sens inverse. L’accélération de la mondialisation économique capitaliste à partir des années 2000 fait que 2007-2008 connaît en France une véritable crise d’euphorie libérale dans « l’élite » lors des premiers jours du succès de Sarkozy en 2007 jusqu’à la publication du rapport de la commission Attali en 2008.

Dés son élection en 2007, comme Macron plus tard, Sarkozy cherche à vouloir tout réformer, tout changer et dépasser le clivage droite-gauche, s’ouvrant à des ministres de gauche, en apprenti Bonaparte. Puis le rapport de la commission Attali de 2008 « pour la libération de la croissance française » afin de « rechercher les moyens d’améliorer la compétitivité et la productivité de l’économie française, pour assurer une meilleure insertion de la France dans l’économie mondiale », marque un tournant. La commission est composée de 42 personnalités dont l’essentiel sont des PDG, des banquiers et des économistes ultralibéraux, bref un comité de penseurs du libéralisme économique le plus débridé. Les « élites » du capital de plus en plus réactionnaires, impatientes de prendre leur revanche sur le travail comme cela s’était déjà fait dans de nombreux pays du monde, disent clairement et publiquement dans ce rapport commandé par Sarkozy, leur volonté de passer en force et de mettre fin au processus trop lent des politiques d’atermoiement qui prévalent en France depuis Mitterrand et ses successeurs. Quelque chose se cristallise là, une confiance, une volonté, des liens. Le co-auteur du texte de cette commission est un jeune inspecteur des finances inconnu de 31 ans, Emmanuel Macron. Tout le programme actuel de Macron comme son manque de scrupules sont dans le texte de la commission Attali.

Au final, Sarkozy n’a pas voulu mettre en œuvre ce qu’édictait la commission Attali du fait de la crise des subprimes, tout occupé à sauver les banques au détriment de la population, son niveau de vie, son emploi, ses services publics et ses protections sociales. Mais une fois la situation stabilisée, Hollande pouvait relancer la machine de la commission Attali et prenait alors Macron en toute connaissance de cause en mai 2012 comme secrétaire général adjoint de l’Élysée, c’est-à-dire en inspirateur de sa politique, de la loi El Khomry, du pacte de responsabilité avec le CICE et bien sûr de la « loi Macron » autorisant le travail le dimanche dans les commerces, déjà passée au forceps du 49.3.

Du fait de cette politique ultra-libérale, le Parti Socialiste perd alors 162 villes de plus de 9 000 habitants aux élections municipales de 2014 puis 24 départements et 10 régions aux élection de 2015. Si on rajoute les élections partielles ou sénatoriales, plus de 1000 notables du PS ont perdu leur place depuis 2012. C’est une hécatombe. Or 50% des adhérents du PS sont des conseillers municipaux, des maires, des conseillers départementaux, des conseillers régionaux, des parlementaires ou des « collaborateurs d’élus auxquels il faut ajouter de nombreux salariés de structures para-municipales, sociétés d’économie mixte, offices de tourisme, centres culturels, etc., qui dépendent des scrutins électoraux.

La fronde ne se fait pas attendre.

L’aile gauche du PS demande la démission de Macron devenu ministre de l’économie en 2014. La conclusion s’impose aux ultra-libéraux : les vieux partis et leurs clientèles électorales sont des obstacles à la Blitz Krieg anti-sociale ; la conclusion s’impose, il faut passer par dessus les partis et dépasser le vieux clivage droite-gauche. Macron quitte le PS en 2015 puis le gouvernement en 2016 pour créer son propre mouvement « En marche » et se préparer aux présidentielles de 2017.

Fillon, alors favori aux présidentielles est très opportunément démoli à quelques semaines du scrutin par une mise en examen pour « détournement de fonds publics », « recel et complicité d’abus de biens sociaux », « manquement aux obligations déclaratives à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique » et « trafic d’influence ».

Cette mise en examen opportune permet l’envol de Macron et évite au clan des ultra-libéraux de passer à nouveau avec Les Républicains par les mêmes lenteurs qu’avec le PS précédemment.

