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Menotté et plaqué au sol sur le ventre par au moins trois policiers, Cédric Chouviat, 42 ans, avait crié à sept reprises « j’étouffe » avant de succomber, selon les derniers éléments de l’enquête auxquels nous avons eu accès.
«J’étouffe. »
Cette phrase, Cédric Chouviat l’a répétée sept fois, le 3 janvier, à Paris, lors d’un contrôle routier de police qui a dégénéré jusqu’à la mort, selon un rapport d’enquête dont Mediapart et Le Monde ont pu prendre connaissance. Interpellé sur la voie publique, Cédric Chouviat a fait, ce jour-là, l’objet d’une clé d’étranglement par un policier, qui, avec deux autres agents, l’a plaqué au sol sur le ventre et menotté.
« J’étouffe » : cette phrase, qui éclaire d’un jour nouveau les circonstances de la mort de Cédric Chouviat, a été enregistrée par son propre téléphone, relié à un micro placé à l’intérieur de son casque de moto. Lors de son contrôle, le livreur avait tenu à enregistrer ses échanges avec les policiers. Compte tenu de la violence et de la rapidité de son plaquage au sol, il n’a eu ni le temps d’éteindre son appareil, ni celui d’enlever son casque, qui ne lui sera retiré que lorsqu’il sera inanimé.
« J’étouffe » : cette phrase n’est pas sans rappeler celle prononcée par George Floyd, le 27 mai à Minneapolis, lors de son interpellation et dont la vidéo a provoqué une vague d’indignation mondiale. En France comme aux États-Unis, ces techniques policières asphyxient. En France comme aux États-Unis, des policiers peuvent entendre des personnes étouffer et appeler à l’aide sans réagir.
Selon les policiers auditionnés une première fois par l’IGPN, le jour des faits, Cédric Chouviat « s’est montré irrespectueux envers l’équipage », « agressif », « menaçant ». Essuyant de nombreuses insultes, selon leur récit, ils ont décidé de l’interpeller. Il aurait résisté, « se débattant », alors qu’il était au sol et continuait de les insulter, selon la policière qui participait à ce contrôle avec trois de ses collègues.
Dans le cadre de l’enquête judiciaire, le 17 juin, les quatre policiers ont été auditionnés sous le régime de la garde à vue. La policière est-elle revenue sur sa première version des faits ?
Car ce ne sont pas des insultes mais bien des appels à l’aide que Cédric Chouviat a lancés à sept reprises, comme le prouve désormais la retranscription des enregistrements versée au dossier.
Ces nouveaux éléments versés à l’enquête judiciaire ouverte en janvier pour « homicide involontaire » ne peuvent que renforcer les nombreuses critiques émises ces dernières années à propos des techniques d’interpellation policières que sont la clé d’étranglement et le plaquage ventral.
Les enquêteurs ont retranscrit les sons des enregistrements faits par la victime et par la policière dans le but de vérifier, selon les instructions reçues, les « conditions d’une interpellation réalisée dans un contexte allégué d’outrages et de résistance ». Ils ont retranscrit non seulement les paroles échangées lors du contrôle mais aussi les sons lors de l’interpellation elle-même, « chocs d’objets, chute au sol, maniement de tout appareillage ou objet et notamment de menottes ».
Mediapart a ainsi pu, à partir des différents éléments de l’enquête, reconstituer les événements. Nous avons pu visionner la vidéo tournée par la policière et consulter l’intégralité de la retranscription des enregistrements du téléphone de Cédric Chouviat, sons placés sous scellés.
À 9 h 54, quatre policiers, parmi lesquels deux stagiaires, commencent le contrôle de Cédric Chouviat, qui vient d’arrêter son scooter.
Cédric Chouviat, selon le rapport de l’IGPN, « provoqu[e] les policiers en les filmant avec insistance durant tout le contrôle ». Cependant, d’après l’ensemble de la retranscription des enregistrements et des vidéos que Mediapart a pu consulter, les faits sont bien plus nuancés. Les policiers perdent leur sang-froid, repoussent à plusieurs reprises Cédric Chouviat, ne supportant pas qu’il filme avec son téléphone.
« J’ai le droit de filmer », rappelle-t-il lorsque l’un des policiers lui lance : « C’est beau de vous mettre en spectacle. » « Ne me touchez pas », « Vous, ne me poussez pas, vous n’avez pas le droit de me pousser comme ça, Monsieur », répète le livreur, alors que l’un des agents le repousse de sa main à plusieurs reprises.Le contrôle, qui dure 12 minutes, se passe mal, mais sans l’ombre d’un danger ou risque pour les policiers.
Selon le compte rendu de l’IGPN, les policiers ont « fait l’objet d’insultes » et relevant l’outrage, ont décidé de « procéder à l’interpellation de M. Chouviat, lequel tentait de s’y opposer ». Là encore, ce n’est pas tout à fait ce que révèlent les enregistrements.
Les policiers semblent guetter le moindre dérapage, reprenant parfois les paroles de Cédric Chouviat pour vérifier s’il ne s’agit pas d’un outrage. « Énervez-vous », lui lance même l’un des policiers stagiaires. De son côté, le livreur se permet de dire : « C’est vous les clowns », ou encore : « C’est vous qui êtes la risée. » Rien de plus.
