À Marseille, des quartiers populaires et solidaires!

Au nord de Marseille, dans le 3e arrondissement, on s’organise pour faire face au virus et au confinement. Une plateforme téléphonique met en relation les habitant.es pour créer un réseau de solidarité et d’entraide. Face à l’incurie des services de la mairie et de l’État, le Collectif des habitant.es organisé.es du 3e coordonne à grande échelle l’aide aux plus vulnérables. Entretien.
Quartier de La Belle de Mai à Marseille.

Vous arrivez à combien de foyers ?

Le 9 avril, on arrive à 250 foyers, soit 498 enfants et 437 adultes.

Et combien de bénévoles ?

180 personnes. On se nomme d’ailleurs compagnon.nes, camarades, voisin.es ou habitant.es, car nous n’aimons pas trop le mot bénévole.

Comment vous présenteriez-vous ?

La meilleure définition serait une initiative citoyenne, ou un réseau d’entraide. Au départ, nous étions spécialement sur le 3e arrondissement.

Quelle est la situation dans le 3e arrondissement ?

Beaucoup de personnes vivent dans une situation de grande précarité. Pour de nombreuses familles notamment celles en situation irrégulière, vivre confinées c’est être coincés, adultes et enfants, à trois, quatre, cinq ou plus dans un T1, T2 parfois insalubre, sans possibilité de travailler, donc sans revenu pour acheter à manger ou payer son loyer.

Est-ce que vous pouvez faire une petite histoire de cette initiative ? Comment est-elle née et comment s’est-elle développée ?

Ce collectif est né avant la crise du Coronavirus, du travail de l’association L’AN 02 avec des habitant.es membres des Compagnons Bâtisseurs. Depuis mars 2019, nous travaillions à créer un syndicat d’habitants qui se bat contre toutes les injustices dans le quartier. Ce processus est en relation avec tout un écosystème associatif. Il y a le Lokal 36 avec différentes associations comme En chantier, et Mot à mot, qui proposent des cours de langues. Il y a aussi La Fraternité avec son réseau de bénévoles de la communauté protestante.

Nous avons très vite compris que le confinement allait avoir des conséquences désastreuses sur des habitant.es déjà très précarisé.es. Avec la fermeture pour des raisons sanitaires des points de distribution comme ceux de la Croix Rouge ou des Restos du cœur, on savait que beaucoup de familles allaient rester sur le carreau. Alors, on a mis en place un système de plateforme téléphonique avec un numéro gratuit ouvert de 16 h à 18 h. Trois ou quatre personnes se relaient en permanence pour répondre aux appels.

Quand on a lancé la plateforme, il y a eu une très belle solidarité. Les gens qui appelaient pour aider étaient plus nombreux que les gens qui appelaient pour être aidés. Cela nous a beaucoup rassurés.

On a mis en place un système de « parrainage/marrainage ». Maintenant, on parle plutôt de compagnonnage. Chaque compagnon.ne accompagne une personne ou une famille. Il prend des nouvelles d’elle, il va éventuellement faire ses courses, démêle des problèmes administratifs.

Autant que possible, on cherche à ce que la personne aidante et la personne aidée habitent proches. C’est notre leitmotiv, encourager une forme de solidarité de quartier. On sait qu’elle existe, il faut parfois juste le bon outil. Ici, l’outil c’est la plateforme. Et ce lien, cette solidarité, on espère qu’elle restera.

Pour les femmes qui demandent de l’aide, on essaye de leur trouver une compagnonne. On sait que cela aide à avoir confiance, et que dans ces moments, les femmes sont particulièrement vulnérables.

Il faut que les gens s’entraident, mais sans se rencontrer, en tout cas pas physiquement. C’est tout l’enjeu : organiser la solidarité sans propager le virus. Il reste le lien par téléphone et c’est très important. L’objectif c’est aussi de ne pas laisser les gens s’isoler et le téléphone reste un moyen simple de communiquer pour des personnes qui n’ont pas toujours accès à internet.

À la base c’était juste pour le troisième arrondissement, mais aujourd’hui, des gens nous appellent du 2e, 13e, 14e et 15e arrondissements de Marseille. Heureusement, d’autres collectifs ont émergé dans de nombreux quartiers.

Comment entrez-vous en relation avec les personnes qui ont besoin d’aide ?