Baignant dans cette ambiance, bénéficiant d’une ascension fulgurante, Macron a peut-être cru lui-même à ce que disait Sarkozy en 2008, « désormais quand il y a une grève, personne ne s’en aperçoit », estimant que la France avait beaucoup changé et que les grèves qui selon les statistiques officielles étaient en voie de disparition, n’avaient plus aucun impact sur la vie du pays

Macron, fort du soutien du Medef et ses médias, emporte les élections contre Marine Le Pen en guerre éclair contre les partis traditionnels et en rempart contre le FN.

Mais c’est une toute autre paire de manches de faire accepter aux Français une marchandisation et une individualisation croissantes de la vie sociale, ainsi que l’abandon progressif des systèmes de solidarité et de protection mis en place depuis 1945 alors que tout le corps social amorce justement à ce moment et surtout depuis 2008 avec la crise des subprimes son rejet de cette libéralisation.

Le clash est là ; la tentative de passage en force va ainsi révéler clairement, publiquement et dans les actes l’existence de ce courant souterrain de conscience, combien les travailleurs et le peuple français rejettent ce projet de société libérale et combien ils sont attachés aux solidarités des services publics, des protections sociales et de défense de la nature. Macron qui voulait donner un coup d’accélérateur à la contre-révolution libérale n’a fait qu’accélérer la prise de conscience de la classe ouvrière, la faire renouer avec la lutte de classe jusqu’au bout, retrouver les traditions subversives du peuple français et peu à peu construire la confiance en elle-même.

Sur ce terreau, la crise du Covid-19 et des krachs boursiers ne peut qu’avoir un effet d’accélérateur extraordinaire.

Tout l’enjeu des luttes en cours se trouve là, dans cette prise de conscience de la classe ouvrière d’elle même et de ses possibilités historiques.

Tous les conflits du printemps 2016 contre la loi El Khomry jusqu’à la lutte contre la réforme des retraites actuelle en passant par celle contre les ordonnances Macron ou le soulèvement des Gilets Jaunes ne sont que des étapes de cette prise de conscience, des étapes d’un seul et même mouvement et c’est ainsi qu’il faut les appréhender pour véritablement les comprendre. On ne peut pas les saisir hors de cette dynamique. Il ne peut pas y avoir de grève générale sans conscience anticapitaliste, or c’est cette conscience qui grandit à l’occasion de cette crise du coronavirus.

LE MOMENT DES RÉVOLUTIONS

La principale différence qu’on peut faire pour le moment avec 2008, c’est l’arrêt très important de l’activité pas seulement du fait des ruptures commerciales et industrielles mais par le confinement général face au virus du aux politiques des États mais aussi et surtout par le refus immédiat des travailleurs de prendre des risques en refusant d’aller au travail, en prenant en main, de fait, au moins en partie, la lutte contre la pandémie.

C’est une différence considérable

J’ai déjà décrit l’histoire française qui mène à ces résistances mais la crise actuelle s’inscrit dans un contexte que nous n’avons jamais connu à l’échelle du monde.

Cela fait maintenant un an qu’une vague de révolte mondiale a éclaté.

Des dirigeants ont été renversés et des gouvernements secoués par des mouvements révolutionnaires à travers le monde. L’étincelle a bondi de France à Hong Kong au Liban, en Irak, au Chili, en Colombie, en Bolivie, en Équateur, au Pérou, en Algérie, en Iran et bien ailleurs encore. Comme le virus, la révolte et la solidarité ont eu également une contagion mondiale extrêmement rapide ces derniers temps.

Ce qui fait qu’aujourd’hui, demain et pour les jours à venir, chaque membre de la classe ouvrière mondiale, des classes populaires du monde est confronté à des questions communes, à des peurs communes et à un potentiel d’éveil commun.

Les soulèvements arabes et des « indignés » dans le monde avaient eu lieu après la crise de 2008/2009, aujourd’hui ils ont déjà eu lieu avant. On imagine facilement l’ampleur du « printemps des peuples » qui s’annonce après.

