TRIBUNE. L’effondrement est-il impossible ?

Et si la pandémie n’était que le déclencheur d’une vaste crise débouchant sur un effondrement partiel ou total d’un Etat fragile, d’un continent désuni, ou simplement d’un modèle économique et sociétal ? C’est la question que soulèvent, dans une tribune à « l’Obs », Gilles Sacaze, ancien de la DGSE, et Sébastien Pietrasanta, ancien député.

Une rue déserte du quartier d’affaires de la ville de Los Angeles, placée en confinement en raison de la pandémie de Covid-19, le 22 mars 20
  • Entre déni conjuratoire et prophétie d’apocalypse autoréalisatrice, où se trouve la raison ?

Il y a encore quelques semaines, on aurait rangé dans le rayon de film de science-fiction le confinement de près de 4 milliards de personnes et pourtant nous y sommes. Tout va très vite, trop vite même, avec une ampleur inédite.

« Il n’y aura pas d’épidémie en France, parce que nous sommes préparés », nous disait avec certitude, le 23 janvier 2020, un professeur de médecine, éminent spécialiste français des maladies infectieuses et tropicales, chargé de conseiller le gouvernement français dans la crise du Covid-19.

« Il n’y aura pas de pénurie, ni de rationnement », nous disait le 30 mars le ministre de l’Economie.

Dangereuses certitudes !

On peut légitimement s’interroger sur notre préparation à la pandémie. On peut s’interroger plus largement sur notre capacité d’anticipation, sur notre aptitude à faire face à une crise majeure.

L’individualisme, notre boulimie du confort érigée en modèle de société ont mis à mal notre capacité de résilience individuelle et collective… En aggravation et agissant sur la crise comme des précipitants chimiques, l’ultramondialisation et la cyberdépendance ont désarmé l’Europe et les Etats-nations en les privant de leviers majeurs et de leurs capacités à fonctionner en mode dégradé.

Une mauvaise tendance a fait de la communication le point central de la gestion de crise. Une communication qui monopolise l’espace et la préoccupation des politiques, souvent au détriment de la gestion opérationnelle de la crise…

Jusqu’où doit-on, ou jusqu’où peut-on aller en matière d’anticipation ?

Entre les discours collapsologues d’Yves Cochet et le survivalisme venus des Etats-Unis comment peut-on se préparer individuellement, collectivement et sereinement au risque d’effondrement ?

L’anticipation, voilà le maître mot. Et si justement la pandémie n’était que le déclencheur d’une vaste crise débouchant sur un effondrement partiel ou total d’un Etat fragile, d’un continent désuni, ou simplement d’une zone, d’un modèle économique et sociétal ?

Pour la France, l’Etat est déjà bien en difficulté dans l’accomplissement de ses missions régaliennes. Il est, aujourd’hui, en difficulté pour faire respecter le confinement et plus largement en difficulté, depuis des années, pour faire régner l’ordre sur l’ensemble de son territoire…

Et si, pour une première fois, pour cette fois ou pour la prochaine, on se préparait à ce scénario. Pourquoi ne pas anticiper le pire ?

La fulgurance de l’épidémie, le nombre de malades, de morts et le confinement ont déstabilisé notre économie. Il n’y a pas assez d’agriculteurs pour les récoltes, les transporteurs fonctionnent au ralenti, les distributeurs rencontrent à la fois des problèmes d’approvisionnement et de gestion des ressources humaines. L’épidémie et le repli sur soi (réflexe de préservation de sa famille) ont totalement déstabilisé la chaîne d’approvisionnement des produits de première nécessité.

Nos forces de sécurité sont également touchées par l’épidémie et sont diminuées humainement et par manque d’équipements. Ne parlons même plus des hôpitaux débordés et submergés.

Face à cette situation, il peut être redouté que certaines zones, notamment urbaines, échappent au contrôle de l’Etat en cas de pénurie alimentaire. Pillages, exactions, criminalité redoubleront. En France, la reprise en main est certaine, mais pour des forces de police mal préparées, elle prendra du temps.

Observée dans de nombreux pays en crise, la reprise progressive des zones urbaines, s’accompagne souvent d’un déport de la violence vers les zones rurales moins « policées » et plus difficiles à contrôler en raison de l’étendue du territoire.

Nous apprenons en observant « l’effondrement » contemporain de certains Etats (Liban, Algérie, Ex-Yougoslavie…). Certes, il ne s’agissait que de troubles contenus dans l’espace et le temps, à l’échelle d’un pays ou d’une région, mais, pour les populations concernées, il s’agissait bien d’un effondrement de leur société, la mise à mort de leur projet de vie et pour certains l’exode ou la mort.

Ces « effondrements » nous renseignent sur l’alchimie sociale, la réaction des individus et la résilience ou la fragilité des organisations. Ces dramatiques moments nous apprennent beaucoup et nous interrogent sur nous-mêmes.

Ce qui est marquant dans les témoignages de ceux qui ont vécu ces moments, c’est la fulgurante réaction en chaîne, qui conduit à l’effondrement d’un pays en quelques semaines. Avec comme dénominateurs communs, la fracturation du tissu social, l’écroulement économique, la défiance à l’encontre des institutions et un degré de violence élevé dans la société.

Lorsque ces facteurs sont réunis, la rapidité du processus de perte de contrôle de l’Etat dépend essentiellement de son aptitude à anticiper les situations de crise, à s’adapter et à fonctionner en mode dégradé.

La réaction en chaîne observée lors de ces processus d’effondrement est relativement classique.

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