Des syndicats CGT sans détour : « Nous, agents RATP, disons stop aux violences policières dans nos banlieues ! »

Dans un communiqué acéré, des sections syndicales CGT de la RATP dénoncent avec justesse la violente répression policière qui s’abat contre les habitants des quartiers populaires. Nous donnons la parole à ces syndicalistes CGT, pour qui il est impératif que les organisations syndicales prennent position contre cette violence d’Etat.

https://www.revolutionpermanente.fr/ mardi 21 avril

Communiqué. « Nous, agents RATP, disons stop aux violences policières dans nos banlieues ! »

Depuis le début du confinement, la « guerre » annoncée par Macron n’a pas comme seule cible le Covid19 : dans les quartiers populaires, la répression policière ne connaît pas de trêve et s’est encore illustrée violemment ce week-end à Villeneuve-La-Garenne. Mouldi, 30 ans, a été gravement blessé à la jambe, fauché par la portière d’une voiture de police, de façon intentionnelle d’après plusieurs témoins. Nous lui apportons tout notre soutien ainsi qu’à toutes les victimes et familles de victimes de violences policières, et aux journalistes de terrain comme Taha Bouhafs qui montrent cette répression aux yeux de tous.

Agents RATP pour beaucoup issus des quartiers populaires, la répression policière nous la connaissons depuis toujours, dans nos banlieues et aujourd’hui quand nous nous mobilisons pour défendre nos droits. Les contrôles au faciès, la matraque, la stigmatisation et le racisme d’Etat sont autant de violences que vivent les habitants des quartiers, et qui s’ajoutent à la violence sociale de la précarité, du tri à l’embauche, des boulots mal payés. Dans les années 2000, la RATP s’est mise à embaucher des banlieusards pour conduire dans les quartiers populaires, mais dès qu’on a commencé à revendiquer, elle s’est servi de l’Etat d’urgence pour nous bâillonner avec des lois répressives et racistes comme la loi Le Roux – Savary.

Aujourd’hui, en pleine crise sanitaire les habitants des quartiers populaires sont encore en première ligne : non seulement ils occupent les emplois les plus précaires, obligés d’aller travailler sans les protections nécessaires, en tant que travailleurs de la santé, des transports, de la grande distribution, du nettoyage, du gardiennage… mais ils subissent en plus la double peine de la répression policière, des contrôles incessants et des amendes arbitraires. La RATP elle-même participe à ce climat répressif, en ayant fait appel à la police pour verbaliser des usagers plutôt que de garantir un service adapté. Ainsi, la Seine-Saint-Denis est à la fois le département qui compte le plus de morts dus au Covid19, des problèmes de mal-logement, et qui est le moins bien desservi en transports en commun, avec des lignes de bus et tramway surchargées, mettant en danger la vie des salariés des transports comme des usagers.

D’un autre côté, la RATP stigmatise publiquement ses salariés en incitant à la délation mensongère via son « service clients ». Cette méthode a encore donné lieu ces derniers jours à une offensive islamophobe contre un machiniste du dépôt de bus d’Aubervilliers sur Twitter, que la RATP n’a à aucun moment défendu. Nous apportons tout notre soutien au collègue face à cet épisode qui rappelle l’acharnement médiatique islamophobe subi par notre collègue du dépôt de Belliard en mai 2019.

La matraque qu’on a connu dans nos banlieues est la même qu’on a connu sur nos piquets de grève : celle qui cherche à nous faire taire et qui s’abat aujourd’hui contre les jeunes des banlieues qui se soulèvent légitimement contre cet Etat de siège qui opprime nos quartiers.

Syndicalistes et travailleurs des transports, nous qui sommes en première ligne dans cette guerre sans armes contre le Covid19, nous dénonçons avec force ces violences policières et apportons tout notre soutien à ceux qui en sont la cible.


Nous donnons la parole à Ahmed Berrahal, élu CGT RATP Bus Flandre et secrétaire CSSCT du CSE2 et Didier Dorzile, élu CGT RATP Bus Aubervilliers, tous deux à l’initiative du communiqué. Une prise de position qu’ils jugent indispensables, car « dans la classe ouvrière il y a beaucoup de jeunes de banlieue, issus de l’immigration et qu’on a parqué dans des cités depuis des décennies », affirme Didier, chauffeur de bus guadeloupéen qui connaît de près le racisme : « Moi-même quand je sors de chez moi je me fais contrôler par la police, je peux me prendre une amende alors que je n’ai pas grillé de feu… c’est la routine ! » Ahmed a également connu de près cette répression : « Avant d’être syndicaliste je viens de la cité des 3000 à Aulnay. Donc les policiers qui viennent nous contrôler en bas de chez nous, ouvrent des portières sur des gens… ça on connaît. Cette répression ne date pas d’aujourd’hui, la différence c’est qu’elle est plus visible avec les smartphones ».

« On connaît la détresse des jeunes des banlieues et on n’est pas là pour les blâmer »

Ahmed est révolté face à ce qu’il est arrivé à Mouldi et tant d’autres avant lui : « Faire de la moto-cross, peut-être que ça dérange des riverains mais est-ce que ça mérite qu’on essaye de nous tuer ? Dans les cités on n’a rien, que du béton, et les policiers viennent pour se défouler, on dirait un champ de tir. On leur donne toujours raison, pour un rien on se retrouve convoqué au commissariat pour outrage, mais quand ils nous mettent des coups de matraque, eux ne sont jamais convoqués. Si on prend l’exemple de Zyed et Bouna à l’époque, c’est la même histoire. C’est la police qui ramène toute cette violence ».