Dans beaucoup de pays confrontés à la pandémie, de la France à l’Italie, l’Espagne, les USA ou même l’Iran de très nombreux travailleurs, enseignants, soignants, cheminots, postiers, salariés divers ou simples citadins refusent de se soumettre, refusent de travailler, appellent à la grève, quand ce n’est pas dans une entreprise indispensable à la lutte contre le virus ou la vie en société, dénoncent l’incompétence criminelle des dirigeants, multiplient les initiatives ou les gestes de solidarité ou simplement encore chantent ou applaudissent aux héros du quotidien face au virus, le soir depuis leurs appartements confinés…

Ils posent la question de la maladie en termes politiques mais également partout aussi en termes de classe : qui peut travailler à la maison et qui ne peut pas, qui peut se permettre de s’isoler ou de se mettre en quarantaine avec ou sans salaire, qui doit prendre des risques en allant au travail et qui n’en prend pas.

En France, on voit apparaître encore plus clairement ce caractère de classe au fur et à mesure que les travailleurs prennent sérieusement en main eux-mêmes la question du confinement et de la protection contre la maladie en refusant de travailler dans des secteurs non indispensables tandis que le grand patronat s’inquiète de cette espèce de grève et voudrait forcer les salariés à reprendre rapidement le travail tandis que les ministres soutenus par quasi tout l’éventail syndical et politique se multiplient dans les médias pour dire qu’il faut aller travailler partout en menaçant de sanctions ou en promettant de l’argent… au risque d’accélérer la contagion.

Une telle expérience politique mondiale partagée et simultanée est sans précédent dans l’histoire du capitalisme moderne.

Le mouvement est en train de s’amplifier conduisant à des turbulences sociales et politiques mondiales d’envergure, des contre-révolutions certes, mais aussi des révoltes sociales, des grèves générales et des révolutions, les unes s’emmêlant aux autres.

On imagine alors mal un retour en arrière comme « avant ».

Comme déjà dans les temps passés, la question qui se posera à tous, sera « socialisme ou barbarie » à la différence que l’idéal socialiste qui a mobilisé pendant presqu’un siècle est discrédité.

Cependant, la conscience des exploités et opprimés qui a déjà fait des pas importants depuis 2008 et en France tout particulièrement depuis 2016 et les luttes continues de 2016 à 2020 – très en avant globalement par rapport à ce qu’elle fut avant 1917 malgré l’importance de véritables partis socialistes à ce moment (8) – va faire probablement encore des bonds considérables. De là, surgira certainement un nouveau programme, un nouveau vocabulaire pour un idéal semblable, vivre ensemble dans un monde débarrassé de toute exploitation et oppression.

Nous devons plus que jamais nous battre pour des soins de santé universels, des garderies universelles, des congés de maladie entièrement payés… On le savait déjà depuis 2008 et surtout des années qui ont suivies, tout particulièrement dans les luttes de 2016 à 2020 contre l’austérité et les multiples luttes pour la défense de maternités, des hôpitaux de proximité, des urgences…. La question qui se pose aujourd’hui largement c’est qu’il faut aller plus loin, renverser le système capitaliste et ses serviteurs. Cette question se posait déjà mais pas suffisamment largement ; c’est l’extension du domaine de la lutte à de plus larges couches de la population qui est en cours aujourd’hui.

La question de la démocratie réelle s’étend dés lors de la politique aux entreprises par les droits de retrait massif, contestant le lien de subordination qui fait que dès qu’un salarié franchit les portes de l’entreprise, il n’a alors plus son mot à dire et doit obéir à une direction qu’il n’a jamais choisie. Il en est de même pour la démocratie des usagers et consommateurs qui n’ont aucun droit de regard sur la façon dont sont produits les biens et services qu’ils achètent, les choix qui sont faits en matière d’utilité sociale des produits. Ce qui était latent jusqu’à présent a pris une dimension de masse avec la crise sanitaire : l’affirmation par le monde entier de cette préférence pour la vie par rapport à l’économie capitaliste.

