INTERVIEW Michèle Legeas, enseignante à l’Ecole des hautes études en santé publique, spécialiste de l’analyse et de la gestion des situations à risques sanitaires, analyse les effets du couvre-feu pour lutter contre la propagation du virus
- Emmanuel Macron a annoncé de nouvelles mesures contraignantes pour enrayer l’épidémie de Covid-19 en France. Parmi elles, l’instauration d’un couvre-feu en Ile-de-France et dans huit autres métropoles françaises.
- Dès samedi, il sera interdit de circuler entre 21 heures et 6 heures du matin et ce, durant les quatre prochaines semaines.
- 20 Minutes a interrogé une spécialiste de l’analyse et de la gestion des situations à risques sanitaires sur ce sujet.
Emmanuel Macron s’est s’adressé ce mercredi soir aux Français, pour parler du rebond de l’épidémie de Covid-19. Le président a annoncé de nouvelles mesures contraignantes. Parmi elles, le couvre-feu, qui concerne toute l’Ile-de-France et huit autres métropoles françaises où les contaminations se multiplient. Ce dispositif interdit les déplacements sur la voie publique pendant la nuit, selon des horaires variables. Il viserait à limiter les interactions sociales dans la sphère privée, mais aurait aussi des conséquences sur les activités économiques nocturnes.
20 Minutes a consulté Michèle Legeas, enseignante à l’Ecole des hautes études en santé publique, spécialiste de l’analyse et de la gestion des situations à risques sanitaires, sur l’efficacité de cette mesure.
Un couvre-feu est-il efficace pour limiter les contaminations ?
Je tiens d’abord à dire que c’est plus une mesure de police qu’une mesure sanitaire. Quand on impose un couvre-feu, on veut empêcher les gens de se déplacer pour se rassembler dans des lieux privés, ce qu’ils ont d’autant plus tendance à faire lorsque les bars et restaurants sont fermés. Avec une telle mesure, si elle devait être adoptée, le gouvernement voudrait que les gens se mettent eux-mêmes en confinement au sein de leur sphère privée, mais sans arrêter l’économie.
Est-ce que cela permet de limiter la circulation d’un virus ?
Aucune étude ne permet de le démontrer pour le coronavirus. L’hypothèse, qu’ont faite par exemple les Espagnols, c’est qu’en maintenant les gens dans une « bulle », avec des interactions sociales limitées à leurs très proches, on réduit les risques de transmission.
Sait-on si les risques de transmission sont plus élevés la nuit, lors de nos activités de loisirs, que le jour, lorsque nous allons travailler, ou étudier, souvent en prenant les transports ?
Il n’y a malheureusement pas d’études qui permettent d’avoir des certitudes sur ce point. Si on savait que c’est le soir, dans nos activités nocturnes, que se passe l’essentiel des transmissions, alors le couvre-feu est une bonne réponse. Mais on ne sait pas réellement quand et comment se fait la transmission du coronavirus, au-delà du fait qu’elle est très liée au fait de passer du temps à proximité immédiate de quelqu’un qui est porteur. L’efficacité d’un éventuel couvre-feu reste donc discutable.
Toutefois, on constate aujourd’hui que le coronavirus circule beaucoup en France dans la tranche d’âge des 15-45 ans. On suppose que cette tranche d’âge sort le soir. Cela donne lieu à un brassage de population, et aussi à un relâchement des gestes barrières, dans les contextes festifs. En restreignant les déplacements le soir, on peut espérer empêcher de telles situations. Ce qui revient à un confinement partiel : on n’est pas confiné le jour, sur nos heures travaillées, mais on est confiné le soir sur notre temps libre.
N’est-ce pas incohérent d’imposer un couvre-feu sans appeler les entreprises à revenir au télétravail comme norme, comme lors de la première vague ?
On était à l’époque en état d’urgence sanitaire. Dans un régime de droit général, c’est plus complexe. Mais à mon avis, un éventuel couvre-feu est très questionnable, puisqu’une part des salariés des services nécessaires, comme on les a appelés lors du confinement, travaillent en partie sur les horaires de nuit.
Sait-on si le couvre-feu imposé en Guyane a été un facteur-clé dans l’amélioration de la situation sanitaire ?
Le problème, c’est qu’on ne peut établir de corrélation certaine puisque le couvre-feu n’était pas la seule mesure imposée en Guyane pour endiguer le virus. En France, le gouvernement a pris beaucoup de mesures, chaque semaine il en ajoute de nouvelles. Il est donc très difficile d’essayer de mesurer l’impact de chacune d’entre elles et de dire si telle mesure marche est plus efficace qu’une autre, prise isolément. Le confinement total de presque toute la population, ça marche, on l’a vu en France et dans d’autres pays, mais pour les autres mesures, c’est difficile à évaluer.
Un tel couvre-feu, qui a duré des mois, imposé dès 17 h en semaine au pic de l’épidémie, est-il réaliste en métropole ?
Non, je ne le pense pas. On ne vit pas en Guyane comme en métropole. En outre, les populations qui ont été le plus touchées par la circulation du virus au printemps ont été celles qui ont dû continuer à travailler, en particulier en prenant les transports en commun, et souvent victimes de mal-logement. Or ces populations travaillent souvent la nuit. Est-ce que cela veut dire qu’on accepte à nouveau qu’elles soient plus exposées ? Faire un couvre-feu nocturne, tout en sachant qu’une partie de la population va continuer à s’exposer, cela interroge.
Dans la majorité, on estime que le couvre-feu est un recours car les Français n’auraient pas encore accepté de modifier leur vie sociale.
Je trouve que les messages ne sont pas clairs. On nous oblige à porter le masque en extérieur, or comme c’est très difficile de le porter du matin au soir, la première chose que l’on fait en rentrant chez soi, c’est l’enlever. Or c’est souvent dans ces environnements fermés, donc en particulier en famille, avec les uns qui sont allés à l’école, les autres au travail, que les risques de transmission perdurent, même avec un couvre-feu. Un rapport conjoint du CDC chinois [Centre de contrôle et de prévention des maladies] , en février 2020, a montré qu’à partir du moment où Wuhan a été très strictement confinée, les nouveaux cas de Covid-19 étaient dus à des transmissions dans le cercle familial. La meilleure des précautions, même en famille, c’est de maintenir une distance, si possible de l’ordre de 1,5 mètre, pour se parler, jouer, rire, choses à ne pas oublier !
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