Oubliant leur fonction, les policiers prennent à témoin un automobiliste en se moquant du livreur. L’un des policiers allant même jusqu’à dire à Cédric Chouviat : « Vous croyez que je vais me mettre à quatre pattes et que je vais vous sucer la bite aussi ? » Lors de cet échange, si une injure est prononcée, c’est donc du côté policier.
Il est 10 h 06. Les policiers regagnent leur véhicule. Le contrôle pourrait s’arrêter là. Mais le chef de bord croit entendre une nouvelle insulte. « Vous avez dit quoi ? », « espèce de pauvre… ? », « fils de pute ? », demande-il en ressortant. Rien de tout cela, Cédric Chouviat a dit « pauvre type ».
De nouveau poussé par un policier, Cédric Chouviat déclare, à plusieurs reprises, qu’il porte plainte. Le haussement de ton laisse transparaître dans sa voix de la peur et de la colère. Tandis que l’un des policiers appelle leur service, un autre demande que soit vérifié si « bande de clowns » est un outrage justifiant l’interpellation.
Cédric Chouviat lance alors à l’un d’eux « guignol ». « On ramène », répond le policier. Il est 10 h 07. Tout va alors très vite. Seul le téléphone de Cédric Chouviat est encore allumé.
Les policiers déclarent auprès de l’IGPN que le livreur résiste à son interpellation. Il est mis au sol. À 10 h 09, après une clé d’étranglement en « lui maintenant la tête », précision apportée par l’un des agents lors de son audition, trois policiers le plaquent sur le ventre.
Les enregistrements ne permettent pas de savoir comment se passe alors la suite. « Nous entendons différents bruits que nous ne sommes pas en mesure d’identifier formellement. Ils peuvent être dus aux frottements sur le microphone », précisent les enquêteurs.
À l’exception toutefois des bruits des menottes, clairement identifiables, suivis d’un « c’est bon, c’est bon, bracelets OK » d’un policier. Et des dernières paroles prononcées par Cédric Chouviat. Il dit : « Arrête », « je m’arrête ». Puis, à sept reprises, « j’étouffe ».
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Durant près de cinq minutes, selon les enregistrements, Cédric Chouviat reste ainsi au sol sur le ventre, encore casqué, et menotté. Vers 10 h 13, il est inanimé. Les policiers tentent un massage cardiaque. Selon le compte rendu d’hospitalisation, lorsque les secours tentent de le réanimer, il présente des signes d’atteinte cérébrale très grave, due au manque d’oxygène. Il décède le 5 janvier, au service de réanimation de l’hôpital européen Georges-Pompidou.
Contactés par Mediapart, les avocats de la famille de Cédric Chouviat, Arié Alimi, William Bourdon et Vincent Brengarth, rappellent que la clé d’étranglement et le plaquage ventral l’ont tué.
« Les mots terribles de Cédric Chouviat avant de mourir font de cette phrase un cri universel. En dépit des cris, les policiers ont maintenu leur pression asphyxiante. Cédric Chouviat aurait pu être sauvé, affirment William Bourdon et Vincent Brengarth. Ces derniers éléments de l’enquête démontrent que « cette modalité d’interpellation conduit à une mécanique d’acharnement dont Cédric a été indiscutablement la victime ».
Les trois avocats demandent au gouvernement « d’interdire immédiatement l’usage de la clef d’étranglement et du plaquage ventral ». « Dès lors que l’on sait que ces techniques tuent, déclare Arié Alimi, tout fonctionnaire de police qui les pratiquera devra être poursuivi pour meurtre. »
« Je suis meurtri, confie Christian Chouviat, le père de Cédric. Mon fils a alerté à plusieurs reprises mais on a continué à l’assassiner. Hier, c’était la fête des pères, Cédric n’était pas là auprès de ses enfants, de sa famille. Jusqu’au dernier jour, je souffrirai », poursuit difficilement Christian Chouviat.
« On m’a enlevé mon fils et ce n’est pas un accident. Le ministre Christophe Castaner nous a reçus. Il nous a promis des choses mais n’a rien tenu. Il faut qu’il cesse de faire de la communication en se moquant ainsi de nous. Il doit interdire ces pratiques. Et il faut que la justice soit rendue pour mon fils et les autres », conclut-il.
Le 8 juin, le ministre de l’intérieur Christophe Castaner a annoncé que la clé d’étranglement ne serait plus enseignée dans les écoles de police. Mais cette pratique peut continuer à être utilisée « avec mesure et discernement », a précisé, une semaine plus tard, le directeur général de la police nationale Frédéric Veaux, dans une note adressée à l’ensemble des agents.
Avec « mesure et discernement » et lorsque les circonstances l’exigent, « excitation et/ou agressivité de la personne qui résiste physiquement à l’interpellation, menaces à l’égard des policiers ou de tiers ».
Mais comment faire preuve de « mesure » et de « discernement » lorsqu’on procède à une clé d’étranglement ? Comment faire preuve de « mesure » et de « discernement » lorsqu’on maintient un homme au sol, menotté, sur le ventre, position douloureuse qui l’empêche de respirer, d’où son agitation, et qui amène en réponse une pression supplémentaire des policiers ? La « mesure » et le « discernement » ne seraient-ils pas tout simplement contraires à la nature même de ces pratiques ?
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