Après le « traumatisme » des deux guerres mondiales et de la crise des années 1930, et sous l’énorme pression des classes populaires en révolte et d’un puissant mouvement socialiste, syndical, social, qui préparait les esprits pour un autre monde, un nouveau système social s’est mis en place, avec la sécurité sociale, l’impôt progressif, un droit du travail, des droits syndicaux, des protections sociales, des services publicsA partir des années 1980 tout cela a été mis en cause, grignoté, démoli, en même temps que l’idéal socialiste perdait son aura sous l’effet de sa perversion par le stalinisme, la social-démocratie et l’effondrement de l’URSS.

Pour changer le système économique tel que cela se pose depuis quelques années dans les mouvements sociaux et sociétaux, il faut être en situation de décrire quel autre système économique, quelle autre démocratie, quelle autre organisation de la propriété, du pouvoir dans les entreprises, quels autres critères de décision, il faut mettre en place, sur quelles autres valeurs morales et intellectuelles il faut s’appuyer, bref un mouvement du même type que celui qui était en préparation depuis le XIXème siècle avec l’idéal socialiste. Mais dans des conditions de circulation autrement plus rapides.

Or, c’est une telle mobilisation intellectuelle pour le changement qui est à l’œuvre aujourd’hui, pour nous permettre de déboucher sur une nouvelle société.

Aux formidables acquis de conscience nés des luttes des 4 dernières années pour le moins, s’ajoute aujourd’hui ce qui manquait à la construction de la grève générale, une large remise en cause non seulement de Macron et autres dirigeants mais aussi et surtout du capitalisme, en même temps d’une certaine manière que se profile la prise en main autonome de secteurs professionnels.

DES MOUVEMENT SOCIAUX AU SOULÈVEMENT, DES GRÈVES A LA GRÈVE, DE LA GRÈVE A LA GRÈVE GENERALE POLITIQUE

Se dire qu’il y a eu un mouvement social contre la loi El Khomry, puis un autre contre les ordonnances Macron, puis encore un mouvement « Colère » contre les taxes et la hausse de l’essence, puis un autre des cheminots contre la réforme de la SNCF, un autre encore des étudiants contre Parcoursup, un autre toujours des électriciens contre la privatisation de l’énergie, un mouvement quasi permanent des personnels de santé contre la destruction de la santé publique, puis le soulèvement des Gilets Jaunes pour faire tomber Macron et qu’ils ont tous perdu, puis un mouvement contre la réforme des retraites qui n’est pas fini mais qui n’est pas sûr de gagner après l’interruption des grèves à la SNCF et la RATP, puis encore des grèves et droits de retraits massifs contre le coronavirus puis peut-être un vaste mouvement après la crise sanitaire… est totalement absurde.

Cette simple énumération de ces conflits comme celle qu’on pourrait faire sur les 4 dernières années montre que, par delà les moments et la diversité des revendications, il y a un seul mouvement général – y compris à l’échelle internationale – qui cherche une unification et un projet.

Pourtant les dirigeants syndicaux et bien des militants ou commentateurs ont envisagé ou envisagent encore – de moins en moins heureusement et surtout avec la crise actuelle- ces conflits comme séparés.

Il n’y a eu jusque là aucun plan de bataille général avancé pour construire le « Tous Ensemble » contre la contre-révolution néolibérale qui nous tombe dessus. Encore le 31 mars 2020, la fédération des cheminots CGT envisageait une riposte qui pourrait durer contre l’attaque sur les retraites, mais une nouvelle fois, seule, sans plan concerté avec qui que ce soit, sinon dans cette seule journée d’action sans suite.

Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des conflits qui ont eu lieu en France depuis 2016, je les ai suffisamment décrits et analysés dans de nombreux articles (références),je voudrais seulement souligner leur signification d’ensemble.

