Loi Asap : « Au motif de l’intérêt général, on pourrait désormais avoir des marchés de plusieurs millions sans publicité ni concurrence »

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Le projet de loi Accélération et simplification de l’action publique (Asap) ne comporte pas seulement une extension du champ du secret des affaires. Les règles de la commande publique sont bouleversées. Kévin Gernier, chargé de mission collectivités territoriales auprès de Transparency France souligne les risques de corruption.

Marianne : Lundi prochain, les députés examinent le projet de loi Accélération et simplification de l’action publique (Asap). Le texte adopté en commission encapsule plusieurs amendements du gouvernement passés sans encombre. Certains modifient pourtant sensiblement les règles de la commande publique.

Kévin Gernier Ce texte, comme beaucoup d’autres désormais, passe par la procédure accélérée qui est devenue la règle. La commission a ainsi expédié à la chaîne des amendements sans discussion ou presque. Sans opposition ou presque. C’est le cas de ceux qui portent sur la commande publique, le nouveau nom des marchés publics. Les sommes en jeu ont beau être gigantesques, la discussion de ces amendements a été inversement proportionnelle à la durée de leur discussion.

Les critères comme ceux de la publicité des offres et de définition des seuils, qui encadrent la passation de ces marchés sont pourtant les garants d’un bon usage des deniers publics et de la transparence de ces procédures, et de là une protection contre les risques de corruption. Le gouvernement semble vouloir étendre à la crise économique qui vient les dispositifs d’exceptions pris dans le cadre de la crise sanitaire. Transparency a dès avril dernier tiré la sonnette d’alarme face à cette tentation de les pérenniser. Elle n’a pas de sens. En outre, le code de la commande publique prévoit déjà tout des dérogations en cas « d’urgence impérieuse ». Pourquoi dès lors, aller au-delà ?

Quels sont les critères ici modifiés ?

Il y a d’abord le seuil en dessous duquel une personne publique qui veut réaliser un marché est dispensée de publicité et autres formalités administratives. Il y a un mouvement de fond qui s’est récemment accéléré. On est passé de 4.000 euros à 25.000 en 2011, puis à 40.000 fin décembre dernier, notamment sous l’impulsion des Sébastien Lecornu, alors ministre en charge des Collectivités territoriales et d’Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances. Laquelle a multiplié les réunions avec le secteur du BTP à Bercy. Puis un décret de juillet l’a propulsé à 70.000 euros pour une période de un an.

Le texte Asap ne mentionne plus de seuil. Au motif de l’intérêt général, on pourrait désormais avoir des marchés de plusieurs millions d’euros, sans aucune publicité ni concurrence… Il faut dire que c’est une demande récurrente des élus locaux. Avec un argument : permettre aux TPE et aux artisans locaux d’avoir accès aux marchés. Mais ce sont les gros acteurs qui rafleront la mise. Eux sont organisés pour envoyer des armées de commerciaux faire les pieds de grue devant la mairie….

Il n’y a aucune nouvelle contrainte ?
Non. Et la question est d’autant plus importante qu’avec les plans de relance, l’argent public va couler à flot. Si la discussion s’est centrée sur la conditionnalité des aides à des critères sur l’emploi ou l’environnement, ce que le gouvernement a écarté, des critères pour se prémunir des conflits d’intérêts, comme il en existe pour les fonds européens, auraient eux aussi dû s’imposer. Les situations ou des élus, des fonctionnaires, bref des ordonnateurs, distribuant des fonds à des entreprises de proches risquent de se multiplier.
Il n’y a plus rien à faire?
Nous avons contacté des députés pour les alerter et pour proposer à certains d’entre eux des amendements au texte visant par exemple la suppression de l’amendement gouvernemental que je viens d’évoquer, et qui seront discutés en plénière lundi à l’Assemblée nationale. Ils ont jusqu’à 17 heure ce jour, jeudi 24 septembre pour les déposer. Une majorité pour les adopter et défaire ce qui a été fait est possible à trouver. Encore faut-il que les députés de la majorité se mobilisent et prennent bien la mesure de l’enjeu en termes de transparence et de risques de corruption que porte le texte tel qu’il est écrit aujourd’hui.

– MARTIN BUREAU / AFP
Ni vu ni connu

En catimini, le gouvernement étend le champ du secret des affaires

C’est un étrange clin d’oeil que les amoureux du franglais apprécieront. Actuellement examinée en première lecture à l’Assemblée nationale, la loi d’Accélération et simplification de l’action publique, dite, « ASAP », dispose du même sigle que l’expression anglo-saxonne As soon as possible. Et ce n’est pas vraiment volé.

ASAP, qui veut dire « aussi vite que possible en français », décrit bien le fond et la forme de ce texte qui est en passe de s’imposer comme le document le plus puissant de déréglementation et de dérégulation de la Macronie. Le tout, sous couvert de crise sanitaire. Si, à la faveur d’un fait divers, la presse a bien vu l’amendement inventant le concept de “résidence occasionnelle”, un ovni juridique visant à lutter contre les squatters, l’essentiel est pourtant ailleurs. Outre le texte en lui même, ce sont les amendements présentés par le gouvernement qui détonnent. Sans opposition, ou presque, le gouvernement la joue facile. Car Contrairement au projet de loi lui-même, qui doit être soumis au Conseil d’Etat pour validation juridique et être accompagné d’une étude d’impact, les amendements, eux, échappent à cette double contrainte.

SECRET DES AFFAIRES RENFORCÉ

On l’observe ainsi avec l’amendement 627. Comme le mentionne l’exposé des motifs, son objectif est de « la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, exigence constitutionnelle, justifie en effet que des procédures adaptées soient mises en œuvre dans la conduite de telles opérations afin de préserver la confidentialité des informations sensibles qui s’y rapportent». Ca envoie du lourd en matière d’argumentation pour modifier le code de l’environnement qui permet au citoyens d’avoir accès aux éléments qui sont de nature à avoir un impact environnemental ou sanitaire, mais la traduction est on ne peut plus claire en matière de restrictions: « ne peuvent être ni communiqués, ni mis à disposition du public des éléments (…) dont la divulgation serait de nature à porter atteinte à des secrets de fabrication ou au secret des affaires ».

Et voilà comment, au détour de ce projet de loi, le secret des affaires, qui a fait l’objet d’un texte fort critiqué en 2018, sort encore renforcé grâce à l’ASAP. « Cet amendement permet également aux préfet de délivrer des autorisations temporaires d’installation de sites avec des risques industriels, autorisations qui jusqu’ici relevaient d’autorisations environnementales ministérielles », s’emporte la député de la Meuse Emilie Cariou, qui a récemment quitté le groupe majoritaire pour fonder le Groupe Écologie démocratie solidarité. Une performance, moins d’un an après l’explosion de Lubrizol à Rouen…

MODIFICATION DES RÈGLES DE LA COMMANDE PUBLIQUE

Quatre autres amendements gouvernementaux, tous également adoptés, viennent modifier sensiblement les règles de la commande publique. Tous dans le même sens : moins de concurrence, moins d’appel d’offres, toujours plus de possibilité de renouveler implicitement les contrats, et notamment les très sensibles contrats de concession.

Cette loi montre bel et bien l’orientation du gouvernement : moins de régulation économique, moins de réglementation. Avec le plan de relance centré sur les entreprises, c’est l’autre jambe d’une politique de l’offre.

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