Des milliers de policiers s’échangent des messages racistes sur un groupe Facebook

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04 / 06 / 2020

Appel au meurtre, blagues racistes et insultes sexistes

Des milliers de policiers s’échangent des messages racistes sur un groupe Facebook

Par Ronan Maël

Dans un groupe Facebook privé, réservé aux forces de l’ordre et qui compte plus de 8.000 membres, des policiers surtout et quelques gendarmes postent de nombreux montages, messages et commentaires racistes et sexistes.

Le montage se veut satirique, il fait surtout l’apologie de morts violentes mettant en cause des policiers. Chacun des symboles grossièrement collés sur les visages des 4 porteurs de cercueils ghanéens est une allusion lourde de sens. Le panneau « danger haute tension » pour la mort de Zyed et Bouna en 2005. Un poteau, pour le décès de Sabri à Argenteuil le 17 mai dernier. Une portière d’un véhicule de police en référence à la jambe écrasée d’un homme de 30 ans à Villeneuve-la-Garenne pendant le confinement. Et enfin un train, comme celui qui a enlevé la vie à Kémyl, 18 ans, à Montigny-lès-Cormeilles le 27 mai. Le montage – titré « le karma » – a été diffusé sur Facebook par un fonctionnaire de police parisien et approuvé par plus de 200 membres des forces de l’ordre.

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Ce célèbre mème a été détourné pour se moquer de la mort de quatre personnes. / Crédits : DR

Sur le réseau social, un groupe Facebook privé, baptisé « TN Rabiot Police Officiel » réunit plus de 8.000 personnes. Des policiers principalement (ou se présentant comme tels), et quelques gendarmes et membres de familles de fonctionnaires. Pour intégrer le groupe, il faut indiquer aux administrateurs sa promotion à l’école de police ou de gendarmerie, son matricule et rédiger quelques phrases en jargon de « la boîte ». Un filtre qui semble efficace : StreetPress a vérifié plusieurs dizaines de profils pris au hasard. Tous ceux dont nous avons pu confirmer l’identité sont bien membres des forces de l’ordre. À l’abri des regards indiscrets, les fonctionnaires se lâchent : dans des posts ou en commentaires, on peut lire des centaines de message racistes, sexistes ou homophobes et des appels au meurtre.

« TN Rabiot Police Officiel » a été créé le 8 décembre 2015. Il se présente comme un groupe « d’informations et de débats sur la sécurité publique et la réalité du travail et des missions des forces de l’ordre ». Il est administré par Tony W., policier et Isabelle B., civile et présidente du Collectif Libre et Indépendant de la Police (Clip). Un collectif fondé à Lyon en 2012 par des « policiers en colère » après la mise en examen d’un fonctionnaire pour avoir tué d’une balle dans le dos Amine Bentounsi, rapporte Rue89Lyon, qui a essaimé dans d’autres départements.

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Le groupe a multiplié les messages sexistes et insultants envers Camélia Jordana. / Crédits : DR

Officiellement, les membres du groupe doivent respecter une charte de déontologie qui proscrit les propos haineux, racistes ou diffamatoires et promet de supprimer les posts qui contreviendraient à ces règles. Ça, c’est pour la théorie. Dans les faits, les propos problématiques sont quotidiens et toute l’actu policière est prétexte à insultes ou aux moqueries racistes et sexistes. À propos de Camélia Jordana, qui a déclaré se sentir en danger face à des policiers, un membre du groupe écrit :

« Ma cochonne ! Je lui fais caca dessus et je lui étale sur tout le visage ! … »

Un fonctionnaire de police enchaîne : « Sale p…. Vilaine fille ». Puis, en dessous, un autre :

« Elle aurait dû rester sur le trottoir cette pute ! »

Le 30 mai dernier c’est une manifestation de sans-papiers à Paris qui les fait dégoupiller :

« Toujours les mêmes qui bravent tous les interdits dans ce pays. Les gauchisses puants et immigrés qui ne fera même pas 1/10 du quart de ça chez eux ! Comme Trump ! Il a dit du plomb ! »

Le rassemblement contre les violences policières organisé par Assa Traoré, ce mardi 2 juin est même commenté en direct : « C’est un peu comme le naufrage d’un pétrolier », s’amuse un membre de la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de Lyon dans une allusion aux nombreux manifestants noirs. Puis, les commentaires xénophobes s’enchaînent :

– « Paris ? J’ai un doute qu’on soit encore en France. »

– « C’est noir de monde ! »
– « Non ! C’est noir de merde ! »

Une adjointe de police de Seine-et-Marne ponctue la conversation raciste avec quelques emojis rieurs avant de poster son propre trait d’humour raciste : « Une sombre histoire? ».