Tous les conflits du printemps 2016 contre la loi El Khomry jusqu’à la lutte contre la réforme des retraites actuelle en passant par celle contre les ordonnances Macron ou le soulèvement des Gilets Jaunes et enfin les droits de retrait pour se protéger du virus comme les concerts le soir de soutien aux soignants ou pour demander plus d’argents pour les hôpitaux publics, ne sont que des étapes d’un seul et même mouvement, des étapes de cette prise de conscience de construire la grève générale, et c’est ainsi qu’il faut les appréhender pour véritablement les comprendre. On ne peut pas les comprendre hors de cette dynamique en particulier en n’y voyant que des échecs successifs.

Ainsi les mouvements successifs, dont en particulier celui des Gilets Jaunes, n’ont pas « gagné » au sens revendicatif du terme, ils n’ont aujourd’hui pas obtenu l’abandon des différents projets gouvernementaux, mais ce n’est pas ça qui est en jeu dans ce processus de construction d’une grève générale. Ils ont par contre réussi à affaiblir considérablement le pouvoir.

Le pouvoir continue à ne pas avoir le soutien de l’opinion, il continue à perdre sur le plan idéologique : il reste minoritaire sur le projet des retraites toujours rejeté par 60% des français et autour de 75% des salariés, il le sera encore plus sur sa gestion de la crise sanitaire et économique. Le choix de société qu’il veut imposer passe de moins en moins et pour des couches de plus en plus larges. Ces luttes ont aussi réussi à rendre épidermique le rejet des violences policières, de la justice de classe, des serviteurs politiques ou médiatiques du pouvoir et plus globalement le rejet des classes possédantes et leur système capitaliste.

Ainsi l’arrêt de la grève de 3 mois sans victoire des cheminots contre la destruction de la SNCF au printemps 2018 s’est continué par une nouvelle grève sans victoire des cheminots contre la réforme des retraites à l’hiver 2019/2020 et avant le coronavirus il était envisagé un nouveau combat des cheminots à partir du 31 mars 2020. Tout cela n’a rien d’un écrasement des mineurs à la Thatcher mais tout d’un processus, des étapes d’une marche vers la construction du rapport de force nécessaire pour faire reculer Macron, c’est-à-dire dans les circonstances actuelles, ce qui est synonyme de le faire tomber, lui et son système.

Il n’a pas été possible de mobiliser la majorité de la population opposée aux diverses contre-réformes du pouvoir. Pourtant, à la simple addition des conflits du printemps 2018 sans véritable coordination, au combat isolé des Gilets Jaunes de l’hiver 2018 et l’année 2019, a succédé un mouvement déjà plus général à partir de la grève des cheminots et de la RATP du 5 décembre 2019, dans des journées d’action successives massivement suivies avec notamment des Gilets Jaunes mais aussi dans la grève coordonnée ou concomitante d’enseignants, d’électriciens et gaziers, de raffineurs, de dockers, d’agents portuaires, de pompiers et d’autres, appuyée par des écologistes ou là encore des Gilets Jaunes pour des retraites solidaires, pour des services publics de qualité et pas chers.

De plus, des dizaines de milliers de militants les plus engagés, grévistes, syndicalistes, Gilets Jaunes, écologistes se sont retrouvés dans des groupes interprofessionnels plus ou moins structurés pour multiplier les actions. Tout cela est un progrès, une réussite si l’on raisonne au niveau politique et pas seulement revendicatif ou économique.

Bien sûr, il n’y a pas eu de grève générale.

Et ce n’est pas l’absence de volonté en ce sens de l’intersyndicale qui a empêché la grève générale. Même si l’intersyndicale avait appelé à la grève générale, elle ne se se serait probablement pas produite. Cela ne l’absout, par contre absolument pas, de préparer, de construire pas à pas cette grève générale ne serait-ce qu’en commençant pas dire que c’est là son objectif, ce qu’elle n’a jamais fait.

