Une candidature «gilet jaune» peut-elle créer la surprise en 2022?

LR: Balivernes médiacratiques, à ne pas lire…

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Vincent Bresson — 

Éric Drouet et Jacline Mouraud ont annoncé leur intention de prendre part à l’élection. À deux ans de l’échéance, difficile de les imaginer se faire une place à l’Élysée.

Éric Drouet et Jacline Mouraud. | Bertrand Guay – Damien Meyer / AFP 

Elle explique que la situation du pays l’a poussée à se lancer dans la présidentielle pour s’élever «contre cette nouvelle dictature sanitaire, imposée par des technocrates et un gouvernement qui ruinent le pays». Mais également parce que des citoyens le lui auraient demandé: «Après avoir été vues par plus de 10 millions de personnes lors de la publication de mon coup de gueule à l’égard du Président Macron, j’ai reçu des centaines de milliers de messages de la part des Français. Beaucoup d’entre eux sont revenus vers moi, me disant qu’ils étaient dans l’attente de ma candidature.»

Jacline Mouraud n’est pas la seule à franchir le Rubicon. Après avoir évoqué sa volonté de s’engager dans la course à la présidentielle dans des vidéos postées sur les réseaux sociaux, Éric Drouet a détaillé ses intentions sur QG, le média créé par Aude Lancelin: «Moi je ne veux même pas me placer en tant que candidat, mais comme porte-parole et arriver avec le programme que tout le monde aura choisi.»

Deux ans après le début de la protestation populaire, ces candidatures n’ont, visiblement, pas encore suscité un enthousiasme profond, récoltant même quelques moqueries de la part d’internautes. Elles sont pourtant loin d’être anodines. Cette intention de concourir à la plus haute marche d’une République particulièrement incarnée par son président paraît, à première vue, paradoxal, car l’une des singularités des «gilets jaunes» est d’avoir refusé toutes incarnations pendant des mois.

Je t’aime, moi non plus

Faire part d’une ambition politique institutionnelle tout en se revendiquant «gilet jaune» comporte certains risques. Jean-Marie Bigard en sait quelque chose. Alors qu’il se rêvait en héraut du peuple français, l’humoriste est tombé de haut. Le 12 septembre, quand il rejoint un rassemblement, il est conspué et se réfugie dans un café pour fuir des manifestants en colère. Deux semaines plus tard, il annonce son retrait de la présidentielle sur le plateau de Pascal Praud: «Je suis trop sensible pour faire ce job. Je ne peux pas aller jouer sur le terrain avec des crabes qui puent. Je préfère hurler de la tribune. Je veux rester libre, je veux rester solidaire et je veux rester avec les plus démunis.» Les crabes qui puent apprécieront.

Si les «gilets jaunes» rejettent certains leaders autoproclamés, l’inverse est donc également vrai, comme le prouve l’exemple de Jean-Marie Bigard. Jacline Mouraud a carrément choisi de tourner la page. Dans sa candidature d’inspiration gaulliste et séguiniste, elle ne fait aucune référence au mouvement dont elle est souvent perçue comme l’une des instigatrices et préfère le terme «le peuple des gens ordinaires». Jacline Mouraud justifie cette prise de distance: «Être une figure du mouvement des “gilets jaunes” ne m’a jamais enchaînée à qui que ce soit. La violence, les saccages, les destructions massives de commerces et la haine qui se sont installés à l’intérieur de celui-ci, ne pouvaient et ne peut toujours pas encore aujourd’hui, emporter mon adhésion. Je suis restée fidèle aux “gilets jaunes” du canal historique et j’en suis très fière.» La candidate n’est pas un cas isolé. Au fur et à mesure que les rassemblements se sont essoufflés, plusieurs figures des «gilets jaunes» s’en sont détachés, comme Ingrid Levavasseur, qui a expliqué au journal La Dépêche Louvier avoir du mal à «éprouver de la sympathie» pour le mouvement.

«L’ambition de base du mouvement était d’être déconnecté du champ politique»

Ingrid LevavasseurFrancis Lalanne… Aux municipales comme aux européennes, les rares tentatives de structurer la contestation en vue de la faire grimper sur la scène politique institutionnelle se sont, jusqu’ici, transformés en bide. Personne n’a réellement réussi à transporter la mobilisation des ronds-points aux urnes. Et si représenter une vague contestataire à l’organisation horizontale s’apparentait à une mission impossible? «Une candidature “gilet jaune” peut séduire certains électeurs, anciens “gilets jaunes” ou non, mais à mes yeux personne ne peut faire consensus, notamment car l’ambition de base du mouvement était d’être déconnecté du champ politique», décrypte Jean-Baptiste Devaux, doctorant en science politique à Sciences Po Lyon et membre d’un collectif de recherche sur les «gilets jaunes». «Ça ne veut pas dire qu’ils étaient nécessairement critiques envers les institutions, mais plutôt envers les représentations.»

En plus de ce morcellement, pour les candidats hors d’un parti traditionnel, les obstacles sont nombreux rappelle Jean-Baptiste Devaux: «Il ne faut pas oublier que se lancer dans une élection, c’est quelque chose de compliqué. Macron n’est pas arrivé de nulle part. On ne peut pas gagner tout seul. Avec qui se lance-t-on? Qui portera les candidatures de ces candidats? À gauche de la gauche, il y a jusque-là peu de soutien du côté d’Éric Drouet.» Le premier de ces obstacles étant de réunir 500 signatures de maires pour pouvoir présenter sa candidature. Jacline Mouraud affiche une certaine positive attitude sur cette question: «De mon point de vue, c’est une étape à franchir qui sera réalisée, exactement comme les autres. J’ai déjà plusieurs personnes qui se sont proposées d’aborder cette facette de l’élection, d’une façon productive et sereine.»

Un vote «gilet jaune»?

À un an et demi de la présidentielle, difficile d’imaginer qu’une ancienne figure des «gilets jaunes» puisse être en mesure de créer la surprise. D’autant que les sympathisants sont loin de former un bloc politique homogène: «On suppose parfois qu’il existe un vote “gilet jaune”, comme lorsque l’on parle d’un vote de classe par exemple, mais il y a des configurations très différentes, nuance Jean-Baptiste Devaux. Avec ces rassemblements, certains se sont éloignés du vote ou, au contraire, s’en sont rapprochés. D’autres ont assez peu bougé politiquement. Ceux qui ont voté FI ou RN pourraient rester sur leur vote d’origine. Mais ce qui est certain, c’est qu’on a vu aux élections municipales et européennes qu’il n’existait pas un vote “gilet jaune”.»

À suivre les commentaires sur les groupes Facebook des «gilets jaunes», aucun des candidats déclarés issus de la mouvance ne fait consensus. «Je pense qu’une partie des “gilets jaunes” peuvent s’intéresser à Éric Drouet, mais une autre trouvera qu’il prend beaucoup de place ou qu’il ne représente pas le mouvement», rappelle le chercheur.

Aussi inatteignable que paraisse l’Élysée pour une figure issue de l’un des mouvements populaires les plus importants de ces dernières décennies, l’élection de 2017 a montré que cette messe électorale réserve quelques coups de théâtre. Connue pour son réalisme, la série politique française Baron Noir a d’ailleurs intégré dans sa dernière saison un personnage venu perturber la présidentielle. Un trouble-fête que l’équipe de cette création Canal+ situe quelque part «entre Étienne Chouard et une sorte de leader des “gilets jaunes” s’il n’y en avait eu qu’un».

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