Silvano Trotta, un de ces théoriciens du complot à « l’arrogance déstabilisante »

Ce chef d’entreprise est un des meneurs du discours antirestrictions. Des aliens à la « plandémie », il affiche son conspirationnisme avec fierté.

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Publié le 09 décembre 2020

« Les masques rendent malades »« le confinement tue », quant à la crise sanitaire, qu’il surnomme « plandémie », elle aurait été orchestrée à dessein par Bill Gates, l’industrie pharmaceutique, les gouvernements ou les trois à la fois. L’auteur de ces affirmations ? Un chef d’entreprise de 53 ans, dont les thèses farfelues connaissent une audience grandissante.

Sa chaîne YouTube a bondi de 15 000 à 170 000 abonnés

Sur l’Internet francophone, Silvano Trotta, ufologue (spécialiste des ovnis) longtemps demeuré confidentiel, est devenu en 2020 l’une des stars montantes des discours covido-sceptiques. Sa chaîne YouTube a bondi de 15 000 à 170 000 abonnés, son compte Twitter a atteint deux millions de visites en novembre et son discours a trouvé des relais jusque dans le monde médical, comme Eve Engerer, une médecin généraliste suspendue pour avoir prescrit de fausses attestations contre le port du masque. « L’origine du virus, je ne la connais pas, mais les globalistes comme Jacques Attali avaient dit qu’il fallait la possibilité d’une pandémie pour mettre en place un gouvernement mondial. Cette pandémie était prévue par les globalistes », plaide-t-il auprès du Monde, suggérant un possible complot.

« On a l’impression qu’on le connaît, qu’il est bienveillant »

A quoi est dû son succès ? Philippe, fonctionnaire, la cinquantaine, l’a découvert au printemps par ses vidéos critiques de la politique sanitaire française. « J’ai trouvé qu’il s’exprimait bien, j’étais séduit par son discours. Il m’a paru digne de confiance », admet-il. Comment se douter alors de son penchant complotiste ? Silvano Trotta présente bien : polyglotte, chef de deux entreprises de télécommunications dans la banlieue de Strasbourg, ancien dirigeant du Syndicat des télécommunications d’entreprise, autrefois cité par Les Echos, BFM Business ou les chaînes de salons professionnels.

Silvano Trotta présenté comme président de sa société d’infrastructures de télécommunication d’entreprise, Atelio, en 2014. CAPTURE D’ÉCRAN

« On a l’impression d’être avec lui, qu’on le connaît, qu’il est bienveillant avec nous », confirme Karine, 36 ans

« C’est très simple, je n’étais pas destiné à ça, explique l’intéressé. J’avais ma petite chaîne sur l’ufologie, le paranormal, des choses qui m’intéressent depuis tout petit, mais aussi toutes les vérités qui dérange, j’animais un groupe Facebook, j’ai créé une chaîne YouTube. C’était un hobby. Quand j’ai vu arriver cette histoire de coronavirus, je me suis dit qu’il fallait que j’en parle. »

Mais cette apparence de fiabilité peut être un leurre. « Quand on est dans une situation de crise, il y a un besoin de réconfort qui est très fort, et c’est ce que les théoriciens du complot comme lui savent très bien offrir, en apportant des réponses simples à des questions qui n’en ont pas », avertit Pascale Duval, porte-parole de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu (Unadfi).

« Un problème avec la réalité »

Derrière son image d’entrepreneur la tête sur les épaules, M. Trotta entretient un rapport très particulier à la réalité. Cet « esprit très, très visionnaire », comme le présentait sa responsable communication en 2009, alimente depuis plusieurs années ses groupes Facebook et chaînes YouTube en croyances fantasmagoriques.

Franc-maçonnerie, platisme, ésotérisme… Silvano Trotta a trempé dans toutes les théories du complot, avant de se spécialiser dans les discours pro-Raoult. CAPTURE D’ÉCRAN

Le professionnel des télécommunications s’est très tôt spécialisé dans les abductions, avec des témoignages d’individus convaincus d’avoir été enlevés par des êtres venus d’ailleurs, à qui il tend le micro sans filtre. « Je préfère avoir dix affabulateurs qui racontent n’importe quoi pour trouver un témoignage réel plutôt que d’en avoir zéro »assume-t-il au détour d’une de ses émissions sur l’ufologie.

« C’est un monsieur qui essaie de rassembler autour de lui des esprits faibles et y parvient très bien », dénonce Christian Comtesse

Lui-même multiplie les assertions les plus fantaisistes : « Va voir un professionnel en hypnose régressive ésotérique. Il va te faire toucher ces êtres de lumière et, derrière, tu verras qu’il y aura des reptiliens », affirme-t-il doctement, en 2017, à son invité du jour. C’est l’une de ses marques de fabrique : quand il déclame ses « vérités », même les plus saugrenues, c’est avec un aplomb déconcertant. Les anciens de la communauté sont indisposés. « C’est un monsieur qui essaie de rassembler autour de lui des esprits faibles et y parvient très bien. C’est un vendeur d’aspirateurs », dénonce Christian Comtesse, vétéran de l’ufologie attaché à une certaine prudence intellectuelle et opposant de longue date à ses méthodes. M. Trotta assure aujourd’hui au Monde qu’il combat en réalité l’hypnose ésotérique et ne croit pas aux reptiliens.