En fait, pour arriver à ce niveau général d’affrontement, pour entraîner des millions et des millions de travailleurs dans la grève et des millions et des millions d’exploités et d’opprimés dans une lutte déterminée, il faut d’autres maturations, d’autres conditions, d’autres préparations. Il ne suffit pas de la volonté et la détermination des secteurs les plus mobilisés. On n’appelle pas à la grève générale, elle se fait, elle traduit le niveau du combat de classe à un moment donné.

Or, un tel niveau est d’abord politique.

Pour qu’il y ait grève générale, il faut que les exploités soient déterminés au point de vouloir renverser le pouvoir et d’avancer un autre projet de société. Parce que ce sont ces enjeux que porte la grève générale. La grève générale qui se dessine depuis 4 ans n’est pas la grève mythique économique où tout s’arrête – ce qui dans la réalité des gréves générales ne s’est jamais réalisé –.Il faut un lien entre les exploités qui font grève et les luttes par ailleurs des opprimés, migrants, précaires, chômeurs, handicapés, femmes, jeunes… comme des combats sociétaux, écologistes, féministes, antifascistes articulant grèves, manifestations, blocages, débats, indignations, occupations de places, d’usines ou d’autres lieux, symboliques ou non, par de multiples collectifs divers, des ZAD aux collectifs inter-hôpitaux, des gréves économiques de secteurs entiers, actions spectaculaires de coupures de courant aux symboles du pouvoir, jets symboliques de vêtements de travail, spectacles publics et gratuits de danseurs, acteurs et musiciens, harcèlement des députés de LREM voire de Macron lui-même, « grévilla » permanente de certains secteurs, émeutes localisées, marches sur l’Assemblée nationale ou l’Élysée, retrouvailles le soir sur les balcons en temps de confinement, etc... pour que tous se sentent ensemble une force commune autour d’un enjeu commun.

Vouloir bloquer l’économie comme cela était souvent avancé depuis les Gilets Jaunes est d’abord une volonté politique d’aller jusqu’à cet affrontement contre le pouvoir mais il faut plus, ce qu’ouvre la période actuelle, il faut avoir l’objectif de prendre en main l’économie, la société pour un monde meilleur.

Or la crise du coronavirus a ouvert cette perspective. La conscience n’a probablement jamais été aussi grande de la contradiction entre les moyens techniques, humains, les savoirs, l’engagement total de millions de travailleuses et travailleurs, de scientifiques, de techniciens… et l’appropriation des richesses par une poignée de financiers, de multinationales qui soumettent l’ensemble du monde à leur soif insatiable de plus-value, à une concurrence généralisée, à la destruction des hommes et de la planète. Il faut mettre l’ensemble des richesses au service de la collectivité, sous son contrôle.

Seuls les gilets jaunes jusqu’à présent puis peu à peu une frange des militants les plus avancés liaient leurs revendications économiques au départ de Macron. Avec le 49.3 Macron a élargi encore cette frange à une large partie de la population qui se voit confirmer que le jeu traditionnel démocratique est faussé. Enfin la crise du coronavirus a élargi cette question à la société que nous voulons ou au moins celle que nous ne voulons plus. Or la prise de confiance en elles-mêmes des classes populaires est une autre forme de l’affirmation montante de ces deux caractéristiques : renverser le pouvoir et changer la société.

Et l’auto-organisation ne surgit que lorsque cette confiance et ces deux perspectives sont là, qu’on veut construire un autre monde.

LA RÉVOLUTION A VENIR POURRAIT ÊTRE AUSSI CONTAGIEUSE QUE LE CORONAVIRUS.

L’AUTO-ORGANISATION, ENFIN, COMME PRÉMISSE D’UNE AUTRE SOCIÉTÉ

Les luttes des dernières années, aussi importantes qu’elles aient été, étaient toutes marquées par le faible niveau d’auto-organisation.

Les choses pourraient bien changer dans la période à venir.

Hier avec des écologistes, des zad, des réseaux de production et distribution alimentaire parallèles se profilait une certaine idée d’autonomie.

Aujourd’hui, l’entraide, la solidarité s’étendent aux questions sanitaires, scolaires… l’habitude se prend de penser la société en se passant des pouvoirs établis imprévoyants, incompétents, dépassés, incapables et nuisibles.