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De nombreux commentaires xénophobes s’enchaînent pour parler du rassemblement contre les violences policières. / Crédits : DR

Il y a aussi les sujets récurrents, notamment les adeptes du cross-bitume : des jeunes qui circulent sur des moto-cross non-homologuées pour la route. C’est au guidon d’une de ces bécanes que Sabri a percuté un poteau et est décédé ou qu’un trentenaire a été percuté par une portière d’un véhicule de police à Villeneuve-la-Garenne. Deux drames mettant en cause les forces de l’ordre qui font beaucoup rire certains membres du groupe. L’un d’eux publie une conversation prétendument satirique entre une portière et un poteau. Un autre a remplacé sa photo de profil par un « Je suis portière » reprenant la charte graphique des « Je suis Charlie ».

Ponctuellement, des fonctionnaires tentent de calmer leurs collègues. Sous le montage construit à partir des porteurs de cercueil et qui fait référence à l’homme de Villeneuve-la-Garenne blessé à la jambe, Zyed et Bouna, Sabri et Kémyl, une fonctionnaire de police s’émeut :

« L’un des protagonistes était seulement âgé de 15 ans. »

Puis elle reprend, percutante :

« Vous serez les premiers à pleurer qu’une personne de l’extérieur fasse une capture d’écran et l’envoie à qui de droit ! Vous tendez le bâton parfois pour vous faire battre ! Comme si on n’avait pas assez de soucis comme cela ! »

Un autre abonde, déclarant avoir « de plus en plus honte ». Mais les voix dissonantes, peu nombreuses, sont vites écrasées par les « collègues ». L’un juge que ce n’est pas à elle de « décider ce qui est drôle ou non ». Un autre, plus virulent, se lâche :

« [Une] pseudo collègue qui arrive à défendre ces immondes salopes… On n’a pas besoin de fragiles dans la boîte. »

Contacté par StreetPress, le ministère de l’Intérieur n’a pas répondu à nos questions. Nos questions envoyées aux administrateurs du groupe sont, elles aussi, restées sans réponse.

Quelques-uns des nombreux messages de ce groupe

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La manifestation du 30 mai dernier pour les sans-papiers les a fait dégoupiller. / Crédits : DR

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Le groupe comporte de nombreuses moqueries sur les portières de voitures de police, en référence à un homme qui s’est fait écraser la jambe à Villeneuve-la-Garenne. / Crédits : DR

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Qu’est-ce qu’on se marre. / Crédits : DR

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En 2017, Théo Luhaka avait été blessé par une matraque dans l’anus. Il en a des séquelles à vie selon une expertise médicale. Mais c’est surtout source de jeux de mots pour les policiers. / Crédits : DR

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« Tous les prétextes sont bons pour ces gogols, ces sans-cerveaux, ces ramassis de chiottes finis à la pisse, tellement ils sont bêtes et incultes de tout. » / Crédits : DR

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Assa Traoré est une cible privilégiée de ce groupe, entre insulte sur son physique ou sur son frère, mort suite à l’interpellation de gendarmes en 2016. / Crédits : DR

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  • Un documentaire d’Ilham Maad

  • Mise en ligne 04 juin 2020

  • Enregistrement 13 février 20

  • Mix Charlie Marcelet

  • Illustration originale Zaven Najjar

  • Entretien et montage Ilham Maad

  • Production ARTE Radio

« On est fichés « f », « f » comme fachosphère »

Membre d’une unité de police d’escorte à Rouen, Alex découvre l’existence d’un groupe privé d’échanges audio sur WhatsApp, dont font partie une dizaine de ses co-équipiers. Certains sont encore stagiaires en école de police, d’autres, comme lui, sont policiers titulaires depuis plus de 20 ans. Intrigué par la présence de son prénom dans les messages, il découvre des propos orduriers ouvertement racistes, misogynes et antisémites. Certains de ses collègues vont jusqu’à se revendiquer du fascisme et du suprémacisme blanc. Sur les conseils de son avocate, M° Yaël Godefroy, Alex dépose plainte et déclenche une enquête interne qui est toujours en cours. Après son audition, la hiérarchie décide de muter Alex dans une autre unité. Ses collègues titulaires sont eux toujours en poste.

Ilham Maad a réuni le policier et son avocate pour commenter des extraits de ces enregistrements. Une enquête sur cette affaire menée par Camille Polloni est à lire dans Mediapart.

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