L’entrepreneur alsacien n’hésite pas non plus à contredire frontalement les connaissances scientifiques, en affirmant par exemple que la Lune est creuse. Ses thèses « sont non testables, non falsifiables et présentées sans contrepoint. La Lune creuse va à l’encontre de ce que la science nous a appris sur la mécanique céleste, les lois de la gravité et tout simplement de la formation de notre satellite naturel », rappelle Patrice Seray, membre de l’Association pour la science et la transmission de l’esprit critique (Astec) et observateur des réseaux ufologues.

Avant la pandémie, Silvano Trotta s’était fait connaître en défendant les thèses des enlèvements extraterrestres et de la formation artificielle de la Lune. CAPTURE D’ÉCRAN

A chaque fois, il débite ses affirmations avec un même ton docte et persuasif, et renvoie vers des nombreuses sources – jusqu’à plusieurs dizaines – en bas de vidéos. Un gage de sérieux qui n’est pourtant qu’apparent. « Il joue énormément là-dessus, alors que ses liens ne valent rien », grince Philippe, qui, sous le pseudonyme La Berlue quantique, a récemment démystifié sa méthode : certaines études sont manquantes, d’autres déformées, quand elles n’affirment pas le contraire de ce qu’il leur fait dire. Encore récemment, il citait une étude danoise pour prouver l’inefficacité du masque en déformant sa conclusion.

« Il n’y a que ceux qui ne font rien qui ne peuvent pas se tromper », se dédouane le vidéaste , ajoutant qu’à ses yeux de nombreuses autres publications scientifiques lui donnent raison. Du reste, il n’est « pas d’accord avec l’auteur » de l’étude danoise (celui-ci s’était plaint que ses travaux avaient été mal compris).

« Une forme d’arrogance déstabilisante »

Qu’est-ce qui le motive ? M. Trotta se vante de n’avoir rien à vendre. Et, en effet, contrairement à d’autres théoriciens du complot, ses vidéos ne renvoient vers aucun site marchand ni n’affichent de publicité. Sa chaîne a d’ailleurs été démonétisée par YouTube, avec qui il affirme être en procès. « Il peut y avoir une question d’ego, suggère Pascale Duval, de l’Unadfi. Il peut se nourrir du nombre de vues sous ses vidéos. » Est-ce la raison pour laquelle il a abandonné en 2020 son créneau de niche, l’ufologie, pour celui, plus porteur, de l’épidémiologie amateure ?

Ceux qui le suivent depuis plusieurs années ne sont pas étonnés

Le 8 février, le spécialiste ès abductions dissertait encore sur « les ovni au temps du Far West ». Sa vidéo suivante, « Coronavirus, des vrais chiffres ! », marque un virage soudain. Ceux qui le suivent depuis plusieurs années ne sont pas étonnés. « Ce passage s’inscrit dans un contexte plus large de rejet des thèses officielles. C’est un effet d’aubaine », analyse Patrice Serey, pour qui Silvano Trotta est moins un véritable ufologue qu’un véritable conspirationniste.

« Je vous le dis noir sur blanc, je n’ai aucun conflit d’intérêt, je me bats avant tout pour ma fille de 13 ans, pour qu’elle ne rentre pas dans cette société de Bill Gates, qui est pour vous un philanthrope et pour moi un psychopathe, faite de contrôle biométrique, de passeport biométrique, etc. », se défend-il, en reprenant plusieurs confusions classiques sur les projets du fondateur de Microsoft.

Attiré par toutes les théories paranormales ou parascientifiques, il aborde depuis quelques années les apparitions mariales, la naturopathie ou encore le 11-Septembre. Il adhère ainsi à la thèse selon laquelle l’écroulement de la tour 7, la troisième des tours détruites, aurait été provoqué par des explosifs américains – malgré la faiblesse de la théorie et le peu de crédit de ses soutiens. Plus récemment, il reprenait à son compte la rhétorique complotiste pro-Trump de la mouvance QAnon.

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L’idée d’être taxé de conspirationniste ne l’offusque d’ailleurs pas. S’il se présente plus volontiers comme un « chercheur de vérité » ou un « lanceur d’alerte », il présente désormais cette adhésion à des théories manichéennes comme de l’esprit critique. « C’est une stratégie d’inversion des rôles très classique, décrypte Pascale Duval. Ce qui est nouveau, c’est le côté effronté : les théoriciens du complot ne se cachent plus et affichent une forme d’arrogance déstabilisante. »

Le 5 mai, Silvano Trotta s’associe dans un direct YouTube à trois figures naturopathes, accélérant la convergence entre communautés bien-être, parasciences et conspirationnisme. CAPTURE D’ÉCRAN

Habile, il a profité de la crise pour s’associer à d’autres figures antisystème versées dans les postures de défiance : au printemps avec les gourous guérisseurs Jean-Jacques Crèvecœur, Thierry Casasnovas, Tal Schaller dans une vidéo YouTube, à l’été avec des figures pro-Raoult comme Xavier Azalbert (FranceSoir), le médecin controversé Christian Perronne ou la députée Martine Wonner au sein de l’association BonSens.

Cette notoriété lui vaut aujourd’hui d’avoir sa fiche sur l’observatoire en ligne des théories du complot, ConspiracyWatch, et d’être cité auprès de gourous du Net par les instances de lutte contre les dérives sectaires.

Mise à jour le 10 décembre 2020 à 17 h 15 : ajout des réactions de M. Trotta. L’intéressé n’avait pas donné suite aux sollicitations du Monde avant publication de l’article.

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