La lutte contre l’épidémie est menée par les personnels soignants, par la population, les associations, les sections syndicales, les salariés, l’ensemble du monde du travail usant de leur droit de retrait contre le pouvoir qui sabote, lui, la lutte contre l’épidémie mais mène une véritable lutte contre les acquis sociaux et les libertés démocratiques. Il n’y a toujours ni masques, ni gants, ni gel, ni tests alors que l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) exhorte à développer les tests, choix refusé par les autorités françaises depuis le début, mais les horaires de travail, les congés, les repos sont mis en cause!

Ce sont de simples salariés, des gens ordinaires, soignants, enseignants, postiers, cheminots, ouvriers, aides à domicile…qui de leur propre chef, contre leurs patrons et contre l’État, spontanément, ont pris en main de fait la réalité et la responsabilité de la sécurité, de la santé, de l’éducation de la société.

Depuis là se pose contre les pressions du pouvoir et du patronat, d’abord la question du maintien de la fermeture des entreprises non indispensables comme des établissements scolaires, et demain pourquoi pas de leur réouverture, pour des productions utiles sous le contrôle des ouvriers et syndicats, des écoles sous le contrôle des enseignants, des centres de soins sous le contrôle des soignants, bref une réorientation totale de la société sous son contrôle et pour le bien-être de tous et pas pour faire du profit. A l’union nationale d’en haut, s’oppose l’entraide nationale d’en bas. Ici se trouvent les germes d’un tout nouvel avenir.

Bien sûr, ce ne sont que des germes, mais des germes qui vont plus habiter les esprits dans les luttes à venir. Ce qui manquait jusque là et qui est une des causes de la faible auto-organisation des luttes comme de la difficulté à construire une grève générale.

Ainsi, la dynamique générale de la situation entamée assez clairement en France depuis 2016 voire 2008 ou 2011 à l’échelle mondiale et ses principales caractéristiques sociales, politiques, idéologiques déterminantes s’est trouvée confirmée et même considérablement approfondie.

La pandémie et les krachs accélèrent le processus de grève générale en cours depuis déjà des années.

Bien sûr, la peur du Covid-19 et le confinement suspendent partiellement et momentanément les mobilisations en cours… mais en revanche en accélèrent fortement l’évolution et l’ampleur pour demain, une fois le virus vaincu, comme au lendemain des guerres.

Une fois ce moment passé, le processus de grève générale dans lequel nous sommes entrés depuis au moins 4 ans, reprendra son cours mais à un niveau bien plus élevé, plus avancé, plus déterminé, plus international et surtout, plus conscient.

De là, naîtront de nouvelles organisations ayant la même compréhension de la période et des tâches qui en découlent.

Le plus large débat entre nous tous sur la situation fait partie de cette dynamique.

Jacques Chastaing, le 25 mars 2020.

Notes

1. La Deutsche Bank prévoit une baisse du PIB réel de l’Allemagne au deuxième trimestre de 24 %

2. La Chine a organisé certes un confinement ultra policier surtout dans un premier temps mais en même temps a mis des moyens technologiques importants dans la lutte contre le virus dans un second temps, passant très rapidement du premier temps au second. La plupart des pays européens et les USA ont surtout – pour le moment – privilégié le confinement. Sont-ils capables d’autre chose ? On le verra…

3. Rappelons qu’en 2009, près de 3000 milliards de dollars ont été injectés en liquidités pour faciliter le crédit ; pour ce qui avait été la relance directe de l’économie, le plan d’aide d’Obama avait été de près de 800 milliards.