C’est aux personnes de décider si elles veulent entrer en contact avec la plateforme en nous appelant. Au début les gens du collectif ont envoyé des textos et des mails pour dire que la plateforme existait. Parfois des personnes, des infirmiers, des enseignants par exemple, nous signalent des personnes isolées. Les associations, les hôpitaux et même la Maison Départementale des Solidarités orientent des personnes vers nous.

Quels sont vos partenaires ?

On a monté un petit système qui comporte trente-cinq structures de toutes sortes. Des plateformes téléphoniques comme nous, des maraudes, des aides alimentaires, du soutien administratif, de l’accès au soin.

Comment les avez-vous choisis ?

Nos partenaires doivent pratiquer un accueil inconditionnel. C’était notre base. Il ne faut pas oublier la réalité du quartier. Il y a beaucoup de familles en situation irrégulière et on ne doit pas leur indiquer des dispositifs qui peuvent les mettre en danger. Après, les personnes en situation régulière, on peut en plus les renvoyer vers les CCAS (Centre Communal d’Action Sociale).

On a aussi vérifié la liste des associations et des numéros de téléphone. On s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup d’associations qui avaient fermé pour des raisons sanitaires. On a dû faire le tour des forces encore actives. Nous effectuons une veille la plus rigoureuse possible pour avoir des infos à jour, ce qui n’est pas facile.

Comment travaillez-vous avec les associations caritatives ?

Il fallait évaluer un peu leur force et leur soutien et ne pas les épuiser. On a fait un petit travail de fourmis et nous sommes allés voir ce qu’elles pouvaient proposer. À l’heure actuelle, on compte une dizaine de paniers par structure. On bosse avec le Secours Populaire, les Restos du cœur, l’épicerie solidaire Yasmine.

Et avec les services de santé ?

On a beaucoup de chance d’avoir Médecins du Monde à Saint-Mauront. Ils ont tout de suite répondu oui. Il y a les pharmacies qui acceptent de filer des attestations de déplacement dérogatoire. On a aussi le Planning Familial qui se trouve boulevard National. Trois psychologues proposent des moments d’écoute par téléphone.

Et avec les services de la mairie, et de l’État ?

Le système informatique de la ville de Marseille a été piraté juste avant les élections. Pendant deux semaines et demie, ils étaient injoignables. Et comme par magie, un numéro est arrivé lundi après-midi. C’est le 3013. Mais ils sont à côté de la plaque. La première initiative du maire actuel, à savoir créer un comité d’action pour faire face à l’urgence, est intervenu le 9 avril, soit 23 jours après le début du confinement. Pour le Département, on a la Maison Départementale de la Solidarité qui donne des tickets-services après rendez-vous avec un travailleur social, mais les critères d’attribution sont tout à fait opaques.

Quels sont les enjeux à moyen terme, et quelles sont vos revendications ?

Parmi les premières revendications, on demande la mise en place au moins pour commencer d’un point de distribution alimentaire par arrondissement. À regarder la situation des quartiers nord de Marseille, on voit bien qu’il faut de manière urgente un point de distribution par arrondissement. Nous, on le demande sur le 3e depuis deux semaines et demie et on espère qu’il va arriver. La deuxième chose : on s’est aperçu que sur Marseille, on ne distribuait pas de couches, pas de lait infantile, pas de tests de grossesse ni de protections périodiques. Et du coup, c’est notre deuxième revendication, la distribution de kits d’hygiène à destination des femmes.

Au-delà des revendications urgentes, nous avons tous été surpris.es par l’ampleur des besoins que nous avons dû prendre en charge. Au départ, on voulait encourager la solidarité, et les dépannages entre voisin.es, et on s’est retrouvé à jouer le rôle des pouvoirs publics et de l’assistance sociale. Qu’une équipe improvisée de bénévoles non formé.es se retrouve en quelques jours à gérer tout cela est complètement surréaliste et illustre bien l’échec complet des pouvoirs publics dans la gestion de cette crise sanitaire et de ses implications sociales.

Si aujourd’hui, on doit distribuer des colis alimentaires aux habitant.es de Marseille, c’est qu’hier, on les a laissés sans-papiers, donc sans droit, donc sans assurance aucune, ni chômage, ni RSA, ni assurance maladie, rien. Si le confinement est aussi dur, voire impossible, à la Belle de Mai et dans les quartiers populaires, c’est que les habitants s’entassent dans des appartements trop petits et insalubres. C’est cela qui doit changer.

Marseille, 11 avril 2020.

Contacter le Collectif des habitant.es organisé.es du 3e.

Mail : entraide3@an02.org

Facebook : Coronavirus solidarité entre habitant.e.s du 13003

 

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