Il se souvient avec amertume de son adolescence aux 3000, et compatit avec les jeunes des quartiers populaires qui s’embrasent depuis plusieurs jours : « Quand les flics nous contrôlaient et ne trouvaient rien, ils nous mettaient une barrette de shit sous notre siège de voiture . Des potes ont été gazés en garde-à-vue… alors comment ne pas avoir la haine ? Nous notre parole ne vaut rien. Quand on va sur les Champs-Elysées, c’est encore nous qu’on va contrôler alors qu’on se promène comme tout le monde. Nous les racailles des cités bizarrement ils trouvent toujours quelque chose ; Donc c’est normal qu’à un moment donné les gens craquent. Et quand il y a de la colère bien souvent il y a de la casse. Alors bien sûr ce n’est pas la solution et on devrait parler avec ces petits jeunes, leur expliquer que le bus qu’ils caillassent c’est celui que prend leur père, leur mère pour aller au travail le matin, que le casser ne résoudra pas le problème des banlieues. Au contraire la RATP stoppera les bus dans les quartiers et on sera encore plus pénalisés. Mais il ne faut pas se focaliser là-dessus. Quand un jeune caillasse un bus c’est que pour lui le bus représente l’Etat, il n’y a pas à chercher plus loin. On sait d’où on vient, on connaît la détresse des jeunes des banlieues et on n’est pas là pour les blâmer, c’est trop facile de blâmer quand tu as ton jardin, ton pavillon… mais nous on n’a pas choisi de naître en banlieue et l’Etat est responsable de toute cette détresse, de nous avoir parqués dans des cités avec si peu de chances de nous en sortir. Il faut bien avoir à l’esprit que quelqu’un qui vole ne le fait pas par plaisir mais par nécessité. Dans les banlieues, tout le monde rêve d’avoir un travail, un logement, vivre sa vie comme tout le monde… Mais beaucoup de ceux qui stigmatisent les banlieues n’y ont jamais mis les pieds et ne nous voient qu’à travers BFMTV ».

Didier rejoint pleinement Ahmed sur le constat de tant de stigmatisation et d’injustice : « Je connaissais un jeune issu de la rue qui s’est retrouvé en prison pour des petits actes de délinquance et que j’allais tout le temps voir à Fleury Mérogis. Heureusement il s’est battu pour s’en sortir, et aujourd’hui il a trouvé un boulot. Quand on stigmatise les gens on ne les aide pas. Ce n’est pas un hasard que les prisons soient remplies de gens de banlieues, de travailleurs : les riches eux ils ont beau faire de l’évasion fiscale ou du détournement de fonds, ils s’en sortent toujours ». Un combat de classe, donc, que les syndicats devraient d’après lui prendre à bras le corps sans tergiverser.

Les salariés des transports issus des banlieues ciblés sous prétexte de lutte antiterroriste

Le communiqué accable également la loi Le Roux – Savary, mise en place en 2016 sous prétexte de lutte antiterroriste dans les transports. « On l’appelle la ’loi-facho’. Elle a un gros impact sur les jeunes de banlieue, explique Ahmed. Avec cette loi ils organisent un tri à l’embauche sur les plateformes de Roissy ou à la RATP par exemple, en menant une enquête dans laquelle ils ont accès au volet 1 du casier judiciaire, le STIC (Système de Traitement des Infractions Constatées), c’est-à-dire que même pour des petites infractions commises dans sa jeunesse maintenant ils refusent l’embauche. Tout ça diminue encore nos chances de trouver un travail. Après le 11 septembre il faut voir qu’ils ont viré de Roissy tous les travailleurs de banlieue, donc beaucoup d’intérimaires, pour des bricoles, un PV pour outrage par exemple… ils leur ont retiré leur badge comme s’ils étaient des terroristes, en brisant des familles entières ».

Face aux violences policières, l’urgence que les syndicats prennent position

Ces syndicalistes de tous les combats fustigent l’inaction des centrales syndicales face aux violences policières dans les quartiers populaires. Ainsi, pour Didier, « les syndicats doivent se positionner là dessus, ce n’est pas normal qu’ils ne disent rien ! On ne devrait même pas se poser la question, le syndicat défend le salarié donc il défend tout ce qui va avec, il faut être en phase avec la réalité du quotidien. C’est la classe des travailleurs, avec le petit peuple de banlieue, on fait partie de la même classe. Mais eux ils sont dans les hauts niveaux, dans la négociation… plein de travailleurs sont issues de la banlieue, comment peuvent-ils s’intéresser au syndicalisme et à la lutte des classes si les syndicats ne s’intéressent pas à cette violence d’Etat qu’ils vivent dans leurs quartiers ? »

Ahmed fait preuve de la même intransigeance : « Les syndicats qui défendent les salariés devraient prendre fermement position. Quand on se fait matraquer sur nos piquets de grève, on est en capacité de prendre position alors comment se fait-il qu’on ne dise rien par rapport à ce que vivent les banlieues ? Pareil pour les gilets jaunes… ça n’a gêné personne qu’on leur tire dessus au flashball en leur arrachant un œil, une main, alors qu’ils revendiquaient pour leurs conditions de vie, leurs salaires, comme nous ! La CGT devrait être en première ligne pour dire stop aux violences policières. On ne peut pas faire du syndicalisme et ne pas faire de politique, le syndicalisme doit englober toutes ces préoccupations quotidiennes. Pour ma part en tant que syndicaliste issu des quartiers, issu de l’immigration, ce n’est pas possible de me taire, il faut qu’il y en ait qui disent stop à ces violences policières. Et pour ma part je défendrai chaque salarié, dans l’entreprise ou face aux violences d’Etat. Ne pas dénoncer c’est être complice de ce gouvernement et de tout ce qui se passe dans les banlieues ».

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