    • Infrastructure et science : 111 milliards de dollars US

    • Protection sociale : 81 milliards de dollars US

    • Santé : 59 milliards de dollars US

    • Enseignement et formation : 53 milliards de dollars US

Aujourd’hui, en 2020, le Congrès américain a décidé de verser 8,3 milliards de dollars pour la recherche et développement en matière de vaccination, pour des masques et des équipements de protection pour les agences de santé, pour la mise en œuvre de programmes de santé par ces agences et pour des prêts aux petites entreprises. Il donne environ 100 milliards de dollars pour l’aide alimentaire aux enfants, les allocations de chômage pour les travailleurs licenciés, les fonds de santé pour les fonctionnaires des États et des collectivités locales, le test de dépistage gratuit du coronavirus pour ceux qui ne peuvent pas payer et les remboursements pour les entreprises qui accordent aux travailleurs des arrêts de maladie payés. La loi exclut cependant toutes les entreprises de plus de 500 salariés et toutes celles de moins de 50.

4. Au 20 du mois de mars, il était déjà annoncé la perte de 500.000 emplois intérimaires en équivalents temps plein en France

5. 63% des Africains établis dans les centres urbains ne peuvent pas se laver les mains avec du savon, selon l’Unicef.

6. K. Marx décrivait ainsi la « Société du Dix-Décembre » dans son ouvrage  » Le dix-huit brumaire de Louis Bonaparte  » : « A côté de « roués » ruinés, aux moyens d’existence douteux et d’origine également douteuse, d’aventuriers et de déchets corrompus de la bourgeoisie, on y trouvait des vagabonds, des soldats licenciés, des forçats sortis du bagne, des galériens en rupture de ban, des filous, des charlatans, des lazzaroni, des pickpockets, des escamoteurs, des joueurs, des souteneurs, des tenanciers de maisons publiques, des portefaix, des écrivassiers, des joueurs d’orgue, des chiffonniers, des rémouleurs, des rétameurs, des mendiants... »

7. Pendant des années durant cette période, j’ai recensé les conflits pour en montrer l’importance. Mais aux faits, aux chiffres, la plupart des militants restaient aveugles face à l’histoire officielle.

8. En écrivant au sujet de l’Angleterre en 1924, Trotsky décrivait l’état d’esprit aux débuts de la Première Guerre mondiale : « Il ne faut pas oublier que la conscience humaine, à l’échelle d’une société, est terriblement conservatrice et lente. Seuls les idéalistes imaginent que le monde est mû par l’initiative de la pensée. En réalité, les pensées d’une société ou d’une classe n’avancent pas d’un pas, sauf quand elles sont dans l’extrême besoin de le faire. Partout où c’est possible, les vieilles idées sont adaptées aux nouveaux faits. C’est être franc que de dire que les classes et les gens n’ont pas, jusqu’ici, fait preuve d’initiative décisive, à l’exception des moments où l’histoire les a frappés. Si les choses avaient été différentes, la population aurait-elle permis le déroulement de la guerre impérialiste ? La guerre s’approchait de chacun, comme deux trains lancés face à face sur les mêmes rails. Mais les gens sont demeurés silencieux, ont regardé, attendu, ont continué leur vie quotidienne, conservatrice. Les terribles bouleversements de la guerre impérialiste étaient nécessaires pour que les consciences changent, ainsi que la vie sociale. Les travailleurs de Russie ont renversé les Romanov et la bourgeoisie, et ont pris le pouvoir. En Allemagne, les travailleurs se sont débarrassés des Hohenzollern, mais se sont arrêtés à mi-chemin… La guerre était nécessaire pour que ces changements aient lieu, la guerre, avec ces dizaines de millions de morts, de blessés, de mutilés… Quelle preuve flagrante de la lenteur et du caractère conservateur de la pensée humaine, qui s’accroche obstinément au passé, à tout ce qui lui est connu, familier, ancestral –jusqu’à l’apparition du prochain fléau.» (« Où en sommes-nous ? » 21 juin 1924, discours au 5ème Congrès des travailleurs médicaux et vétérinaires )

aplutsoc | 27 mars 2020 à 1 h 32 min | Étiquettes : Coronavirus | Catégories : Crise financièreDiscussionFranceGrève généraleMondeMouvement ouvrierRévolution | URL : https://wp.me/p6fFqB-Wp
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